Après
l'Ukraine, attendons nous à des irruptions analogues en Asie
Centrale. Des premiers signes nous parviennent de Tachkent.
Par
sa population de trente millions d'habitants, la plus nombreuse et la
plus homogène des cinq Républiques d'Asie Centrale, l'Ouzbékistan
est une puissance régionale. En outre, sa position géographique lui
confère un rôle de pion incontournable sur l'échiquier mondial des
forces. L'Ouzbékistan n'est plus traversé par les routes de la soie
et des épices mais par celles du pétrole, du gaz, de l'eau et de la
drogue qui transitent du Turmenistan, Tadjikistan, Iran, Chine,
Russie, Turquie, Kazkhstan, Afghanistan. Comme l'Ukraine,
l'Ouzbékistan est un carrefour commercial au centre d'un continent.
Les
Ouzbeks ne sont pas riches. Ils ne possèdent ni gaz, ni pétrole en
abondance, mais des mines d'or et des champs de coton. L'économie
vivote passablement. Elle est bridée par une administration
kafkaïenne,
la corruption et le népotisme. Une sinistre structure
politico-mafieuse est au pouvoir depuis la chute de l'URSS en 1990. A
cette époque, les apparatchiks communistes ouzbeks se sont contentés
de modifier leur carte de visite : le Premier Secrétaire
du Parti est devenu Président de la République, le KGB a changé
ses initiales en SNB.
Si
vous voulez revivre l'époque de Staline, allez en Ouzbékistan !
Ne vous contentez pas de la visite du bazar de Samarcande !
Allez à
la rencontre de l'extraordinaire peuple ouzbek sur les marchés
(maïdan) de Tachkent, Fergana, Karchi, Andijan, Ouchkoudouk ou
Termez.
On
vous chuchotera à l'oreille - car la police politique est
omniprésente – le récit des révoltes réprimées dans le
sang, les dénonciations, la torture, les mises en cage. Vous saurez
qu'à l'automne, tous les collégiens et les étudiants sont
réquisitionnés pour aller dans les champs récolter le coton ;
des milliers de récalcitrants préfèrent les camps d'internement.
Sur
le curseur des libertés fondamentales et des droits de l'homme
l'Ouzbékistan se situe dans la même zone rouge que la Corée du
Nord.
L'indignation
humanitaire internationale y est pourtant très mesurée.
L'Ouzbékistan
a des arguments de poids pour réduire au silence les bonnes
consciences.
En
échanges de dollars, elle propose des bases arrières conciliantes
et un couloir aérien ouvert à toutes les opérations de l'OTAN vers
l'Afghanistan et le Moyen-Orient. Ses milices interviennent en
profondeur au Tadjikistan et en Afghanistan pour contenir la
prolifération islamiste. Le pouvoir de Tachkent, coopérant zélé
de la lutte contre le terrorisme international, s'est ménagé les
bonnes
grâces de Berlin et Londres par des achats importants d'armement et
les faveurs
de Paris en passant commande l'an dernier d'hélicoptères (10 Fennec
et 6 Cougar selon l'information rapportée par « La Tribune »
du 29/01/2014). Last but not least ; un ancien boxeur
ouzbek,
le très protégé Vice-Président du Comité Olympique Asiatique
reste abusivement classé cinquième au top ten US des trafiquants de
drogue.
Oui,
la mafiocratie de Tachkent a les moyens de se montrer persuasive.
Pourtant,
le pouvoir de Tachkent vacille. Le Président Karimov ré-élu
ad vitam
n'est pas éternel. Il est malade et vieux. Fidèle aux enseignements
de l'école de la dictature, il a préparé sa fille aînée
pour lui succéder. La belle Gulnara Karimova a passé de brillants
diplômes avant de faire ses classes d'ambassadeur à l'Unesco et à
Madrid puis, elle s'est lancée dans les affaires et la variété
pop. L'appareil d'Etat n'a pas goûté les excentricités de la fille
à papa devenue milliardaire. Au fil des mois, le puissant patron de
l'ex KGB a multiplié les chausses-trappes pour discréditer la
belle. Petit à petit, ses collaborateurs et associés ont été pris
dans de sales affaires. Epoux, belle famille, amis proches et
lointains, tous ont été jetés en prison. Le bon peuple est ravi.
Pour une fois que l'on s'attaque à des gros poissons !
Etrangement,
le Président n'a pas réagi. On prétend même qu'il serait
consentant. On assiste plus probablement à un coup d'Etat rampant,
un bras de fer feutré entre apparatchiks. L'ogre de la SNB serait-il
en train de dévorer son géniteur ?
Le
dictateur est reclus dans son Palais de la banlieue de Tachkent au
milieu d'une armée de deux mille fidèles armés jusqu'aux dents. La
dernière fois qu'on a pu surprendre une photo de lui, c'était aux
JO de Sotchi. Il était assis à coté du dictateur ukrainien
aujourd'hui défait.
La
semaine passée, dans les rues de Tachkent, armée, milice et police
ont redoublé de présence. La censure interdit de parler des
maïdan
de Kiev. La ville est en état de siège. Chaque jour, la presse
soumise annonce la mise en cause de personnalités pour corruption.
Ça sent l'épuration d'une fin de règne.
A
trois mille kilomètres au Nord, à Moscou, un Français a été jeté
en prison à la demande des Ouzbeks qui réclament son extradition.
Eric Cokini a passé quinze ans en Ouzbékistan. On veut le faire
parler. Lui faire dire ce qu'il sait et surtout ce qu'il ne sait pas.
Pour le procureur général de Tachkent, les « aveux »
extorqués et le « témoignage » d'un Français auraient
une valeur incontestable au yeux d'une opinion ouzbek qui vénère
l'image universelle de la Justice française.
Voici
pourquoi un VRP des PME made in France est retenu en otage et menacé
d'être livré à des tortionnaires.
Espérons
que le précoce printemps d'Ukraine fleurira bien vite en
Ouzbékistan.
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