La
Tunisie est immensément riche. Riche de ses paysages éblouissants,
de la douceur de l'air, de l'optimisme de ses habitants. Chaque
matin, la beauté inouïe
de la lumière redonne espoir.
La
Tunisie va mieux. À baguenauder dans les rues
de la capitale et de sa banlieue, l'évident changement efface le
souvenir de la visite précédente. La foule bigarrée s'affaire sur
les marchés. Les femmes voilées sont rares, presque incongrues, la
plupart portent un fichu mais certaines sont moulées dans des
vêtements à damner. La foule est tolérante, indifférente ;
la religion est redevenue une affaire personnelle dont l'affichage et
la pratique ne regardent
que soi. Même le muezzin semble avoir baissé le niveau de sa sono.
Mais
la superficialité de ce cliché éphémère ne traduit pas la
réalité d'une crise économique et sociale qui perturbe la vie
quotidienne du plus grand nombre. Comment survivre au chômage qui
frappe 15% de la population en âge de travailler (30% des
diplômés)? Comment
nourrir une famille avec un salaire mensuel de 175 euros ? Un
Tunisien
sur
trois est en état de précarité ; réduit à traficoter, ou à
s'employer sur le marché précaire du travail informel. La rue
exhibe les inégalités choquantes de quidams miséreux s'écartant
devant les voitures au luxe extravagant. Le soulèvement du printemps
arabe n'a pas moissonné la récolte promise, le combat contre la
pauvreté et l'injustice s'est fracassé contre le mur de l'argent.
Le
citoyen tunisien se console en paroles. Il échange et débat à tout
bout de champ, suit avec passion les émissions politiques à la
télévision, scrute et commente les faits et gestes du gouvernement.
Cette agitation médiatique n'empêche pas le retour aux affaires des
favoris de Ben Ali qui petit à petit reprennent le haut du pavé. Le
Président de la République, honorable nonagénaire, reçoit
ostensiblement au Palais de Carthage les collaborateurs de l'ancien
dictateur. Toute la classe politique - à de rares exceptions -
plaide pour une réconciliation nationale.
Cette
tendance au pardon révulse la population, victime impuissante du
spectaculaire retour des prébendes et de la prévarication. Le
gouvernement promet que l'Instance Nationale de la Corruption va
sévir. Le budget annuel dérisoire qui lui est alloué ( 70 000
euros ) sera-t-il augmenté ?
«
La rue tunisienne » semble désabusée. L'esprit de la
révolution est en panne. Les politiques, suspectés de clientélisme
sont tous mis dans le même sac , il n'y en a pas un pour rattraper
l'autre « la
adha, la adha ».
Pourtant, la fierté et l'unité ne sont pas entamées ;
à la télévision, le père d'un soldat tombé sous les balles d'un
jihadiste résume son patriotisme par cette formule incroyable
« bledi
kbel aouledi », mon
pays avant mes enfants !
C'est
dans ce contexte que s'est tenu le 10 ème congrès du parti
islamiste Ennahdha qui a rassemblé 1 200 délégués pendant quatre
jours. Cette manifestation organisée
avec opulence avait été préparée par 300 assises locales et
régionales. Les motions votées traduisent l'expression populaire et
majoritaire de la base dans l'ordre des priorités suivantes :
démocratie, nationalisme, tolérance religieuse. Il n'était donc
pas surprenant que cet événement
largement médiatisé par plus de deux cents journalistes et invités
étrangers, se clôture par l'annonce d'une portée singulière.
C'est la première fois qu'un parti - désormais « islamiste »
entre guillemets -, se sécularise et proclame la séparation du
religieux et du politique. C'est
un peu
comme si le PC cubain renonçait à la lutte des classes et à la
dictature du prolétariat ! C'est incroyable, c'est
révolutionnaire ! C'est le printemps islamiste !
L'auteur
de ce coup d'éclat de maître, Rached Ghannouchi, a non seulement
roulé dans la farine tous les courants divergents, mais aussi la
plupart des dirigeants des autres partis politiques – Président de
la République compris - qui se sont affiché à ses cotés à
l'ouverture du congrès, donnant ainsi au leader d'Ennahdha un
adoubement quasi national. L'événement
marque celui de la naissance d'un « zaïm ». Il rappelle
les
heures des congrès à grand spectacle de Bourguiba à Monastir il y
a cinquante ans.
