C'est
un homme tout en rondeur, affable et taiseux. Il écoute avec
attention puis murmure ses décisions sans appel à l'oreille de la
grande muette qui obtempère en claquant des talons. Le Drian est le
grand ministre du moment. Il caracole en tête des sondages
d'opinion. Certes son service de communication n'y est pas pour rien,
mais en moins de trois ans, ce sexagénaire a réussi l'exploit de se
faire aimer à la fois des généraux et des industriels de
l’armement ( pour la plupart gens de droite) qui ont découvert
avec surprise les charmes discrets de ce socialiste authentiquement
Républicain.
Têtu
et âpre au travail comme un Breton, il a depuis la communale jusqu'à
l'agrégation d'histoire gravi tous les étages de l'ascenseur social
et s'est finalement imposé comme le baron de sa région. À
l'époque, Edith Cresson, alors première Première Ministre de la
République en avait fait son Secrétaire d'Etat à la mer, un
portefeuille hélas aujourd'hui disparu. (L'administration du
deuxième plus vaste territoire maritime du monde,
a été englouti par les politicards en quête d'électeurs. Or, à
Clipperton, aux Kerguelen ou aux Gambier le vote ne fait pas la
différence).
Il
a été successivement maire de Lorient, député du Morbihan,
Président de la région des Bretons, alors forcément, l'armée, il
connait. La Bretagne c'est une quinzaine de sites militaires de
première importance, mais surtout des bassins d'emploi industriels
dont la survie dépend des commandes des Etats français et
étrangers. C'est sans doute pourquoi, dés son élection, Hollande
l'a propulsé au Ministère de la Défense.
Si
on se résout à n'y faire rien, le poste de ministre de la défense
est la sinécure du gouvernement. Il suffit de se laisser guider.
L'armée de métier emploie 280 mille hommes et femmes bien
encadré par 500 généraux et 3000 colonels, elle pourrait se
passer de politicien. Dès
sa nomination, le ministre est initié à son nouveau métier par la
visite d'installations stratégiques qui lui font mesurer
l'importance et la complexité de la machine à défendre la France.
Immédiatement rassuré par le pléthorique cabinet militaire mis à
sa disposition, il prend vite l'habitude de faire ce qu'on lui
suggère. Voici pourquoi, ce ministère de souveraineté et de
prestige a souvent été attribué à des leaders politiques de parti
croupion en récompense de leur allégeance à la majorité :
Longuet, Léotard, Millon.... A l'inverse, et sans remonter à
Clemenceau, l'armée a conservé de meilleurs souvenirs de Messmer,
Giraud et surtout de Pierre Joxe, le grand serviteur de l'Etat des
années Mitterrand. Bref, le locataire du superbe Hôtel de Brienne a
le choix entre parader le menton levé en se gonflant d'importance ou
aller mouiller sa chemise voir son froc dans les garnisons lointaines
et sur les théâtres d'opérations.
L'armée
nationale, comme la France traverse une crise aiguë de
gouvernance économique et financière. Au fil des ans, le budget de
la défense a été amplement grignoté. Pour exemple, les effectifs
de la marine qui ont été réduits
de moitié en 20 ans ! Difficile dans ces conditions de
maintenir à son niveau le fameux « rang
de la France
dans le monde » : 6ème
armée derrière l'Inde et la Grande Bretagne, mais devant
l'Allemagne et la Turquie. Alors, la banque a suggéré des solutions
que les gouvernements successifs de droite et de gauche ont adoptées.
Ainsi, l'externalisation et le partenariat privé permet d'entretenir
vaille que vaille une défense à crédit. Il y a longtemps que des
pans
entiers du soutien aux armées comme le gardiennage et la
restauration ont été confiés
à des entreprises civiles et le futur ministère de la Défense,
propriété de Bouygues sera loué à l'Etat à prix d'or. Les
énarques de Bercy songent même à encourager la création de
sociétés de leasing publiques-privées
pour commercialiser des armes en location longue durée avec option
d'achat. Ces business modèles sont loin d'être compatibles
avec la culture militaire et de
surcroît,
ils engendrent des surcoûts
stratosphériques à l'exemple du logiciel de gestion de paye
« Louvois » vendu en 2008 par Steria
(slogan : l'excellence n'a
pas de limites ) qui continue
de semer une invraisemblable pagaille.
