Pourtant
remarqué à chacune de ses interventions à la télévision, Pierre
Conesa y est rarement invité. Agrégé d'histoire, énarque, ses
états de service dans l'enseignement, la défense, l'armement et le
renseignement auraient pu lui assurer un complément de retraite
confortable dans le lobbying en tous genres s'il s'était enfin
abstenu de dire ce qu'il pense. Trop savant, trop brillant, trop
décontracté, il a longtemps partagé les secrets d'État, il en
sait long, il décourage les candidats à la contradiction. Lorsqu'en
responsabilité il lui arrivait d'être placardisé, il en profitait
pour voyager dans des pays sans touristes ou écrire des livres
singuliers : son petit Guide du
paradis Edition
de l'Aube 2011 est une friandise truculente à mettre sur toutes les
tables de chevet.
Cet
intellectuel ne pouvait pas escamoter le débat sur l'Islam. Il n'est
pas arabisant, n'a jamais mis les pieds à La Mecque mais a visité
toutes les capitales du Moyen-Orient où il a observé les Altesses
dans l'ombre discrète des délégations officielles; de surcroît,
il n'a pas son pareil pour faire la synthèse d'une pile de
documents.
Avec
la parution de sa dernière contribution Dr
Saoud et Mr Djihad ou La diplomatie religieuse de l'Arabie
Saoudite chez
Robert Laffont, l'iconoclaste jette un pavé qui fera des vagues dans
le marigot des jihadologues. Il s'agit d'une échographie du monstre
à double visage qui ronge l'islam: la monarchie wahhabite
saoudienne.
Hubert
Védrine dans une préface remarquable salut cette étude du
saoudo-wahhabisme comme élément du « soft power
idéologique planétaire » au
même titre que celui d'Israël, de la Russie, du Vatican...et juge
l'ouvrage « sévère
mais documenté... qui comble une lacune de l'analyse
politique » espérant
au passage que le moteur auxiliaire du wahhabisme saoudien de
« certains
émirats » (traduire
le Qatar), fera l'objet d'un indispensable complément d'enquête.
La
diplomatie religieuse de l'Arabie Saoudite est un modèle
d'endoctrinement et de prosélytisme d'État au service d'une
idéologie que Pierre Conesa n'hésite pas à comparer à celui des
Khmers rouge et des Nazis. C'est une usine à propager le racisme ,
la misogynie, l'homophobie, la haine du dissemblable. Elle dispose de
moyens logistiques illimités et bénéficie d'une totale impunité
auprès de la communauté internationale corrompue par les achats de
pétroles et les ventes d'armes.
Avec
la rigueur du professeur d'Université, il retrace la genèse du
Royaume wahhabite en s'appuyant sur une solide documentation
d'ouvrages académiques dont le plus remarquable mérite d'être
inlassablement cité : « Le
pacte de Nejd »
par Hammadi Redissi, publié au Seuil en 2007, qui demeure l'ouvrage
le plus éclairant sur l'émergence planétaire de l'islam sectaire.
Conesa
scrute le formidable réseau d'influence de la Ligue Islamique
Mondiale, une ONG qui dispose d'un budget annuel estimé à 5
milliards de dollars soit cinq à sept fois plus que l'ex URSS et
vingt fois moins que le Vatican.
Cette
diplomatie prosélyte de l'ombre est sans contradicteur car elle est
systématiquement défendue par la diplomatie officielle. Aucun
régime démocratique ne peut lutter contre contre le mal qui se
déguise en bien ; contre Dr Saoud et Mr Djihad ; contre le
chantage et l'argent. Et l'auteur de rappeler que le gouvernement
d'union de la gauche de Mitterrand s'était résolu, au début des
années 80 à contracter un emprunt de 3 milliards de dollars auprès
de Riyad ; que sous la Présidence de Sarkozy, Michèle
Alliot-Marie Ministre de la Défense, en visite chez son homologue le
Prince Sultan , avait été proprement mise à la porte après
sept minutes d'entretien pour avoir osé faire allusion aux
« carences du système
éducatif saoudien ».
On
pourra regretter que l'auteur, pourtant très informé, ne se soit
pas étendu davantage
sur les incroyables complaisances de la France « pays
où les droits de l'homme sont mieux protégés que la population »,
mais d'autres livres suivront. Dans sa cartographie très complète
des lieux d'influences jihadistes, il démontre comment, aux quatre
coins de la planète, l'action religieuse de la monarchie saoudienne
pervertit l'Islam.
Ainsi,
en Grande Bretagne où vivent 2,8 millions de musulmans, 100 000
enfants suivent les cours de 700 écoles coraniques. Il existe aussi
des hôpitaux halal, des quartiers signalés « Sharias
zone »
sans alcool, sans tabac, sans femmes en cheveux, sans homosexuels...
Pire, des tribunaux islamiques sont autorisés à juger selon la loi
coranique les conflits en matière commerciale et civile ; y
compris les querelles de couple et de voisinage. Unique protection
contre l'arbitraire, les décisions de ces juridictions sont
susceptibles d'appel devant la Hight Court. « Le
ministère de la justice laisse faire. Peu médiatisé, la naissance
de ce système d'arbitrage parallèle n'a pas suscité de réaction
en Grande Bretagne »
remarque sobrement Pierre Conesa. Effarant !
Pendant
ce temps, mais pour combien de temps encore ?... d'autres
musulmans résistent à l'hégémonie wahhabite: en Tunisie, en
Algérie, au Maroc mais pas seulement. Qui leur vient en aide ?
Qui dénonce le génocide saoudien au Yémen, qui relaie les
cris de souffrance de la jeunesse encagée d'Arabie ? Personne
ou presque. (En France, pas moins de cinq agences de conseil en
communication se chargent de « corriger » l'image des
Saoud dans l'opinion)
L'enquête
de Pierre Conesa est une contribution majeure à sélectionner en
priorité sur l'étalage que consacrent
les libraires à « l'édition jihadologique ». Il faut
espérer que sa large diffusion réveillera les consciences. À
l'avenir, nul diplomate, nul élève de l'ENA ou de Sciences Po, nul
commis de l'Etat nul candidat au suffrage universel ne pourront dire
qu'il ne savait pas.
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