J'ai
croisé Loïc Le Floch-Prigent pour la première fois il y a 20 ans
en Asie Centrale. Il dévalait les marches du palais d'un dictateur;
pressé de rejoindre son Falcon à l'aéroport.
Dans quelques heures
à Paris, il rendrait compte de sa mission rocambolesque qu'avait
secrètement orchestrée un truculent demi sel milliardaire et
l'écrivaine adorée du Président.
Loïc
Le Floch-Prigent avoue avoir souvent été naïf.
Lorsque
la gauche prend le pouvoir en 1981, il est un des rares cadres
supérieurs de l'industrie encarté au PS. Habile et convaincant, il
est très vite propulsé à la tête des plus grandes entreprises
publiques : Rhône-Poulenc, SNCF, GDF, ELF. Mais « le mur
de l'argent » et « le grand capital » se dressent
contre ce patron breton barbu même pas diplômé de l'ENA ni de l'X.
L'aristocratie de la finance et de l'industrie ne le fréquente pas,
elle lui délègue ses portefaix qui se chargent de le gruger. Il
finira sa tranche de gloire au cachot de la prison de la santé avec
d'autres arrivistes de l'époque. Le patronat qui haïssait
Mitterrand s'est acharné par procuration sur ce patron singulier.
Loïc Le Floch-Prigent homme de talent ordinaire propulsé par des
circonstances extraordinaires ne méritait pas cet excès
d'indignité.
Je l'ai revu l'été dernier à Mortagne au Perche à
la Maison de la Presse. Il était attablé à la dédicace de son
roman, un polard : « Granit rosse ». Que faisait le
breton du Trégor en basse terre
normande ?
Nous avons échangé des banalités. Le Perche est le refuge des
tourmentés.
Il fait bon s'y retrouver. Je n'ai pas évoqué les épopées d'Asie
Centrale. On s'est serré la main, j'ai mis son roman policier dans
mon cabas. L'après-midi même, à l'ombre du pommier, j'ai lu la
plaisante enquête de la brave Ernestine, crêpière du port de
Trebeurden.
Me
souvenant de ce bon moment de lecture, j'ai acheté la dernière
livraison de Loïc Le Floch-Prigent.
« Le
Mouton noir » est le récit de l'ultime épisode de la carrière
aventureuse de l'homme d'affaires. A soixante dix balais, le retraité
des tranches B et C ne s'est pas rangé des voitures, mais il a perdu
la main, c'est évident.
Il raconte par le menu comment il a été
piégé à Abidjan, expulsé vers Lomé, privé de cinq mois de
liberté, de confort et de soins. Pas de quoi en faire tout un roman.
Sauf que Loïc Le Floch-Prigent n'est pas n'importe qui ! Alors
l'histoire mérite un petit détour.
Sitôt
interpellé par la police à l'aéroport d'Abidjan, l'homme
d'affaires au carnet d'adresse prestigieux téléphone à tout va.
Ministres, ambassadeurs, avocats... Il pense que c'est un malentendu
et que des excuses vont le raccompagner à la passerelle. Mais
l'avion part sans lui. Il s'impatiente, s'énerve un peu. Il prend
deux baffes pour toute réponse à ses questions. Le lendemain, un
consul vient s'assurer de sa bonne santé. Point.
Pour
la chancellerie de France Monsieur Loïc Le Floch-Prigent est un
simple quidam. On lui réserve le service minimum de circonstance en
pareil cas. Les diplomates considèrent que son arrestation puis son
expulsion vers le Togo est une banale affaire contentieuse et qu'il
convient de ne pas de s'en mêler. L'absence de formes légales et de
dossier probant ne sont pas des raisons suffisantes pour entraver
l'injustice évidente d'un système corrompu.
L'expérience
de Loïc Le Floch-Prigent est édifiante car elle révèle la
doctrine « midnight express » de non ingérence de la
France dans la justice de plomb des dictatures.
Alors
que l'Etat français dénonce les pays de non droit, il leur
reconnaît le droit de dire l'injustice à des citoyens français
encagés. Pire, il ne s'oppose pas leur extradition entre pays tiers.
Ainsi, la République Française a t-elle laissé la Côte d'Ivoire
livrer Loïc Le Floch-Prigent au Togo sur la simple allégation qu'il
devait y rendre compte d'un différent commercial !
Comité
de soutien, manifestations publiques, presse, télé, pétitions...Les
amis influents de Loïc Le Floch-Prigent ont mis cinq mois pour
contraindre les pouvoirs publics français à intervenir.
A
la lecture de ce témoignage, on mesure la détresse de ceux qui
n'ont pas l'entregent de l'ancien PDG puissant.
Contrairement
aux Allemands,
aux Néerlandais, aux Britanniques, aux Marocains... le gouvernement
français vole rarement au secours de ses commerçants de
l'international. L'Etat dépense des fortunes en appui et soutien de
toutes sortes mais il n'accorde aucune protection aux acteurs de
l'exportation.
Le gouvernement ignore le réflexe « d'assistance à
exportateur en danger », il campe sur ses principes de non
ingérence. Le
patriotisme économique est un slogan de communiquant.
Ainsi,
depuis un mois, Eric Cokini « un VRP du made in France »
est détenu à Moscou dans l'attente d'une extradition vers
l'Ouzbékistan qui l'accuse de « délit économique et fiscal ».
Paris ne bouge pas. Pourtant,
les supposés délits commerciaux reprochés à Eric Cokini par
l'Ouzbékistan sont étroitement liés à l'exercice de son métier
d'exportateur. Depuis vingt ans cet homme vend des produits français.
En reconnaissance, il a même été décoré par la République.
Mais aujourd'hui qu'une cabale de prédateurs concurrents tentent de
l'éliminer, ambassadeurs et ministres sont aux abonnés absents.
Seul, un agent du Consulat de France vient de temps en temps vérifier
que le détenu est toujours vivant.
Contrairement
à Loïk Le Floch-Prigent, Eric Cokini ne figure pas dans le Who's
Who's. Ses amis – ils sont 2 500 - ont lancé une pétition. Ce
n'est pas encore suffisant pour faire bouger nos gouvernants.
Mais si Loïk Le Floch-Prigent, par solidarité, pouvait murmurer à l'oreille
des puissants...
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