Saada
ressemble au village d'Astérix, le Yémen à la Gaule et les
Houtistes aux Bretons.
Depuis
dix ans, tout a été tenté pour domestiquer ces irréductibles
arabes.
Al
Qaïda a lancé des assauts en Toyota. Elle s'est cassé les dents.
Les obus saoudiens
ont pilonné à tout va. Sans résultats. Enfin, confondant Houtistes
et Jihadistes, les drones américains ont accumulé les bavures. En
France, rares sont ceux qui ont entendu parler de ces batailles entre
Goliath et les Lilliputiens.
Les
ennemis acharnés des Houtistes sont - tenez-vous bien - :
Al Qaïda, Daech, les monarchie du Golfe, et pour faire bonne mesure,
les USA et Israël. Ils sont fous ces Houtistes !
Le
mois dernier, ils ont marché sur la capitale Sanaa et provoqué la
fuite de tous leurs dirigeants incompétents lesquels se
sont empressés d'appeler à l'aide
leurs comparses étrangers au nom de la légitimité internationale.
Immédiatement, les rois du pétrole ont rassemblé leurs légions
pour aller châtier les insurgés.
La
guerre de César
Sans
consultation de l'ONU ni préavis, le roi Salman d'Arabie a attaqué
le Yémen. Son aviation a neutralisé les aéroports et prit le
contrôle de l'espace aérien ; sa marine a bloqué tous les
ports de la mer rouge et de l'océan indien. Toutes les
infrastructures essentielles ont été bombardées. Aden, seconde
ville du pays, 800 mille habitants est
coupée du monde, elle manque d'eau, de vivres et
d'électricité.
La
monarchie
saoudite
a ensuite convoqué une réunion de la Ligue Arabe et provoqué la
création ex nihilo d'une sorte d'OTAN arabe comprenant les Emirats
Unis, le Koweit, le Qatar, Bahrein, la Jordanie, le Maroc, le Soudan
et l'Egypte. Sollicités, le Pakistan et la Turquie pourraient
rejoindre la sainte alliance musulmane et envoyer des troupes au sol.
Ce n'est qu'une question de prix.
Le
Président Hollande a aussitôt salué discrètement cette ingérence
armée. Il a appelé le roi d'Arabie au téléphone pour l'assurer de
son approbation. Cette singularité occidentale a immédiatement été
affichée à la une de la presse saoudienne qui ne tarit plus de
louanges
sur la fidèle amitié socialo-wahhabite.
Pour
résister à cette incroyable coalition d'armes vertueuses composée
de centaines d'avions et de milliers de canons, les irascibles petits
yéménites n'ont que leur potion magique !
Kahwa,
kat et Kalachnikov
En
buvant votre jus du matin devant la machine à café, songez que ce
délicieux breuvage revigorant (kahwa) a été découvert il y a
longtemps par quelques voyageurs intrépides.
L'un d'entre eux, Monsieur de La Merveille, emporta depuis Moka vers
Paris quelques sacs qui connurent le succès que l'on sait.
Pourtant
les Yéménites sont trop pauvres
pour boire leur propre café. Toute la production est exportée. Ils
se contentent de torréfier les coques (kichr) et de parfumer la
décoction d'une pincée de gingembre et de cardamone. En vérité,
ce breuvage d'épluchures est bien supérieur à la capsule de
Nespresso de la publicité.
En
France, pour nous griser, nous avons la gnôle et le tabac. Le
yéménite lui, mâchonne des feuilles d'un arbrisseau : le kat,
une variété de rhododendron. Chaque jour, il achète une botte ou
deux de cette plante amère dont
la consommation transforme son enfer en paradis éphémère. C'est un
coupe faim euphorisant, légèrement hallucinogène sans grand danger
pour la santé mais classé par la plupart des pays dans la catégorie
des stupéfiants et donc formellement prohibé. Tout comme le ballon
de pinard ou le café calva, le kat ne se déguste pas en solitaire.
On se rassemble habituellement entre amis sur les terrasses des
maisons pendant d'interminables séances de mastications collectives
pas très halal car passablement proscrites par le Coran. Peace and
love, cool...L'étape du routard vaut le détour.
Pendant
ces réunions rituelles d'échanges paisibles stimulés par la plante
planante, les décisions collectives sont plus faciles à prendre. Le
kat, comme la cervoise, fluidifie les esprits, stimule la lucidité
et les échanges consensuels.
