vendredi 8 septembre 2017

Mohamed Ben Salman en marche vers l'Empire d'Arabie

Une révolution silencieuse est en train de projeter l'Arabie Saoudite vers un destin dont nul ne peut prédire s'il sera salutaire ou dévastateur. L'artisan de ce bouleversement discret est un jeune Prince ambitieux, Mohamed fils de Salman qui à la faveur d'un coup d'éclat de Palais en juin dernier, a été sacré unique héritier de son père très âgé. Il ne porte pas encore la couronne mais il est déjà roi et demain, si Allah (et l'Amérique) le veut il sera empereur des arabes.


Portrait
Il y a seulement six ans, rares étaient ceux qui auraient parié un riyal sur l'avenir de ce jeune homme nonchalant que l'on voyait quelques fois à la belle saison déambuler sur les Champs-Élysées. Depuis, il a conquis le royaume en élaguant les mauvaises branches d'une cousinade qui lui faisait de l'ombre. Son exploit au cœur d'une cour royale de gérontes où prolifèrent les « Duc de Guise » et les inquisiteurs de la charia porte l'espoir de la sortie de son pays du moyen-âge.
À 31 ans, sa puissance est sans égale. Il est maître d'un richissime royaume pétrolier sur-armé où un milliard et demi de musulmans rêvent d'aller s'agenouiller. On le dit benêt, on le suppose inexpérimenté et capricieux, on le moque, on le craint. D'allure douce et placide, il a grandi à l'ombre d'une mère de fer et d'un père de velours. Contrairement à ses frères diplômés, il n'a pas suivi de scolarité à l'étranger. L'autodidacte est un géant taiseux qui prise les retraites paisibles sur son yacht ou sur une île des Maldives. Il n'est pas fêtard comme ses cousins de son âge ; c'est un épicurien qui admire la culture japonaise, mange des sushis et pratique la politique comme un art martial. On aurait tort de croire que c'est depuis sa chaise longue et par la seule grâce de son papa qu'il est passé de l'ombre des chambellans à la lumière des grands de ce monde car il faut avoir l'esprit rusé et des dents acérées pour parvenir à dominer en quelques années un sérail truffé de courtisans sournois.


Les trois sabres
Rompant avec la tradition des subtiles compromis feutrés, les Salman père et fils ont conquis le pouvoir par une succession d'astucieux coups de force écartant méthodiquement tous les prétendants au trône.
La tâche n'était pas facile car en quatre générations, la famille polygame d'Abdulaziz, fondateur de la dynastie, mort en 1953, a proliféré pour atteindre 7 milliers d'Altesses. Chacune bénéficiant d'une rente, prébendes et privilèges à la hauteur de son rang. À la cour, fourmilière d'intrigants, le pouvoir de la force du sabre appartenait à trois lignées de Princes de premier rang, chacun disposant de sa propre armée.
Ainsi, les Sultan commandaient sans partage le Ministère de la Défense et de l'aviation (MoDA) ; les Nayef régnaient pareillement depuis 1975 au Ministère de l'Intérieur et les Abdallah à la Garde Nationale. Ces armées de plus de cent mille hommes sur-équipées, dotées d'un budget sans limites ni contrôle, disposaient de ses propres services de renseignement et de ses réseaux d'influence diplomatique. Chacune constituait un Royaume dans le Royaume. Le roi se contentait d'arbitrer les querelles permanentes du sérail avec plus ou moins d'autorité. Il n'était pas le monarque absolu que le protocole laissait supposer, mais l'otage de ses demi-frères à l'exception d'Abdallah, le Ministre de la Garde nationale bédouine qui se tenait loyalement à l'écart des intrigues.
Cette royale pétaudière ne dérangeait pas les bonnes affaires du monde, bien au contraire, mais l'ingérence des Altesses caractérielles dans les conflits à l'étranger échappait de plus en plus au contrôle du protecteur américain. La multiplication des réseaux princiers salafistes qui menaient sans logique ni concertation leur jihad personnalisé et meurtrier aux quatre coins du monde était devenu incontrôlable. Après avoir vainement ten de les instrumentaliser, Washington s'est tardivement décidé à y mettre bon ordre en favorisant l'émergence de la branche la moins détestée et la moins corrompue des Saoud. À charge pour les Salman de faire le ménage en liquidant l'hégémonie des Sultan et des Nayef.


