lundi 19 septembre 2016

Pierre Conesa. Dr Saoud et Mr Djihad


Pourtant remarqué à chacune de ses interventions à la télévision, Pierre Conesa y est rarement invité. Agrégé d'histoire, énarque, ses états de service dans l'enseignement, la défense, l'armement et le renseignement auraient pu lui assurer un complément de retraite confortable dans le lobbying en tous genres s'il s'était enfin abstenu de dire ce qu'il pense. Trop savant, trop brillant, trop décontracté, il a longtemps partagé les secrets d'État, il en sait long, il décourage les candidats à la contradiction. Lorsqu'en responsabilité il lui arrivait d'être placardisé, il en profitait pour voyager dans des pays sans touristes ou écrire des livres singuliers : son petit Guide du paradis Edition de l'Aube 2011 est une friandise truculente à mettre sur toutes les tables de chevet.
Cet intellectuel ne pouvait pas escamoter le débat sur l'Islam. Il n'est pas arabisant, n'a jamais mis les pieds à La Mecque mais a visité toutes les capitales du Moyen-Orient où il a observé les Altesses dans l'ombre discrète des délégations officielles; de surcroît, il n'a pas son pareil pour faire la synthèse d'une pile de documents.

Avec la parution de sa dernière contribution Dr Saoud et Mr Djihad ou La diplomatie religieuse de l'Arabie Saoudite chez Robert Laffont, l'iconoclaste jette un pavé qui fera des vagues dans le marigot des jihadologues. Il s'agit d'une échographie du monstre à double visage qui ronge l'islam: la monarchie wahhabite saoudienne.
Hubert Védrine dans une préface remarquable salut cette étude du  saoudo-wahhabisme comme élément du « soft power idéologique planétaire » au même titre que celui d'Israël, de la Russie, du Vatican...et juge l'ouvrage « sévère mais documenté... qui comble une lacune de l'analyse politique » espérant au passage que le moteur auxiliaire du wahhabisme saoudien de « certains émirats » (traduire le Qatar), fera l'objet d'un indispensable complément d'enquête.

La diplomatie religieuse de l'Arabie Saoudite est un modèle d'endoctrinement et de prosélytisme d'État au service d'une idéologie que Pierre Conesa n'hésite pas à comparer à celui des Khmers rouge et des Nazis. C'est une usine à propager le racisme , la misogynie, l'homophobie, la haine du dissemblable. Elle dispose de moyens logistiques illimités et bénéficie d'une totale impunité auprès de la communauté internationale corrompue par les achats de pétroles et les ventes d'armes.
Avec la rigueur du professeur d'Université, il retrace la genèse du Royaume wahhabite en s'appuyant sur une solide documentation d'ouvrages académiques dont le plus remarquable mérite d'être inlassablement cité : « Le pacte de Nejd » par Hammadi Redissi, publié au Seuil en 2007, qui demeure l'ouvrage le plus éclairant sur l'émergence planétaire de l'islam sectaire.
Conesa scrute le formidable réseau d'influence de la Ligue Islamique Mondiale, une ONG qui dispose d'un budget annuel estimé à 5 milliards de dollars soit cinq à sept fois plus que l'ex URSS et vingt fois moins que le Vatican.
Cette diplomatie prosélyte de l'ombre est sans contradicteur car elle est systématiquement défendue par la diplomatie officielle. Aucun régime démocratique ne peut lutter contre contre le mal qui se déguise en bien ; contre Dr Saoud et Mr Djihad ; contre le chantage et l'argent. Et l'auteur de rappeler que le gouvernement d'union de la gauche de Mitterrand s'était résolu, au début des années 80 à contracter un emprunt de 3 milliards de dollars auprès de Riyad ; que sous la Présidence de Sarkozy, Michèle Alliot-Marie Ministre de la Défense, en visite chez son homologue le Prince Sultan , avait été proprement mise à la porte après sept minutes d'entretien pour avoir osé faire allusion aux « carences du système éducatif saoudien ».

On pourra regretter que l'auteur, pourtant très informé, ne se soit pas étendu davantage sur les incroyables complaisances de la France « pays où les droits de l'homme sont mieux protégés que la population », mais d'autres livres suivront. Dans sa cartographie très complète des lieux d'influences jihadistes, il démontre comment, aux quatre coins de la planète, l'action religieuse de la monarchie saoudienne pervertit l'Islam.
Ainsi, en Grande Bretagne où vivent 2,8 millions de musulmans, 100 000 enfants suivent les cours de 700 écoles coraniques. Il existe aussi des hôpitaux halal, des quartiers signalés  « Sharias zone » sans alcool, sans tabac, sans femmes en cheveux, sans homosexuels... Pire, des tribunaux islamiques sont autorisés à juger selon la loi coranique les conflits en matière commerciale et civile ; y compris les querelles de couple et de voisinage. Unique protection contre l'arbitraire, les décisions de ces juridictions sont susceptibles d'appel devant la Hight Court. « Le ministère de la justice laisse faire. Peu médiatisé, la naissance de ce système d'arbitrage parallèle n'a pas suscité de réaction en Grande Bretagne » remarque sobrement Pierre Conesa. Effarant !
Pendant ce temps, mais pour combien de temps encore ?... d'autres musulmans résistent à l'hégémonie wahhabite: en Tunisie, en Algérie, au Maroc mais pas seulement. Qui leur vient en aide ? Qui dénonce le génocide saoudien au Yémen, qui relaie les cris de souffrance de la jeunesse encagée d'Arabie ? Personne ou presque. (En France, pas moins de cinq agences de conseil en communication se chargent de « corriger » l'image des Saoud dans l'opinion)


L'enquête de Pierre Conesa est une contribution majeure à sélectionner en priorité sur l'étalage que consacrent les libraires à « l'édition jihadologique ». Il faut espérer que sa large diffusion réveillera les consciences. À l'avenir, nul diplomate, nul élève de l'ENA ou de Sciences Po, nul commis de l'Etat nul candidat au suffrage universel ne pourront dire qu'il ne savait pas.

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