À
les regarder assis en tailleur, rassemblés en rang d'oignon ;
tous ces barbus coiffés d'un turban, attifés
d'une veste et d'une jupette en coton bigarrée, paraissent
débonnaires. Méfiance ! Le coutelas recourbé à la ceinture
et le fusil à portée
de main ne sont pas des accessoires d'opérette. Au Yémen chaque
gamin reçoit un poignard à l'âge de dix ans et une Kalachnikov
pour ses seize ans avec une dotation de cinq cents cartouches
destinées à défendre son honneur. Celui qui entre chez un yéménite
sans y avoir été invité n'en ressort pas vivant. On ne transige
jamais avec la tradition et les bonnes manières. Les vendetta et les
chicaya sanglantes ne sont pas rares mais l'unité se forme
immédiatement contre tout envahisseur étranger. Au siècle dernier,
les Yéménites ont chassé dehors successivement les Egyptiens, les
Britanniques et les Soviétiques.
Ce
peuple n'a peur de rien, pas même que le ciel lui tombe sur la tête.
La
guerre du pétrole
Voisin
de l'Arabie Saoudite, bordé par la mer d'Oman et la mer rouge le
Yémen est un verrou stratégique sur la rive orientale de Bab El
Mandeb (la porte des lamentations en arabe), détroit qui commande
l'entrée de la mer rouge. C'est un couloir de navigation où défile
l'essentiel du commerce entre l'Europe, l'Asie et le Golfe Persique.
Le chenal montant est large de 400 mètres, celui qui descend est
plus étroit encore. Tout navire qui s'en dévie risque de s'échouer.
L'embrasement
du détroit aurait des répercutions sur le prix de l'essence à la
pompe et le PIB de l'Europe.
Le
Yémen, pays de « l'Arabie Heureuse » recèle des
gisements de pétrole sous-exploités pour ne pas concurrencer
l'Arabie Saoudite voisine qui par ailleurs aimerait bien annexer un
corridor -la vallée de l'Hadramaout- pour évacuer plus commodément
son pétrole vers l'océan indien.
Les
insuffisantes ressources du pays sont âprement négociées depuis
des années entre les équipes de cleptomanes au pouvoir et celles
des pétroliers qui se partagent les royalties de deux bassins
exploités respectivement par l'américain Hunt Oil et le Français
Total. Premier investisseur du pays, les installations de Total
menacées par les jihadistes sont protégées
par des sociétés militaires privées. En janvier dernier,
le gazoduc
de 320 km qui relie Marib au port de Balhaf a été saboté,
entérinant pour la énième fois l'arrêt de la production pour
cause de force majeure.
Au
Yémen, les ennemis de la France sont également ceux des Houtistes :
« Si
les médias te posent une question tu n'as qu'à dire que c'est Al
Qaïda Yémen »
.... « j'ai
été, moi, Chérif Kouachi envoyé par Al Qaïda du Yémen »
Quel
était le message subliminal des assassins de Charlie Hebdo ?
La
guerre des islams
La
tentation est commode de trouver dans l'origine du chaos des motifs
religieux car la population est pour une large moitié sunnite, le
reste est chiites de rite zaïdite, notamment les Houtistes.
Pourtant, l'islam n'a jamais constitué une fracture idéologique et
les deux branches musulmanes ont toujours fraternisé. L'affrontement
est instrumentalisé par l'Arabie dont la haine envers
les chiites
est une obsession. Le Yémen est un défouloir facile.
Les
Saoudiens
sont 20 millions, ils emploient 11 millions d'immigrés dont de
nombreux clandestins. Combien de Yéménites ? Plusieurs millions
vraisemblablement car la frontière de 1500 km de désert qui sépare
les deux pays est poreuse. En 2013, le royaume a expulsé huit cent
mille yéménites en quelques mois. Depuis, le tri des suspects se
poursuit à grande échelle. Tous ne sont pas menacés
il y
a des exceptions comme les riches commerçants
sunnites naturalisés : les Ben Laden, les Bughsan etc...
En
réalité, les zaïdites yéménites sont les boucs émissaires d'une
guerre Iran-Arabie qui ne veut pas dire son nom. Alors qu'un accord
entre l'Iran et les USA est encore en négociation à Lausanne,
l'Arabie jette son dernier atout sur la table du grand jeu. La France
et
Israël ont
fait leur choix. Ils sont résolument aux
côtés
des Saoud. L'Europe avisée est attentiste. Les USA, mis devant le
fait accompli temporisent.
La
partie de mistigri est serrée, la troisième guerre mondiale menace.
À
Washington et Moscou, on soupèse les avantages et les inconvénients
d'un embrasement généralisé du Moyen Orient qui mettrait un terme
à la braderie du pétrole arabe, mais au risque de nous faire tomber
le ciel sur la tête.
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