La
tournée orientale de Donald Trump va modifier la face du monde
arabe. Sauf improbable impeachment, la nouvelle doctrine américaine
aura des conséquences d'une ampleur majeure car le discours de Riyad
devant un parterre de chefs d’État et de gouvernement musulmans
sera la feuille de route de l'administration US pour les prochaines
années. Il convient donc de s'y attarder en se souvenant que celui
d'Obama au Caire en juin 2009 avait été un encouragement clair aux
soulèvements des « printemps » qui suivirent.
Oh
my God ! Business as usual...
Un
Donald ça ose tout, c'est même à ça qu'on le reconnaît. Pour sa
première sortie internationale, il a fait fort : Arabie,
Israël, le Vatican. Évidement, on est tenté d'ironiser sur la
tournée spirituelle du barnum en levant les yeux au ciel. Le
sentiment religieux était magistralement incarné par Trump le
père flanqué de ses deux émouvantes apôtresses
en cheveux en Arabie, en pleurs à Jérusalem, en noir au Vatican,
Trump
a réduit l'équation complexe de l'Orient à quelques idées simples
et simplistes à la façon des mercantis de Brooklyn : on
provoque, on menace, puis on transige en feignant d'être magnanime.
Il
y a encore quelques semaines les pourparlers entre Washington et
Riyad piétinaient ? Alors la Maison Blanche a mis la pression
en refoulant quelques musulmans de nationalités subitement
interdites. Stupeur et consternation des Saoudiens ! Et si
demain l'Arabie étaient mise au ban ? Et si l'Amérique
dénonçait les massacres au Yémen, le financement de Daech et Al
Qaïda, les atteintes aux droits fondamentaux de l'être humain ?
Et si elle abandonnait son protectorat militaire et pétrolier ?
Si elle privait le royaume de Mc Do, KFC et Coca Cola ? Après
avoir rapidement réfléchi, les
Saoudiens
ont convenu qu'ils
n'avaient
pas le choix. Face à un maboul imprévisible, il fallait faire le
dos rond.
Les
négociations ont été menées
par Monsieur gendre, juif pratiquant et sioniste fervent. En face,
les plénipotentiaires du roi n'ont eu d'autres choix que d'avaler
toutes les couleuvres en se remémorant l'un des slogans de la
campagne présidentielle: « les Saoudiens paieront » quand le
roi Salman s'était ouvertement et pécuniairement engagé en faveur
d'Hilary Clinton.
The big deal
Sans
barguigner les Saoudiens ont accepté de
payer une addition salée de 380 milliards ! Ce montant est
fabuleux. C'est pour l'Arabie, l'équivalent de quatre années de
revenus
pétroliers. Le roi n'a pas eu d'autre choix que d'accepter cette
razzia. C'était ça ou la disparition de la dynastie des trancheurs
de cous. Conciliante, l'Amérique pour temps, fera semblant d'oublier
que 15 des 19 assassins de 3 000
New-Yorkais du
World Trade Center étaient des sujets saoudiens ; pour un temps
la Justice
Against Sponsors of Terrorism Act (Jasta)
regardera ailleurs.Ce répit est le prix du sang.
La
transaction va créer des milliers et des milliers d'emplois en
Amérique ; elle va aussi provoquer des années d'austérité
budgétaire chez
les Saoudiens qui seront contraints de
brader la privatisation de l'Aramco, première entreprise mondiale
valorisée à plus de 3 000 milliards de dollars. D'autre big deals
en perspective...
La
seule concession en trope l'oeil de Washington est l'Iran.
Qu'à
cela ne tienne, les États Unis ont promis de reprendre leur
propagande iranophobe (tout en maintenant leurs liens discrets). La
stigmatisation de l'Iran présente entre autres avantages de
justifier la commande d'une première tranche de 110 milliards de
dollars d'armement par l'Arabie (montant record jamais égalé dans
le monde) et d'éviter une trêve entre sunnites et chiites
qui affaiblirait Israël. Le pouvoir de Téhéran qui venait d'être
reconduit très démocratiquement ne s'y est pas trompé ;
assimilant la tactique de Trump en Arabie à celle d'un représentant
de commerce il a modérément protesté
critiquant la vache à lait saoudienne qui se laisse traire avant
d'être égorgée.
Ya
salam ! Salman, Melania & Yvenka ?
Le
voyage à Riyad avait été mitonné aux petits oignons par de grands
chefs de la communication planétaire. Arrivé flanqué de son épouse
et de sa fille, toutes deux superbement enrobées et crinières
déployées, Trump a été accueilli par le roi et sa cour au grand
complet. L'image resplendissante de Melania et de Yvenka toisant le
roi des obscurantistes a fait le tour du web immédiatement. Les
Saoudiens
qui sont les plus branchés de la planète se sont déchainés sur
les réseaux sociaux. On raconte même que dans les casernes, des
soldats lubriques ont affiché au mur le journal du jour avec la
photo incroyablement libertine de ces deux femmes impudiques,
exhibant fièrement leur visage, leurs chevilles et leurs mains
totalement dénudés !
