Tunis
Bab-Saadoun : la rue grouille d'une jeunesse fraternelle. Le
barbu déguisé en pachtoun côtoie la midinette maquillée en
minijupe ? Le choix de civilisation s'étale sur la voie
publique. Pour les islamistes la vêture n'est pas un accessoire de
mode, c'est l'habit inconfortable et contraignant qui rappelle à
tout instant la soumission à sa religion. Pour les séculiers le
look est le message de la séparation de la mosquée et de l'Etat.
Malgré
les apparences, le principal clivage politique n'est pas là. Il est
dans la conversion à la démocratie.
Celle-ci
est encore timide : 45% des
Tunisiens
en capacité de voter n'ont pas été s'inscrire sur les listes
électorales. Sans doute incrédules dans la capacité d'un pouvoir
librement élu à éradiquer l'injustice et la corruption.
Probablement aussi par soumission à la fatalité de leur misère,
celle de la masse immense des petits, des sans grades et sans dents:
journaliers au chômage, domestiques placés, pauvres diables errant
en attente d'un passage clandestin vers Lampedusa où d'un
mercenariat au Levant. Ceux là n'ont pas osé réclamer la
citoyenneté.
Autre
indicateur de la désillusion, le taux d'abstention des inscrits :
38%. Comparé à celui de la France, il est raisonnable, mais bien
trop élevé en la circonstance.
Dans
le Sud déshérité, à Sidi Bouzid, ville d'où s'est propagée
la révolution des immolés, la population a boudé les urnes. La
participation enregistrée est l'une des plus faibles du pays :
47%. C'est 13 points de moins que le score national ! A Tozeur,
ville natale du célèbre poète Chabbi et citée-palmeraie désertée
par les touristes, seul un inscrit sur deux s'est déplacé. Même
constat dans les villes sinistrées du Nord : Kasserine,
Siliana...
Pourtant,
ce constat ne doit pas gâcher la fête de la démocratie
Le
peuple tunisien a librement voté.
Des
bataillons de scrutateurs étrangers ont validé la régularité du
scrutin.
A
nouveau, tout comme en 2011, le monde entier incrédule est ébahi.
Oui les arabes sont capables
de s'unir pacifiquement, oui l'islam n'est pas incompatible avec la
démocratie.
Chacun
recherche les causes de cette vertu politique singulière. Certes,
les Tunisiens
sont éduqués, organisés, syndiqués ; les élites sont
clairvoyantes, la police vigilante, l'armée légaliste. Les
Tunisiens
ne sont pas riches, ils ont peu de pétrole. Mis à part
les touristes nul ne souhaite envahir leur beau pays.
Tous
sont musulmans. Incontestablement. L'ancrage est profond. Ils
observent les mêmes rites et partagent les mêmes traditions et
adorations (parfois païennes). Depuis des siècles, l'école
coranique tunisienne a toujours réussi à repousser l'hégémonisme
des salafismes sectaires orientaux. C'est plus difficile aujourd'hui
car le wahhabisme d'Arabie et du Qatar achète tout, même les
consciences ! Mais il faut faire confiance au
Phéniciens-Tunisiens
pour prendre l'argent sans aliéner leur histoire et leur identité.
Encore faudrait-il que l'Occident y mette du sien.
Nidaa
Tounes arrivé en tête du scrutin. C'est un rassemblement
hétéroclite de partisans d'un Etat séculier. Il lui reviendra de
conduire le nouveau gouvernement. A l'Assemblée législative, il
occupera selon les derniers chiffres provisoires, 83 des 217 sièges ;
ce qui est insuffisant pour commander. Une soixantaine de
représentants du parti islamiste Ennahdha formera un
incontournable bloc discipliné. Deux autres partis : l'un de
gauche, l'autre populiste auront un petit groupe d'une dizaine de
parlementaires.
Le
reste formera l'aile introuvable de la chambre. Ces minoritaires sont
condamnés à se rallier ou à se singulariser. Dans cette catégorie
figure les partisans du Président de l'Assemblée constituante
sortante et celui du Président de la République qui enregistrent
l'un et l'autre une sévère déconfiture et ne disposeront que de
quelques strapontins.
Dans
ces conditions, sur quel programme les élus parviendront-ils a
créer la
synthèse qui leur permettra de gouverner ?
Car
il faudra bien dépasser le débat religieux/séculiers et se mettre
d'accord sur une politique commune pour redresser l'économie du
pays.
La
plate-forme libérale Nidaa/Ennahdha devra concilier les exigences du
parti rassembleur de la gauche de Hamma Hammami fort d'une douzaine de députés et
surtout, celles de
la puissante centrale syndicale UGTT. Enfin, le contre-pouvoir de la
jeunesse qui a éradiqué la dictature sera vigilant pour empêcher
l'éventuel retour au pouvoir des prédateurs.
L'élection
tunisienne est une nouvelle étape glorieuse de l'histoire du pays.
Malgré les flambées
de violences circonscrites et les coups de force avortés, la
cohésion nationale a tenu, l'unité a vaincu. Après avoir débattu
pendant près de quatre ans, le peuple souverain s'est exprimé. Il
est l'unique rescapé de 350 millions d'arabes envieux.
La
naissance d'une démocratie parlementaire en Tunisie est la seconde
révolution dont il faut attendre une salutaire propagation car selon
l'expression du leader islamiste Ghannouchi, c'est la seule petite
lueur qui reste allumée dans la nuit du printemps arabe. Gardons
nous bien de souffler !
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