Le
Kazakhstan est un petit pays de 17 millions d'habitants éparpillés
sur un gigantesque territoire grand comme cinq fois la France. Son
président Monsieur Nazarbaïev n'est pas émir, il se prénomme
Noursultan (le sultan éclairé). Il est riche comme Crésus, mais
personne ne lui en veut pour autant. Avec quelques uns de ses proches
oligarques, il se partage une pluie de milliards de dollars extraits
d'un sous sol classé au top ten des réserves mondiales de gaz et
pétrole, numéro un pour l'uranium et bien placé pour des tas
d'autres minéraux rares.
L'eldorado
du 21ème siècle est kazakh.
Cette
contrée enclavée d'une sublime beauté, voisine de la Chine et de
la Russie, est aussi celle de la cité vers l'espace Baïkonour et du
gigantesque polygone d'essai nucléaire de Semipalatinsk, un sol
mort, le plus irradié du globe.
L'ancienne
République Soviétique est indépendante depuis 1991. Les dirigeants
communistes brejnéviens de l'époque se sont tous reconvertis dans
le néolibéralisme tendance Texas and Co. L'idéologie politique
dominante est celle de l'argent. « In Dollar we trust »
Les
relations franco-kazakh sont historiquement bonnes depuis l'époque
où Mitterrand avait accueilli puis rendu visite à Nazarbaïev.
Danielle avait même échangé des correspondances avec Sara
Nazaebaïeva sur le devoir humanitaire des « premières
dames ».
François
et Danielle ne sont plus. Nazarbaïev est toujours président. Réélu
métronomiquement depuis 25 ans.
Chirac,
Sarkozy et Hollande ont perpétué l'amitié bilatérale, aidés en
cela par une kyrielle d'hommes politiques désintéressés.
Mais
il reste du chemin pour équilibrer notre balance commerciale car
nous achetons pour plus de cinq milliards d'euros et vendons pour
moins de cinq cent millions. Consolation, la France est le troisième
investisseur étranger au Kazakhstan avec huit milliards d'actif de
développement productif.
Depuis
l'été, un petit nuage éclipse la lune de miel entre Astana et
Paris. Rien d'important car il est sans doute passager, mais fort
embarrassant.
Le
Président Nazarbaïev mécontent des services d'un de ses anciens
ministres de l'énergie Mokhtar Ablyazov, accusé en passant d'avoir
chapardé cinq milliards de dollars - oui cinq mille millions - a
décidé pour l'exemple de lui faire rendre gorge.
Mais
l'indélicat qui est aussi le chef d'un parti d'opposition a pris la
poudre d'escampette. Ignorant sans doute que l'argent peut tout, il
se croyait à l'abri en Europe. Las, sans coup férir, les Kazakhs
ont réussit a soudoyer le cabinet du ministre berlusconien de
l'intérieur pour extrader illégalement d'Italie le 30 mai dernier
son épouse Elma et leur fille Elua âgée de 6 ans. Un scandale
épouvantable s'en est suivi, le gouvernement a manqué d'être
renversé. Rome a tempêté, menacé et finalement gagné la bataille
diplomatique. La famille est revenue en Italie.
Pour
ce qui concerne Mukhtar Ablyazov, l'affaire s'est avérée plus
délicate car il s'était réfugié en France terre d'asile où il
n'existe aucun accord judiciaire avec le Kazakhstan. Qu'importe, les
Kazakhs ont fait jouer leurs relations avec les Russes et les
Ukraniens lesquels ont demandé à Paris via Interpol l'extradition
de l'ex-ministre milliardaire pour affaire d'argent les concernant.
Le
31 juillet 2013 un commando de policiers appuyé par un hélicoptère
s'est saisi du suspect alors qu'il barbotait dans la piscine de sa
somptueuse résidence sur les hauteurs de Cannes. Incarcéré à
Luynes. Procédure judiciaire accélérée. Audience le 1er août,
appel, renvois, réquisitions du parquet, plaidoiries des avocats,
délibérés...Mobilisation d'Amnesty International et de la FIDH.
Finalement, la cour d'appel d'Aix en Provence a jugé le 9
janvier de cette année que la demande d'extradition de Moscou était
légalement fondée.
Dans
son arrêt circonstancié elle prend soin au passage de couper
l'herbe sous les pieds des géo conspirationnistes amateurs et de
leurs naïfs lecteurs qui iraient suspecter un quelconque
subterfuge pour récupérer une broutille de quelques milliards !
: « Aucun élément sérieux ne permet de considérer
que l'Etat Russe présente la demande d'extradition de mauvaise foi,
aux seules fins de complaire au Kazakhstan, sauf à se livrer à une
analyse de géo-politique sur les relations entre les pays d'Asie
centrale et la Russie particulièrement hasardeuse... ». Exit
le Kazakh.
À
Astana, la capitale du Kazakhstan perdue au milieu des steppes, le
Président septuagénaire impatient a grogné. Il veut Ablyazov dans
ses gêoles ou à la
rigueur dans une colonie pénitentiaire russe ou ukrainienne. Alors,
diplomates et services en tous genres ont été mobilisés. Paris a
fait valoir que la loi était la loi. C'est un langage difficile à
traduire à Nazarbaïev. Les Français n'ont qu'à modifier la
Constitution !
Les
Russes, dont les relations avec Paris sont glaciales ont
malicieusement ajouté quelques grêlons. Le 14 janvier, ils ont
embastillé Eric Cokini, un VRP du made in France qui était de
passage à Moscou, au motif qu'il était réclamé par la justice
d'Ouzbékistan, un pays voisin du Kazakhstan encore plus négligeant
en matière de droits de l'Homme. Pourtant, Cokini n'est pas un
ancien ministre ni un milliardaire ! Mais le témoin supposé
témoin de transactions embarrassantes pour les puissants. C'est un
quidam ruiné, un besogneux du commerce extérieur de la France qui
ne demande qu'à retrouver sa famille à Nice !...
Otages
de la déraison d'Etat Ouzbek, il encoure la torture et la survie
incertaine dans un cachot de Tachkent.
L'extradition
d'hommes d'affaires est une forme de diplomatie judiciaire du
commerce extérieur que n'affectionnent pas particulièrement les
juges. Qu'ils soient français ou russes. C'est pourquoi, il se
pourrait que par un effet miroir déformant, le Procureur de Moscou
donne une leçon d'indépendance en ordonnant la libération d'Eric
Cokini.
C'est
ce que ses amis très nombreux espèrent.
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