Le
Président de la République cultive le paradoxe d'être un
inconditionnel allié de la monarchie la plus réactionnaire du
monde : l'Arabie Saoudite. Ce soutien est précieux pour le
régime wahhabite que les injures aux droits fondamentaux humains
détournent de la considération des démocraties. À contre courant,
François Hollande enchaîne les sommets et les gestes aimables avec
les altesses saoudiennes et ses ministres multiplient les rencontres
fort du soutien des entreprises. Car l'exercice français assumé
consiste à monnayer cet alignement diplomatique au meilleur prix.
L'expression
du besoin de sécurité saoudien
Obsédée
par l'Iran la maison des Saoud cauchemarde de finir comme la dynastie
des Pahlavi. Ce sentiment ne fait pas l'unanimité de l'opinion mais
c'est celui dont se sert le roi Salman, intronisé en janvier
dernier, pour asseoir
avec son jeune fils Mohamed un pouvoir qu'une partie de la noblesse
dénigre ouvertement.
Le
laborieux accord sur le nucléaire iranien que Riyad, Tel Aviv et
Paris ont vainement tenté de saboter a exacerbé l'iranophobie
saoudienne et conduit son monarque a élargir la protection
stratégique de son territoire en lançant une expédition coloniale
au Yémen voisin. Étonnamment et malgré l'assoupissement de l'ONU,
tous les partenaires traditionnels de l'Arabie se sont inscrit aux
abonnés absents à l'exception des royaumes arabes. Cet isolement a
rendu très précieuse la fidèlité de la France dont la récompense
devrait être à la hauteur de son engagement.
Depuis
le 25 mars, l'Arabie et les émirats arabes unis bombardent le Yémen
à raison d'une centaine de raids chaque nuit ( les milliers de
missiles tirés des F16 et Tornado sont made in USA/GB). Recemment,
un corps expéditionnaire de 10 000 fantassins serait parvenu a se
déployer à Aden et tenterait de conquérir les villes de
l'intérieur malgré des pertes sévères. Cette guerre des riches
contre les pauvres provoque la mort de milliers de civils malchanceux
et l'exode de millions d'affamés dans la parfaite indifférence de
la communauté internationale. Les réfugiés fuient par la mer vers
Oman, Djibouti et la Somalie ; ils seront aux portes de l'Europe
dans six mois.
La
conquête militaire est perdue d'avance car le Yémen aux déserts
arides et aux montagnes qui culminent à 3 000 mètres est
imprenable ; il est de surcroît défendu par un peuple farouche
qui porte la kalachnikov en bandoulière dès
l'âge de douze ans.
L'ambition
d'une marine bedouine
Se
rendant à l'évidence tardive de la prédiction des stratèges,
Riyad est sur le point de négocier une trève et d'abandonner ses
ambitions de conquêtes pour se contenter d'un blocus.
Ainsi,
sur sa frontière terrestre avec le Yémen, l'Arabie hâte la
construction d'un mur de 1 400 km façon ligne Maginot.
La
sécurisation de la façade maritime de 2 000 km qui contrôle
notamment l'entrée de la mer rouge et de la mer d'Arabie s'annonce
particulièrement difficile. On y trouve des îles par dizaines dont
la très stratégique et paradisiaque Socotra face à la Corne de
l'Afrique et au nord, l'archipel des Hanishs qui surveille le passage
des pétroliers vers la mer rouge et l'Europe. Ces mers sont celles
de tous les dangers, des requins pour les nageurs, des pirates pour
les navigateurs. Rien n'a beaucoup évolué depuis les récits
d'Henry de Monfreid il y a un siècle.
Pour
faire main basse sur les profondeurs convoitées de ces rivages et
contrôler la navigation en haute mer de ces vastes espaces marins
stratégiques, il faut disposer d'une armée navale puissante que ne
possède pas encore l'Arabie Saoudite.
Le
joker français
La
marine
royale
saoudienne est largement équipée « made in France »
depuis qu'au siècle dernier, un ministre
gaulliste
et un général perspicace ont promis aux
Saoudiens
d'assurer la formation de leurs équipages. Depuis, chaque année,
des cadets par dizaines et des techniciens par centaines viennent se
former dans les académies et chantiers navals de Bretagne, de
Vendée, de Provence. Apprentissage laborieux pour convertir des
bédoins du désert en loups de mer. Contrairement à la légende de
Sindbad, les arabes ne sont pas des navigateurs téméraires ;
de leur séjour ils retiennent surtout le dicton breton:
« horizon
pas net, reste à la buvette ».