À
la vue de ces images, les wahhabites ont compris que leur roi faisait
allégeance au suzerain américain.
Après
un banquet et quelques simagrées folkloriques avec son vassal, Trump
a convoqué les 5 émirs des pétromonarchies du Golf pour leur faire
la leçon. Puis il a adressé un message à la cinquantaine de chefs
d’État et de gouvernement accourus la veille avec empressement.
Dans les sommets diplomatiques de ce genre, il est d'usage que chacun
prenne la parole à tour de rôle, mais à Riyad, fait sans
précédent, le Président seul et unique orateur a harangué un
parterre muet de représentants de pays soumis.
Venu
délivrer son message universel aux musulmans sunnites, Trump s'est
comporté en Pape de toutes les religions.
L'audition
ou la lecture de la transcription de cette allocution de 58 minutes a
plongé les diplomates de toutes les chancelleries dans une profonde
perplexité. Comment analyser ce galimatias de phrases à la syntaxe
approximative, pauvre en vocabulaire, riche en formules creuses.
Comment trier l'important du superficiel ?
Les
dirigeants musulmans assis dans la gigantesque et luxueuse salle de
conférence ont écouté sagement, la mine perplexe ou consternée.
Ils ont applaudi modérément. Aucun d'entre eux ne s'est levé pour
crier « je
vous aime ! »
comme jadis un étudiant du Caire à Obama.
Après
avoir débité une introduction d'autosatisfaction – à l'adresse
du public américain - vantant les milliards de commandes engrangés,
le President
Trump s'est adressé aux
musulmans sur un registre simpliste et redondant autour de deux
mots : Dieu et terroristes.
Florilèges : « C'est
un combat entre Dieu et le Diable, entre la paix et le terrorisme...
L'Amérique ne peut pas choisir à votre place.... Chassez les
terroristes, chassez les hors de votre terre sacrée...Chaque pays de
cette région a l'absolu devoir de s'assurer qu'il n'y a aucun
sanctuaire pour les terroristes sur son sol... Si vous
choisissez le chemin de la terreur, votre vie sera vide, votre vie
sera courte et vous perdrez votre âme »
La
menace était enveloppée
dans un flot de compliments adressés aux uns et aux autres pour
leurs efforts dans la lutte contre le terrorisme. Comble de la
duplicité au pays des hypocrites, il a félicité l'Arabie « qui
a pris des mesures fortes contre les Houthis au Yémen »
(28 mois de bombardements quotidiens, des dizaines
de
milliers de victimes civiles, une économie ravagée, un peuple
affamé décimé par les épidémies ...)
Trump
a aussi annoncé la création en Arabie d'un Centre Mondial de la
lutte contre l'idéologie extrémiste. C'est l'union des assassins
pour la protection de leurs victimes. Il fallait oser !
La
diplomatie money cash
Trump
est inculte, vulgaire et grossier mais c'est une businessman de
métier qui vient de réussir la plus belle transaction commerciale
de tous les temps. La diplomatie d'affaires a pris le pas sur la
diplomatie d'influence salafiste. C'est une option décalée appelée
à remporter d'autres succès au Moyen-Orient si les formes sont
respectées et que les perdants ne sont pas humiliés.
Après
avoir encaissé le chèque des Saoud, Trump a inauguré la liaison
aérienne Riyad-Tel Aviv où il s'est posé avant d'aller se lamenter
en famille devant le mur de Jérusalem. Oh my God ! Sa cote de
popularité a bondi aux Etats-Unis alors que les dents de tous les
intégristes musulmans grinçaient.
Il
a rencontré abondamment les Israéliens et pour faire bonne mesure,
il est aussi allé voir les Palestiniens à Bethléem ville emmurée.
Aux colonisés dans leur propre pays, il a sentencieusement déclaré
« faire
la paix ne sera pas facile...
mais avec de la détermination et de la conviction les Israéliens et
les Palestiniens peuvent conclure un accord »
Publiquement il n'a pas eu un mot pour les milliers de prisonniers
palestiniens
en grève de la faim depuis le 17 avril pour obtenir des conditions
de détention décentes. Mais selon Le Monde, journal très informé,
son influence aurait été déterminante pour faire fléchir les
Israéliens contraints d'entamer des négociations avec Marouane
Barghouti quelques heures après le départ du Président Américain.
Piquer
les sous aux
Saoudiens,
défendre les prisonniers palestiniens, décidément, le bilan de la
tournée Trump n'est pas si détestable !
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