Le
salon international Eurosatory, vitrine mondiale de l'armement
terrestre se tiendra dans huit semaines à Paris. Pour des
raisons conjoncturelles différentes, deux pavillons seront
particulièrement visités : celui du
Français
Odas et de l'Ukrainien Ukrspecexport.
Odas,
ex-Sofresa, est une officine commerciale créée il y a quarante ans
pour promouvoir les exportations françaises sensibles vers l'Arabie
Saoudite. Longtemps considérée comme la machine à exporter les
plus efficaces du genre, elle a perdu cette réputation enviable au
fil des compétences variables de ses dirigeants nommés par
l'Elysée. L'exportation est un métier. Celle des armes ne souffre
pas d'amateurisme surtout en Arabie Saoudite, marché convoité
qui engloutit chaque année plusieurs dizaines de milliards de
pétrodollars d'armes sophistiquées.
Durant
la dernière décennie, de nombreux couacs - dont le plus connu est
celui de Sawari 2 - ont terni les performances françaises. Pour
juguler ces dérives, l'ancien chef d'Etat Major des Armées
a pris la
Présidence d'Odas. Il revient à cet Amiral, qui succède à un
autre marin étoilé la tache de conclure un ensemble de projets de
contrats totalisant une trentaine de milliards d'euros au doigt
mouillé : des missiles sol-air, des Frégates, et surtout la
création clé en main d'une flottille de sous-marins
incluant deux bases et la formation d'équipages mutualisés. Le
challenge est gigantesque pour cette PME d'une cinquantaine de
personnes
dont on suppose qu'elle héberge la fine fleur des compétences du
commerce extérieur de la France au Proche-Orient.
Apparemment il n'en est rien puisque la Direction des Affaires
Stratégiques du Ministère de la Défense vient de lancer un appel
d'offres pour échographier les circuits de décisions de l'armée
saoudienne. L'étude a pour objet la « détermination
des clans influents dans l'organisation et le fonctionnement des
forces armées et de sécurité et les choix stratégiques du royaume
d'Arabie Saoudite. »
On
notera sans ironie que la France, forte de la plus nombreuse
communauté de citoyens d'origine arabo-musulmane d'Occident, devrait
être au diapason de l'anthropologie
militaire du royaume gardien des lieux saints de l'islam. Mais, il
faut croire que cette tribu bien française est inconnue du
Ministère de la Défense.
C'est pourquoi, dans l'hypothétique attente d'une étude
complémentaire d'identification clanique des musulmans de
l'hexagone, Paris reste « en panne d'interlocuteurs à
Riyad » selon la formule du très informé bimensuel français
« Intelligence Online »
D'évidence,
le renseignement économique français n'est pas à la hauteur des
ambitions commerciales du Ministère de la Défense lequel compte
très peu d'arabophones et où aucun officier musulman n'a jamais
percé le plafond de verre. Alors forcément, le dialogue avec les
Saoudiens
se limite à des échanges à contre-sens
entre mécréants de différentes cultures. Cette faiblesse profite
aux concurrents anglo-saxons plus perspicaces et aux intermédiaires
aventuriers de petites pointures.
Pourtant,
l'identification des décideurs saoudiens est devenue chose facile
depuis qu'un anonyme très bien informé a décidé de jouer les
corbeaux sur la toile. Le twitteur « mujtahidd » est
suivi par un million trois cent mille « followers » !
Les révélations documentées publiées dans ses quelque huit mille
messages sont stupéfiantes. Rien que pour ce qui concerne la France,
« mujtahidd » a l'an dernier nommément désigné une
palanquée d'amiraux saoudiens soupçonnés d'être au cœur d'un
dispositif de corruption avec la France. Si le délateur internaute
n'a pour le moment cité aucun complice étranger, ce n'est pas par
ignorance mais probablement par délicatesse, à moins qu'il n'en
existe pas...