À
défaut d'avoir formé de grands capitaines, les écoles françaises
ont transmis une camaraderie de corps et une doctrine d'achat. Les
unités lourdes de la flotte saoudienne ont toutes été acquises à
la France,
notamment sept frégates furtives des programmes Sawari dont les
carénages, entretien courant, pièces de rechange, remise à niveau,
construction d'infrastructures... génèrent
chaque année, un chiffre d'affaires considérable dont les
perspectives se trouvent décuplées avec les nouvelles ambitions de
l'Arabie.
Car
pour se rendre maître des mers qui entourent la péninsule arabique
les besoins de la marine royale prennent une nouvelle dimension. Des
navires de commandement type Mistral sont une évidente necessité
ainsi que l'acquisition d'autres frégates, patrouilleurs rapides,
hélicoptères... mais surtout il lui faudra accéder à la maîtrise
de l'arme suprême des mers, celle des sous-marins.
Pour l'assister dans ce saut technologique, l'Arabie Saoudite a
besoin du support inconditionnel et durable d'une marine étrangère.
La
France se désigne du doigt pour remporter le marché du siècle et
dans l'espoir de remplir son couffin, le premier ministre Manuel
Valls se rendra à Riyad le mois prochain à la tête d'une palanquée
de ministres et d'industriels ; il ne faut pas se voiler la
face, rien que des hommes très probablement.
La
guerre des Gaules
Pendant
la trêve estivale, ces perspectives ont réveillé les convoitises.
Reniflant les étales en quête de poissons pas frais les Gaulois ont
repris leurs querelles d'ego
et la machine à perdre du commerce extérieur a embrayé.
Selon
les informations qui bruissent dans la presse online très
renseignée, ODAS, opérateur des contrats d'État à État entre
l'Arabie
et la France serait menacé
de fusion-disparition. Son Amiral-Président Edouard Guillaud
« L'homme de la Françarabie qui vaut des milliards » est
donné limogeable.
En
coulisse, les chantiers navals se disputent des commandes putatives
et les géants de l'armement s'affrontent pour décrocher la peau
d'un ours qui n'est pas encore tué. Ils sont fous ces
Gaulois !
Au
gouvernement, Le brillant Drian de la défense, sans doute de guerre
lasse, a cédé le pas à son collègue des affaires étrangères et
de la diplomatie commerciale qui se passionne nouvellement pour la
destination au triomphe assuré.
Car
durant l'été, nul concurrent étranger ne semblait en mesure de
contrecarrer le boulevard des ambitions françaises en Arabie.
Les
Britanniques, les Allemands et autres Européens demeuraient
disqualifiés en raison de leurs protestations incessantes en faveur
des femmes et des hommes flagellés et étêtés chaque semaine
en place publique à Riyad, ou arbitrairement encagés comme
l'emblèmatique blogueur
Raif
Badawi et son avocat Waleed Abu Al Khair.
Les
mécréants
russes et chinois
qui n'ont jamais inspiré confiance au serviteur des deux saintes
mosquées ne constituaient pas non plus une menace sérieuse pour les
exportations tricolores.
Enfin,
les Américains, artisans de l'accord sur le nucléaire iranien
paraissaient excommuniés à jamais.
Patatrac !
Après
s'être brièvement trempé les pieds à Vallauris, le roi d'Arabie
est allé se reposer de l'agitation française à Tanger avant de
voler vers Washington. Sa rencontre avec Obama tout sourire a abouti
à un revirement diplomatique inouï.
Non seulement il a approuvé publiquement l'accord avec l'Iran qu'il
fustigeait la veille, mais il a souhaité reconduire pour un siècle
le partenariat stratégique conclu entre Roosevelt et Abdelaziz en
1945. Au surplus, il a demandé aux USA de répondre d'urgence aux
besoins des armées du Royaume. Et pour concrétiser cette
résolution, il a ordonné une royale commande de deux frégates.
À
Paris, on médite la fable de la Laitière et du Pot au lait en
espérant que les « amis de nos amis » voudront bien nous
laisser placer un petit navire.
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