Par
une fortuite coïncidence, la fête du football et la kermesse de
l'armement se déroulent au même moment. Entre le stade de
Saint-Denis, celui de Lens et le parc des expositions de Villepinte
près de Paris, le choix – pour certains – est cornélien.
Eurosatory
est le plus important salon international de l'armement terrestre
et de la sécurité. Il réunit tous les
deux ans, en alternance avec celui de l'aéronautique et de l'espace
du Bourget, tout le gotha des marchands de canons et des engins de surveillance. Depuis l'époque
de François 1er la France produit des armes d'excellentes
réputations. Il faut s'y résigner. C'est une tradition dont elle
s'accommode parfaitement mais sans l'assumer totalement. La presse
est discrète, elle relaie les discours alambiqués des
communicants qui refusent d'avouer qu'une arme sert à tuer. Le
sujet est délicat car comme le rappel Rony Brauman dans une
interview à Ouest France « L'armement
dépend de la morale de chacun »
l'ancien de Médecins sans frontières ajoute « vendre
des Mistral c'est pas comme vendre des hôpitaux ».
Oui mais, Paris vaut bien une messe et priorité à l'emploi rétorque
le patron du GICAT, un groupement de 200 industriels, qui claironne
l'embauche de 40 000 personnes d'ici trois ans.
En
fait, la morale voudrait que l'on prohibe la vente de canons aux
méchants Saoudiens et que l'on cède à prix coûtant des
sous-marins aux gentils Australiens. Mais c'est impossible. C'est
comme exiger le retour de Platini à l'UEFA ! La balle est une
affaire d'Etat. C'est elle qui fait gagner, c'est elle qui fait
dresser les foules chantantes en agitant le drapeau. Elle réconcilie
et cimente l'union de la nation dans la rage de vaincre l'étranger.
Mais comme partout il y a des grincheux qui sous prétexte de
quelques tribunes effondrées et de rixes de supporters avinés,
voudraient au nom du principe de précaution en interdire
l'expansion !
Tout
comme le football, l'armement suscite les débats. Étant entendu que
nul ne saurait s'afficher ouvertement anti-foot ou pro-armement.
Contrairement aux USA, en France on aime le ballon et on déteste les
canons. C'est
la raison pour laquelle on nous dit tout sur l'Euro 2016 mais rien
sur Eurosatory 2016.
La
25 ème édition d'Eurosatory ressemble à un banal salon. Des stands
d'exposants, des pavillons de différentes nations, des
démonstrations de matériels, des conférences d'experts ...
L'entrée est
réservée à 50 000 visiteurs civils et militaires tous triés sur
le volet. 700 journalistes accrédités répercutent l'évènement
aux quatre coins du monde : on y voit cinq jours durant, une
foule de pékins (surtout des hommes) avec un badge autour du cou
(nom, prénom,
fonction, société, pays) qui déambulent dans les allées
gigantesques, s'arrêtent pour reluquer les hôtesses, ramasser un
prospectus, échanger des cartes de visite. Bien entendu le lieu est
plein d'espions car dès
qu'une arme nouvelle arrive sur le marché, la contre-arme qui la
détruira doit être au plus vite inventée. C'est comme ça depuis
la lance et le bouclier, le
fusil et le blindé, le missile et l'anti-missile...la logique
inventive de Léonard de Vinci n'a pas changé.
Contrairement
à la loi commune du marketing, ce n'est pas la compétitivité qui
fait la différence, c'est la capacité de détruire et de tuer ou
celle de l'empêcher. Le prix n'est jamais un problème, « nos
soldats ont droit au meilleur car il risquent leur vie pour nous
défendre » résume un
Général. Les salons de l'armement se distinguent de ceux de l'auto
ou de l'agriculture par le fait que les vendeurs sont beaucoup plus
nombreux que les clients. À Eurosatory 1 300 commerçants de 54 pays
différents viennent pour placer une panoplie de 1 500 gadgets de
toutes sortes auprès d'une poignée d'acheteurs. Car seuls les États
membres de l'ONU ( non soumis à embargo) ont le droit d'acquérir
des armes de guerre. Leurs représentants sont cette semaine les
invités de la France.
