Jamais
campagne électorale n'aura été aussi déséquilibrée. La guerre
médiatique a méthodiquement fusillé le sortant dont on peut se
demander par quel miracle il pourra être épargné d'un score
humiliant dimanche prochain.
Pourtant,
Beji Caïd Essebsi, proclamé vainqueur avant l'heure était au
départ totalement disqualifié par son grand âge et son parcours de
monocrate.
Imaginez
une présidentielle française
avec pour candidat Charles Pasqua ? Aucune chance direz-vous.
Eh bien pas en Tunisie !
Le
second tour des élections présidentielles tunisiennes avait retenu
deux candidats au casting diamétralement opposé.
Marzouki,
69 ans, président provisoire depuis trois ans ; docteur en
médecine, militant des droits de l'homme, progressiste partisan du
dialogue, y compris avec les islamistes.
Caïd
Essebsi, 88 ans, avocat, ancien ministre de l'intérieur et des
affaires étrangères de Bourguiba, ancien président de l'assemblée
nationale sous Ben Ali, conservateur libéral, laïciste anti
islamiste.
Dans
un pays jeune, sensible à la morale religieuse et marqué par les
séquelles de cinquante années de dictature, la partie était en
apparence déséquilibrée. Pourtant, le « candidat du passé »
a mené une habile offensive méthodique de déstabilisation laissant
peu de chance à son rival.
L'occupant
de Carthage a été affublé sur les réseaux sociaux du sobriquet de
« tartour » pantin, guignolo, pître, ses proches
supporters et anciens militants ont été méthodiquement retournés.
Les réseaux sociaux ont été inondés d'articles souvent
diffamatoires et parfois orduriers. Dialogues et face à face ont été
refusés, la machine à propagande largement financée et relayée
par l’appareil
rénové de l'ancien régime s'est évertuée à faire apparaître
Marzouki comme un fantasque à l'esprit dérangé. Un quotidien
français a même
osé résumer sans appel le choix électoral : docteur maboul ou
vieux sage .
Les
communicants ont efficacement cadré Marzouki de laxiste, complice
des islamistes, qataristes, jihadistes, salafistes,
terroristes...bref comme le candidat de l'aventure et du désordre. Ils
ont valorisé Caïd Essebsi : garant de l'autorité et de
l'ordre, partisan de la séparation de la Kaaba et de la Kasbah.
Les
électeurs ont-ils été dupés ? Oui car pour l'essentiel ils
seront restés
sur leur faim. Quel programme quel destin pour le pays ? Et le
chômage, l'éducation, le clivage socio-économique nord sud, le
devenir avec le voisin de Libye... ? Tout a été occulté, tout
a été centré sur les mouvements islamistes et leurs complices les
collaborationnistes rendus responsables de toute les barbaries.
Pourtant,
Ennahdha ne présentait pas de candidat, il s'est abstenu de soutenir
officiellement ou de désavouer publiquement l'un ou l'autre des
prétendants à la présidence. Ses représentants ont multiplié les
poignées de main et les risettes avec une parfaite équité...
Savant
calcul ou sage conduite, l'avenir dira si la posture était salutaire
ou suicidaire.
Finalement,
l'islamisation de la société tunisienne aura été le seul et
unique débat de cette élection dont le résultat semblait
programmé.
Mais
un événement sidérant est advenu dont il est difficile de mesurer
à chaud la portée.
Mercredi,
alors que la campagne électorale s'achevait, le terroriste numéro
un de Tunisie a diffusé en vidéo sur le net une diatribe promettant
le sang à tous ceux qui s'opposent à la propagation du califat.
« Nous allons revenir et tuer plusieurs d'entre vous. Vous
n'allez pas vivre tranquillement tant que la Tunisie n'applique pas
la loi islamique »
Le
personnage est à prendre au sérieux et mérite un bref rappel de
ses états de services.
Boubaker
Ben Hakim el Karoui, est né à Paris où il a grandi. Adolescent il
fréquente les agités d'une mosquée du 11ème arrondissement.
Devenu adulte, il part au Levant où les autorités syriennes
l'emprisonnent pendant un an avant de l'extrader. Arrêté à son
retour en France, il est condamné en 2008 à 7 ans de prison. Remis
en liberté en 2011 il s'évanouit
dans la nature. Se souvenant sans doute de sa double citoyenneté
française et tunisienne, il assassine en février puis en juillet
2013 deux députés de la constituante Belaïd et Brahmi avant de
disparaître à nouveau alors que tous les
services de police et de renseignements sont à ses trousses.
Depuis
le 2 décembre 2012, « la loi
pénale française s'applique aux crimes et délits qualifiés
d'actes de terrorisme commis à l'étranger par un Français ou par
une personne résidant habituellement sur le territoire français. »
On peut donc oniriquement supposer que le parquet de Paris a fait
diligence et que les brigades anti-terroristes françaises prêtent
main forte à leurs collègues tunisiens pour mettre hors d'état de
nuire Karoui el Françaoui.
Dans
sa harangue de mercredi, le terroriste a également appelé au
boycott du scrutin tunisien qualifié d'acte de mécréance.
On
verra dimanche si cette apparition du diable a une influence sur le
choix des électeurs.
illustration Armand Goupil
illustration Armand Goupil
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