Dans
tout autre pays que la France, ces livres auraient déclenché des
tempêtes médiatiques, politiques voir judiciaires. Leurs auteurs ne
sont pourtant pas des inconnus ni des bloggers du dimanche sur
Mediapart mais des journalistes confirmés, unanimement reconnus
pour leur professionnalité.
Commençons
par les révélations des deux grands reporters de France Inter et du
Figaro. Christian Chesnot et Georges Malbrunot signataires de « Nos
très chers Emirs »
chez Michel Lafon ne sont pas natifs de la dernière pluie orientale.
Ils connaissent le monde arabe pour l'avoir sillonné en long en
large et en travers depuis des lustres. Ils savent les codes, les
usages, la naïve simplicité de l'Orient compliqué dont ils ont été
un temps les otages. Leur dernier ouvrage est une description limpide
et imagée des relations alambiquées, mercantiles et souvent vénales
entre le pouvoir politique français et les théocraties du Golfe. On
attend avec impatience que les personnes dénoncées poursuivent les
auteurs en justice pour qu'une foule de témoins viennent à la barre
révéler d'autres turpitudes bien plus grandes encore.
La liste de
ceux qui « touchent » est longue comme un jour sans pain,
en voici un échantillon :
Jean-Marie
Le Guen, ami de Manuel Valls, Secrétaire d'État en charge de la
Francophonie est un maître chanteur qui harcèle l'ambassadeur du
Qatar. Nicolas Bays, député PS du Pas-de-Calais est un larmoyant
quémandeur copieusement « abreuvé » à la même source
persique. Rachida Dati mendie avec une indécente vulgarité 400 000
euros « pour son association », Ségolène Royale,
Jean-Vincent Placé... sont suspectés. « nul ne sait si
le sénateur centriste Yves Jégo en croquait », mais sa
collègue de l'Orne Nathalie Goulay « a multiplié les
demandes »...Éric Besson ancien ministre de Sarkozy, Alexis
Bachelet député, Jack Lang Président de l'Institut du Monde arabe
qualifié pareillement « d'interlocuteur sans scrupules ».
Excédé, l'ambassadeur du Qatar se confie aux journalistes :
« je n'ai jamais vu cela
auparavant (dans d'autres pays) on n'est pas une
banque... je ne suis pas là pour
régaler les hommes politiques français »
il ajoute à la cantonade que le distributeur de billets de 500 euros
de l'ambassade est désormais fermé. Qu'on se le dise !
À
l'étranger, la réputation de vénalité des élites politiques
françaises aux affaires est solidement établi. En France, la
corruption est rarement jugée ou alors avec indulgence, jamais
pour trahison.
Mais
l'enquête des journalistes révèle un fait beaucoup plus
grave, passé totalement inaperçu.
Au
détour d'une page, par la confidence d'un Général cinq étoiles,
on apprend que la France est directement engagée au Yémen où
« nous soutenons une forme de massacre par l'Arabie Saoudite ».
Paris fournirait en effet l'imagerie satellite et le renseignement au
sol pour « éclairer » les cibles des bombardiers
saoudiens. C'est tout simplement de l'assistance à crime de guerre !
Pour mémoire, voici le bilan provisoire dressé par les observateurs
de l'ONU en août dernier : 7 000 morts, 36 000 blessés, 3 millions
de déplacés, 14 millions d'affamés, 21 millions de personne en
besoin d'assistance médicale. Sinistre ironie, les frenchs doctors
de MSF ont évacué le pays il y a cinq mois car leur hôpitaux
(ciblés par qui?) étaient bombardés.
La
question de la complicité de la France dans l'agression du Yémen
est un sujet tabou qui n'a soulevé aucun débat ni au Parlement, ni
dans l'opinion, ni même aux primaires de la gauche. C'est le silence
de la honte.
« En
matière de droits de l'Homme, la France n'a d'autre option que
l'exemplarité » : Jean
Marc Ayrault, vœux à la presse, janvier 2017. C'est la duplicité
de la parole !
Autre
lecture salutaire recommandée celle de Richard Labévière, un poids
lourd de la profession. Ses articles sont scrutés à la loupe par
tous les observateurs français et étrangers car il a tissé en
trente ans un formidable réseau qui lui vaut la réputation d'être
le journaliste français le mieux informé d'Afrique du Nord et du
Moyen-Orient. À ce carnet d'adresse hors norme, s'ajoutent
des prédispositions étonnantes à prévoir le jeu des
obscurantistes. Ainsi, dix huit mois avant les attentats du 11
septembre 2001, il faisait paraitre chez Grasset un ouvrage
prémonitoire « Les
dollars de la terreur »
qui demeure une référence en la matière. Auteur prolifique,
journaliste sacqué de RFI pour absence de condescendance envers le
pouvoir, écarté pour les mêmes raisons de la rédaction de la
revue Défense nationale. L'officier de marine de réserve aime la
tempête mais en bon savoyard, il courbe rarement l'échine. Diplômé
de sciences po, il est aux antipodes de la pensées des petits profs
chouchoutés par Calvi et Cavada.
« Terrorisme
face cachée de la mondialisation »
de Richard Labévière édition Pierre-Guillaume Leroux.
L'introduction a été rédigée à Nice, la conclusion est signée
depuis Damas. C'est dire que l'ouvrage n'est pas une réflexion de
salon mais la synthèse d'observations du terrain. Dans sa
préface, Alain Chouet, ancien patron du renseignement des services
secrets français sachant lire entre les lignes,
donne à la parution toute l'importance qu'il mérite.
Trois
cents pages denses et documentées sur le terrorisme, ses causes et
ses effets émotionnels irrationnels, inconsciemment domestiqué par
les médias de la mondialisation. C'est la sobre dénonciation de la
pensée néoconservatrice irresponsable qui se nourrit de la terreur.
L'auteur de la formule « si
Daech n'existait pas il aurait fallu l'inventer »
rappelle que le terrorisme est un carburant qui s'inscrit dans la
logique de la mondialisation et « incarne
le sommet de l'évolution paroxysmique d'une course effrénée à
l'argent ».
Dans cette soif universelle de grisbi, de flouze, de pèze, de
pognon... la France des Tontons flingueurs est placée sur le podium.
Mais le sujet est trop sérieux pour être pris à la légère,
Labévière ne se contente pas d'une échographie du mal, il remonte
aux sources, décrypte les filières et en sept points, propose des
solutions. Cette démonstration ambitieuse, dense, rigoureuse est
ponctuée de digressions savoureuses d'une délectable cruauté,
notamment lorsque l'auteur malmène une palanquée de médiacrates;
manière de rappeler que si le journalisme rassemble des
dissemblables, la profession n'est pas pour autant une confrérie
d'asservis.
Chesnot,
Malbrunot, Labévière, trois signatures de grands anciens, à lire
en édition et à suivre au fil de leurs articles.
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