mercredi 29 octobre 2014

En Tunisie la révolution n'est pas soluble dans les urnes


Tunis Bab-Saadoun : la rue grouille d'une jeunesse fraternelle. Le barbu déguisé en pachtoun côtoie la midinette maquillée en minijupe ? Le choix de civilisation s'étale sur la voie publique. Pour les islamistes la vêture n'est pas un accessoire de mode, c'est l'habit inconfortable et contraignant qui rappelle à tout instant la soumission à sa religion. Pour les séculiers le look est le message de la séparation de la mosquée et de l'Etat.
Malgré les apparences, le principal clivage politique n'est pas là. Il est dans la conversion à la démocratie.

Celle-ci est encore timide : 45% des Tunisiens en capacité de voter n'ont pas été s'inscrire sur les listes électorales. Sans doute incrédules dans la capacité d'un pouvoir librement élu à éradiquer l'injustice et la corruption. Probablement aussi par soumission à la fatalité de leur misère, celle de la masse immense des petits, des sans grades et sans dents:  journaliers au chômage, domestiques placés, pauvres diables errant en attente d'un passage clandestin vers Lampedusa où d'un mercenariat au Levant. Ceux là n'ont pas osé réclamer la citoyenneté.   
Autre indicateur de la désillusion, le taux d'abstention des inscrits : 38%. Comparé à celui de la France, il est raisonnable, mais bien trop élevé en la circonstance.
Dans le Sud déshérité, à Sidi Bouzid, ville d'où s'est propagée la révolution des immolés, la population a boudé les urnes. La participation enregistrée est l'une des plus faibles du pays : 47%. C'est 13 points de moins que le score national ! A Tozeur, ville natale du célèbre poète Chabbi et citée-palmeraie désertée par les touristes, seul un inscrit sur deux s'est déplacé. Même constat dans les villes sinistrées du Nord : Kasserine, Siliana...


Pourtant, ce constat ne doit pas gâcher la fête de la démocratie
Le peuple tunisien a librement voté.
Des bataillons de scrutateurs étrangers ont validé la régularité du scrutin.
A nouveau, tout comme en 2011, le monde entier incrédule est ébahi. Oui les arabes sont capables de s'unir pacifiquement, oui l'islam n'est pas incompatible avec la démocratie.
Chacun recherche les causes de cette vertu politique singulière. Certes, les Tunisiens sont éduqués, organisés, syndiqués ; les élites sont clairvoyantes, la police vigilante, l'armée légaliste. Les Tunisiens ne sont pas riches, ils ont peu de pétrole. Mis à part les touristes nul ne souhaite envahir leur beau pays.
Tous sont musulmans. Incontestablement. L'ancrage est profond. Ils observent les mêmes rites et partagent les mêmes traditions et adorations (parfois païennes). Depuis des siècles, l'école coranique tunisienne a toujours réussi à repousser l'hégémonisme des salafismes sectaires orientaux. C'est plus difficile aujourd'hui car le wahhabisme d'Arabie et du Qatar achète tout, même les consciences ! Mais il faut faire confiance au Phéniciens-Tunisiens pour prendre l'argent sans aliéner leur histoire et leur identité. Encore faudrait-il que l'Occident y mette du sien.

Nidaa Tounes arrivé en tête du scrutin. C'est un rassemblement hétéroclite de partisans d'un Etat séculier. Il lui reviendra de conduire le nouveau gouvernement. A l'Assemblée législative, il occupera selon les derniers chiffres provisoires, 83 des 217 sièges ; ce qui est insuffisant pour commander. Une soixantaine de représentants du parti islamiste Ennahdha formera un incontournable bloc discipliné. Deux autres partis : l'un de gauche, l'autre populiste auront un petit groupe d'une dizaine de parlementaires.
Le reste formera l'aile introuvable de la chambre. Ces minoritaires sont condamnés à se rallier ou à se singulariser. Dans cette catégorie figure les partisans du Président de l'Assemblée constituante sortante et celui du Président de la République qui enregistrent l'un et l'autre une sévère déconfiture et ne disposeront que de quelques strapontins.

Dans ces conditions, sur quel programme les élus parviendront-ils a créer la synthèse qui leur permettra de gouverner ?
Car il faudra bien dépasser le débat religieux/séculiers et se mettre d'accord sur une politique commune pour redresser l'économie du pays.
La plate-forme libérale Nidaa/Ennahdha devra concilier les exigences du parti rassembleur de la gauche de Hamma Hammami fort d'une douzaine de députés et surtout, celles de la puissante centrale syndicale UGTT. Enfin, le contre-pouvoir de la jeunesse qui a éradiqué la dictature sera vigilant pour empêcher l'éventuel retour au pouvoir des prédateurs.


L'élection tunisienne est une nouvelle étape glorieuse de l'histoire du pays. Malgré les flambées de violences circonscrites et les coups de force avortés, la cohésion nationale a tenu, l'unité a vaincu. Après avoir débattu pendant près de quatre ans, le peuple souverain s'est exprimé. Il est l'unique rescapé de 350 millions d'arabes envieux.
La naissance d'une démocratie parlementaire en Tunisie est la seconde révolution dont il faut attendre une salutaire propagation car selon l'expression du leader islamiste Ghannouchi, c'est la seule petite lueur qui reste allumée dans la nuit du printemps arabe. Gardons nous bien de  souffler !

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