L'émergence de la dynastie Salman
La révolution de Palais commence en novembre 2011 lorsque Salman, le populaire gouverneur de Riyad réussit à se faire nommer ministre de la défense à la mort de son demi-frère Sultan qui occupait le poste depuis 59 ans. Devenu roi en janvier 2015, Salman transmet le portefeuille à son benjamin de fils, Mohamed alors âgé de 28 ans.
La fonction semblait alors totalement hors de portée de sa juvénile inexpérience. Le Ministère Saoudien de la Défense et de l'Aviation (MoDA) est une forteresse gangrenée par les fournisseurs d'armes et des officiers d'opérette peu soucieux d'encadrer les troupes de mercenaires pakistanais, égyptiens, soudanais... Malgré ses arsenaux bondés de matériels sophistiqués, ses capacités opérationnelles n'étaient pas probantes, sa mission de défense apparaissait sans cesse détournée par les intérêts mercantiles d'une hiérarchie corrompue.
À peine nommé, le nouveau ministre ordonna une offensive contre le Yémen voisin. (1) Trente mois plus tard, les effroyables bombardements incessants qui perdurent ont entrainé une catastrophe humanitaire dont sont victimes des millions de pauvres gens. Mais alors que l'armée est toujours engluée sur le front de cette guerre ingagnable, on peut se demander si l'impulsive offensive de Salman n'avait pas pour objectif principal d'occuper les officiers de l'armée saoudienne en les détournant de toutes tentations de sédition. De surcroît, ce massacre avait valeur de test d'autorité et d'impunité sur la scène internationale car dans les capitales biens pensantes, on protesta mollement. Il faut dire que les commandes affluaient suite à la tournée des fournisseurs du Prince-ministre : Moscou, Washington, Londres, Paris, Pékin... À ses fonctions de Commandant en Chef d'une armée dispendieuse, il avait entre temps ajouté celle de Président du Conseil Économique de Développement qui chapeaute tous les ministères et proposé de nationaliser au plus offrant le géant du pétrole Aramco. Le chefs d'Etats déroulèrent le tapis rouge ; même l'empereur du Japon ! Singulièrement, Hollande et Valls, après avoir mordicus soutenu le clan Sultan misaient alors sur Nayef ministre de l'intérieur de père en fils depuis 1975. Mauvaise pioche ! Celui-ci, après avoir été promu Prince héritier par le roi Salman le temps de le distraire de son ministère, était brutalement dégagé au premier jour du printemps dernier. Selon un observateur bien informé, Nayef a été arrêté et mis au secret pendant toute une nuit pendant qu'un conseil d'allégeance réuni en hâte le destituait et nommait à sa place Mohamed Ben Salman qui depuis lors, au coté de son vieux roi de père, règne sans partage.


Vision 2030
Contrairement à la plupart des pays arabes qui tardent à la manœuvre, l'Arabie contre toute attente, est passée de la gérontocratie à la juvénilocratie. Mohamed Ben Salman a brutalement secoué les tapis poussiéreux. Entouré de jeunes technocrates pragmatiques il a lancé à grand renfort de communicants un plan de développement dont l'ambition est de faire muter la société médiévale d'Arabie vers le modèle des Emirats Arabes Unis. Vaste programme qui se heurte à l'opposition d'une fraction fanatisée mais porte l'espoir d'une population de 20 millions de sujets avides de consommation dont une large proportion stagne dans un état de pauvreté inimaginable.  
C'est une révolution des mentalités car le culte wahhabite intégriste est voué à l'adoration du passé. L'avenir n'appartient qu'à Dieu. La planification est par conséquent une tentative quasi séditieuse de peser sur le destin. Vision 2030 - qui s'affiche en calendrier grégorien et non hégirien sur toutes les façades de la capitale - s'inscrit dans une échéance qui exclut la génération des barbons et porte l'espoir d'un renouveau. La jeunesse la plus connectée de la planète qui représente les trois quart de la population a bien compris le message. Ben Salman est populaire. D'autant qu'il a multiplié les nominations de diplômés roturiers et les signes d'une « libéralisation » des moeurs en permettant la tenue de concerts, en autorisant la compétition sportive féminine, en faisant libérer une gamine qui avait eu l'audace de se faire photographier en jupe sur un lieu publique ou un gamin qui dansait la macaréna dans la rue. Depuis que Salman a amputé les pouvoirs d'inquisition des brigades de la « Préservation de la Vertu et de la Lutte contre le Vice », la jeunesse soulagée multiplie les audaces ; elle se met à rêver la fin du cauchemar. La dernière initiative « réformiste » de la cour projète la mise en valeur du potentiel touristique du pays par la création de zones de loisirs sur les bords de la mer Rouge. Demain le Club Med en Arabie ? En attendant, Ben Salman a personnellement négocié avec l'américain Six Flags, le concurrent de Disney l'implantation d'un gigantesque parc de loisirs qui concurrencera ceux de Dubaï.