Ghannouchi,
guide nouveau de la Tunisie sera t-il à la hauteur des espoirs de
son peuple ? C'est une autre affaire.
Dans
un proche immédiat, l'ouverture aux séculiers
lui permettra de rassembler toutes les sensibilités politiques à
l'exception de la gauche radicale et des fondamentalistes religieux.
Le parti majoritaire de droite Nida Tounes est déjà au bord de
l'implosion et les héritiers du RCD de Ben Ali s'apprêtent
à rallier en masse. On se demande d'ailleurs, qui aujourd'hui serait
en mesure de disputer au Néo-Ennahdha son hégémonie. Une
interrogation en appelant une autre, on s'interroge aussi sur
l'origine des financements des partis politiques tunisiens dont la
prodigalité et le niveau de vie des dirigeants semblent directement
liés à leurs fréquentation affichée avec les affairistes de tous
poils.
Le
parti « démocrate musulman » va désormais aspirer tous
les soutiens au détriment de ses rivaux. De surcroît, dans la
perspective des élections municipales qui auront lieu en mars 2017,
il est à prévoir que la droite et le centre pactiseront ou
fusionneront avec Ennahdha, d'autant que la campagne se déroulera
principalement sur fond de tribalisme et de clientélisme local. Il
est pareillement probable que l'allégeance au nouveau zaïm sera
nourri par la fragilité du Président Caïd Essebsi dont l'âge
canonique permet d'échafauder un scénario de succession à court
terme.
Un
boulevard vers Carthage s'ouvre désormais pour Ghannouchi dont le
parcours sans faute révèle une stature d'homme d'État sans rival à
sa dimension. L'homme est mystérieux, économe de ses mots et de ses
gestes, il ne ressemble en rien au stéréotype de ses compatriotes.
Son discours mesuré, précis débité d'un ton monacal et sans
accent dans une langue arabe épurée, tranche avec les plaidoiries
enflammées d'un Bourguiba, la lecture au prompteur d'un Ben Ali et
la gouaille bon enfant d'un Caïd Essebsi.
Ghannouchi
ne cherche pas à plaire, mais à force de dire ce qu'il va faire et
de faire ce qu'il a dit, il finit
par
convaincre.
Fin
stratège, cet universitaire connait l'histoire de la Tunisie. Il a
lu les écrits du théologien Abdelaziz Thaalbi pilier du
nationalisme tunisien qui dès 1904 appelait à séparer la religion
du politique et soulignait la concordance des principes de la
Révolution française avec le Coran. Il sait les enseignements
des savants tunisiens contemporains de la même veine, qui plaident
pour la synthèse entre l'islam et les droits de l'homme et du
citoyen. Osera t-il aller jusqu'à ces limites ? Ses militants
auront à parfaire la mise en accord de leurs actes avec leurs idées.
Ainsi peut-on déplorer que les moins de 35 ans soient
toujours sous-représentés dans les instances du parti et que
seulement 10% des sièges aient été attribués à des femmes. La
parité des genres n'a pas même été évoquée lors des débats en
commissions. De ce point de vue, la représentativité d'Ennahdha est
imparfaite. C'est sur ce front que la sincérité du parti de la
nouvelle démocratie musulmane tunisienne sera jugée.
Dans
les capitales arabes, la
réforme d'Ennahdha et la perspective de renaissance de l'école
malékite moderniste de Tunis n'a pas été accueillie avec effusion.
Le Qatar et l'Arabie Saoudite que la révolution tunisienne du 14
janvier 2011 avait tant alarmés continuent d'accorder asile et protection à Ben Ali et à sa clique de prédateurs. http://hybel.blogspot.fr/2011/01/tunisie-un-modele-pour-le-siecle.html Les monarques wahhabites détestent ouvertement la
rhétorique de ces arabes du Nord qui ressassent à tout bout de
champ un mot grecque intraduisible:
démocratie !
La
conversion d'Ennahdha en « parti
national, civil, qui s'inspire des valeurs de l'islam et de la
modernité » est
un défi aux théocraties obscurantistes dont on peut craindre de
machiavéliques réactions.
1 commentaire:
le Qatar effrayé par les révolutions arabes ?? Je pense que vous confondez avec les Emirats Arabes Unis... Surprenant de votre part.
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