Au total 118 délégations étrangères. L'affaire n'est pas simple à
gérer car il faut recevoir, loger, transporter, protéger, distraire
des militaires de haut rang, des ministres,
des Altesses royales. Un millier de VIP à traiter avec tous les
égards due à leurs rangs. La plupart s'intéressent surtout aux
charmes de la vie parisienne, aux diners fins, aux somptueux
cocktails, aux promesses de rencontres tardives sur les Champs
Elysées...Certains ont parfois des caprices extravagants, ainsi y a
quelques années, l'un d'entre eux voulut
pécher à la ligne à Paris sur un bateau au beau milieu de la
Seine, un autre réclama de passer la nuit avec sa compagne au sommet
de la tour Eiffel...
Chaque
délégation est cornaquée par un officier de liaison de l'armée
française et protégée par des gardes de sécurité. Il va sans
dire que les très gros clients sont particulièrement chouchoutés.
Au top des favoris, il y a les Princes saoudiens.
Depuis
mars 2015, la monarchie wahhabite fait pleuvoir un déluge de feu sur
son voisin le Yémen. Pour certains, c'est un génocide, pour
d'autres de la légitime défense et une aubaine car au doigt mouillé
l'Arabie a consommé en quinze mois près de dix milliards
de dollars de munitions. Alors quand sa délégation (exténuée par
le jeûne
du ramadan) visite le salon, tous les exposants sont aux aguets du
moindre signe. Combien de temps s’attardera-t-elle
chez Thales ? Passera t-elle au pavillon Turc ? Chez les
Sud Africains qui viennent de lui livrer une usine produisant 900
obus par jour ? Boudera t-elle les Pays-Bas
qui la boycotte, et dans une moindre mesure mais pour les mêmes
raisons la Suisse, la Suède, l'Allemagne... ? Toujours cette
question de morale ! Les Canadiens,
après avoir brièvement hésité, ont signé un marché de 15
milliards de blindés. Les scrupules sont pareillement monnayés sans
sourciller par les Américains, les Russes et les Anglais....
Dans
la conjoncture internationale propice aux bonnes affaires, la contre
performance des exportations d'armes israéliennes est singulière.
L'État hébreu redouble pourtant d'effort pour reconquérir des
parts de marché. Son pavillon regroupe une trentaine d'industriels,
mais l'avenir est morose car en sélectionnant un fournisseur, les
gouvernements font
un choix politique, et celui de l'oppresseur du peuple palestinien
est le pire du moment. Le tout nouveau ministre israélien de la
guerre, l'ultra nationaliste Liberman viendra t-il à Eurosatory ?
C'est peu probable. Les hommes politiques n'aiment pas s'afficher
dans ces lieux. Ils préfèrent les rencontres discrètes et feutrées
dans les chancelleries et les hôtels de luxe. Tout comme les
intermédiaires. Il est rare de croiser au salon de l'armement ce
militant socialiste très influent qui cultive l'oecuménisme
d'affaires en représentant simultanément à Paris les intérêts de
firmes israéliennes et saoudiennes.
On
se consolera en songeant que tous les pays qui achètent et vendent
des armes ne sont pas des va t-en guerre. Ainsi, l'Inde, l'Australie,
le Brésil, Singapour, l'Indonésie... font-ils aussi l'objet des
attentions soutenues de l'équipe de Jean-Yves Le Drian, le plus
performant entraîneur de la sélection nationale du moment. Avec 16
milliards de commandes à l'export il a hissé la France sur le
podium. Elle est troisième au niveau mondial mais remporte haut la
main l'Euro 2016 de l'armement.
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