L'insaisissable
« mujtahidd » multiplie les dénonciations en tout genre
y compris sur les transactions sensibles impliquant les Altesses
favorites de la Cour. À la notable exception du Middle East
Strategic Perspectives, la presse tait scrupuleusement ces
informations. Mais dans le Landerneau des industriels de l'armement,
il est à craindre que l'insaisissable « mujtahidd »
continuera de faire discrètement grand bruit au prochain salon de
l'armement.
A
Eurosatory mais pour des raisons différentes, les curieux
impénitents seront attirés par un autre pavillon. Ukrspecexport est
la société commerciale d'Etat qui coordonne les exportations
d'armes ukrainiennes. Ce n'est pas rien ! Car tout un chacun ne
le sait pas, mais l'Ukraine est l'un des dix principaux producteurs
d'armes au
monde.
La singularité de son industrie multi-produits est d'être
étroitement complémentaire et interdépendante
des systèmes russes.
Par
conséquent, au delà des enjeux géostratégiques et gaziers
d'actualité, l'Ukraine est au centre d'une course aux armements
conventionnels sur fond de guerre froide que se livrent la Russie,
les USA et dans une moindre proportion l'Europe.
Voici
quelques échantillons
de la production industrielle ukrainienne :
Artem
basé à Kiev fournit les missiles air/air des chasseurs bombardiers
Mig-29 dont 800 exemplaires sont en dotation dans
les
armées d'une trentaine de nations ; et aussi ceux des Sukoï 30
qui équipent une douzaine de pays. L'industriel fabrique également
les missiles anti-char
guidés par laser des hélicoptères et blindés russes.
Sevastopol
aircraft Plant entretient
et reconditionne les hélicoptères lourds, notamment le Mi-8 dont 12
000 exemplaires sont en service dans 43 pays !
Antonov
à Kiev, c'est une usine gigantesque qui emploie 14 000 personnes !
L'avionneur spécialisé dans la production partagée avec la Russie
d'avions gros porteurs, assure également dans ses ateliers
l'entretien d'une flotte mondiale de plusieurs milliers d'appareils
parmi lesquels les avions cargos
affrétés par la France pour ses opérations extérieures
et l'Onu pour le déploiement de ses forces d'interpositions et
autres actions humanitaires.
Kraz
construit des camions baroudeurs qui évoluent sur des terrains
difficiles, appréciés
des armées
chinoises, égyptiennes, algériennes...
Malyshev
à Karkiv produit des blindés 8 roues amphibie et reconditionne les
chars lourds Russe T- 64.
Iska
est un radariste réputé, Migremon aussi, Aviacon est un motoriste
d'hélicoptère,
Morozov produit des chars Motor sich des fameuses turbines
d'aviation...
Spécialisée
dans la fabrication de sous-ensembles,
l'industrie d'armement ukrainienne est par conséquent au centre d'un
formidable combat de l'ombre. La Russie ne peut envisager sans
broncher la rupture des chaînes
de production de plusieurs de ses systèmes d'armes, or les mesures
de relocalisation stratégiques en cours
ne
seront opérationnelles que dans plusieurs années. En attendant, la
désorganisation institutionnelle commence à peser sur les capacités
de défense non seulement des
Russes
mais aussi sur celles de ses amis et alliés. Ainsi, la Chine,
l'Inde, l'Algérie, la Syrie... sont-ils contrariés par les retards
de livraison d'équipements et de pièces détachées. Pour
d'évidentes raisons d'opportunités commerciales, les industriels
euro-américains, israéliens et sud africains ont commencé à jeter
de l'huile sur le feu en proposant des transferts de technologie
sécurisée. Parallèlement, ils soumettent à cette clientèle -
essentiellement les BRICS et les pays en voie de développement -
d'alléchantes propositions alternatives.
Alors
que, mondialisation
oblige, il était devenu courant d'équiper un navire de guerre ou un
avion de chasse avec des composants provenant des quatre coins du
monde,
la crise ukrainienne a déjà pour conséquence un retour à la
bipolarisation des sous systèmes de défense.
L'industrie
française saura-elle en tirer avantage ?
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