Malgré
tout, l'armée française parvient à donner le change et faire bonne
figure sur la scène internationale. Elle est déployée dans une
douzaine de pays étrangers et entretient
les forces dite de souveraineté d'outre-mer soit au total environ 20
mille hommes mobilisés hors de l'hexagone. Avec peu, elle fait
beaucoup. Le challenge est permanent car d'année en année, les
crédits diminuent. À peine votées les lois de programmation sont
déjà dépassées car dans le même temps, le Président de la
République, revoit à la hausse les prétentions de la France à
partir guerroyer sur tous les fronts de la terre.
Pour
le ministre de la Défense, la mission n'est pas simple. Il court les
garnisons pour éviter les rebellions et caresse dans le sens du poil
les officiers d'Etats Major. Les soldats serrent la main en serrant
les dents. Les moyens manquent. Les matériels imaginés
par les stratèges il y vingt ans, testés il y dix ans et commandés
il y a cinq ans arrivent en livraison. Il faut payer les Rafales
et les frégates multi-missions. L'Etat n'a plus d'argent. La
solution d'urgence pour alléger momentanément le fardeau est de les
revendre à l'étranger. Voilà pourquoi Le Drian s'est transformé
en exportateur VRP.
Avant
lui, Nicolas Sarkozy s'était essayé à la tache. Il avait constitué
une petite équipe d'hommes inexpérimentés guidés par une idée
simple : pour vendre à l'étranger, il faut corrompre. C'est
utile certes, mais ce n'est pas suffisant. Voilà pourquoi, le
Président ancien et sa bande de Pieds-nicquelés ont additionné les
râteaux humiliants sur tous les continents sans parvenir à placer
une seule cartouche à blanc.
En
ce domaine, le premier mérite de François Hollande est d'avoir
fermé la salle d'affaires de l'Elysée. Selon la Constitution, il
est le Chef des armées et Préside le Conseil de Défense nationale.
Point. L'intendance n'est pas de son
niveau.
De
par ses enjeux de souveraineté et sa confidentialité le commerce des armes relève du gouvernement. Aucune entreprise ne peut
échapper à la dépendance du ministère de la Défense qui est son
unique client en France et son organe de tutelle pour toutes ses
exportations.
Il
faut reconnaître au ministre l'art de la manoeuvre. Il a réussi à
écarter discrètement les petits marquis, les étoilés et les
affairistes de l'ancien régime, il a converti ceux qui n'étaient
pas compromis puis il a initié une méthode pragmatique d'appui aux
industriels en imposant une politique d'arbitrage de compétence à
la toute puissante Délégation Générale à l'Armement. Airbus
Group, Dassault, Nexter, DCNS, Safran, Thales...en avait rêvé, Le
Drian l'a fait.
La
France se hisse soudain de la sixième à la troisième place
mondiale pour les exportations
de canons. Ce n'est pas le motif de fierté auquel rêvaient
les Français, mais depuis que François
1er a offert l'asile à Léonard de Vinci, les arts et les armes font
excellent ménage.
Le
savoir faire ne manquait pas, mais le savoir vendre faisait défaut.
L'exportation de systèmes militaires sophistiqués est difficile en
raison de sa concurrence avec les services spéciaux des états
industrialisés prêts à toutes les turpitudes. Vendre un char ou un
missile, c'est s'opposer à la rivalité sournoise de la Russie, des
Etats Unis, de la Grande Bretagne et accessoirement d'une quinzaine
de pays tous plus malins
et influents les uns que les autres. Pour réussir, il faut fédérer
pendant des mois ou des années des équipes d'ingénieurs civils et
militaires, des commerçants pluri-culturels,
des contre-espions futés ; il faut posséder un chef
d'orchestre talentueux et en dernier lieu obtenir le coup de pouce
d'un ministre intelligent.
En
quelques mois, Le Drian a réalisé l'exploit de concrétiser plus de
dix milliards de vente. La commercialisation du Rafale en Egypte et
en Inde est un exploit sans précédent aux retombées concrètes :
des dizaines
de milliers d'emplois, et un répit salutaire pour les commandes du
ministère de la défense en difficulté financière.
Mais
le destin du ministre est de mieux faire encore. Après le secteur de
l'armement, c'est toute l'industrie française qu'il faudrait sauver
du naufrage en redressant son commerce extérieur déficitaire. Il
faut faire vite. Alors, Jean-Yves Le Drian à Matignon ?
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