Mise au pas
Ces soupirs de tolérances masquent l'impitoyable répression des libertés. Le Prince héritier brise tous ceux qui lui résistent. Nul n'est épargné, ce qui donne l'illusion de l'équité. La bourgeoisie a été la première a en faire les frais. La richissime et jadis intouchable famille Ben Laden s'est retrouvée au bord de la faillite et le puissant groupe de BTP Oger a vacillé... (2) Le patronat a vite compris la leçon. Depuis, aucune initiative financière ou économique d'envergure n'est devenue possible sans l'assentiment préalable de Ben Salman.
La noblesse a pareillement été mise au pas. Fait sans précédent, une altesse royale accusée de crime crapuleux a été décapitée l'an dernier. D'aucuns pensent que l'affaire était autrement plus grave. Bien sûr, l'épée de Damoclès pèse plus lourd sur le simple roturier car l'arsenal liberticide a été renforcé au nom de la lutte contre le terrorisme. Chaque lamentation risque d'être mal interprétée et peut valoir à l'imprudent le fouet et l'enfermement. Combien de Badawi, de Kashgari, combien de milliers de chevaliers de La Barre croupissent dans les cachots pour avoir osé penser ? (3)
Enfin, le pouvoir religieux monopolisé par le clan des Al al Cheikh descendants d'Abd-al-Wahab - fondateur du wahhabite né vers 1700 qui s'est illustré par le nivellement des tombes et la lapidation des femmes - est jusqu'à présent resté indifférent au réformisme de Ben Salman qui en contrepartie, permet une hystérique et sanglante croisade contre la minorité chiite du royaume. Les intégristes saoudiens qui mettent les chiites au premier plan de leur haine (avant les juifs et les mécréants) sont ravis.


L'or dans une main, le fer dans l'autre
La volonté de domination des âmes s'étend au-delà des frontières. La diplomatie religieuse saoudienne exerce une influence envahissante dans toutes les mosquées sunnites de la planète. Elle disposerait d'un budget faramineux de l'ordre de 9 milliards de dollars selon Pierre Conesa. Par l'or ou le fer, les musulmans doivent se soumettre. En premier lieu les proches voisins. Après l'invasion du Yémen voisin, Salman est déterminé à rabattre le caquet à l'arrogant petit Qatar dont l'Émir soutient les Frères Musulmans et le Hezbollah mais surtout, qui affiche une posture de fermeté vis-à-vis d'Israël et de compromis envers l'Iran. Tout le contraire de l'Arabie. À la stupéfaction générale, en juin dernier, l'Arabie a fermé ses frontières et placé Doha en quarantaine. (4) Depuis, l'émirat clame crânement « même pas mal » avant de se résoudre à mettre bientôt un genou à terre. La communauté internationale est bien embarrassée car entre ceux qui encagent les poètes et ceux qui fouettent les bloggers, il ne s'agit pas d'évaluer la capacité de malfaisance des sectateurs wahhabites, mais leur pouvoir d'achat.
Cette crise profite aux États Unis dont les entreprises gagnent des parts de marchés au détriment des européens qui tentent tour à tour sans illusion une médiation. Tous les émissaires de bonne volonté se sont fait éconduire par Salman, car le rôle est réservé à Donald Trump dont la nouvelle politique saoudienne a les faveurs.

Vers l'Empire d'Arabie
Le Président des États-Unis n'est pas mécontent de la disgrâce de Nayef et des ennuis de l'Émir du Qatar car l'un et l'autre avaient généreusement financé la campagne électorale d'Hillary Clinton. Pourtant, au-delà de cette petite satisfaction, Trump ne peut ignorer que l'Arabie est le premier propagandiste de l'islamiste sectaire qui propage la haine et financent l'intolérance sur tous les continents. Mais il a fait semblant de l'ignorer, exercice qui lui était aisé. Mieux, il a créé à Riyad un Centre mondial de lutte contre les idéologies extrémistes ! Mais aux Saoudiens qui avaient racheté au prix fort leur nouveau statut de repenti il a lancé une menace à peine voilée : « Il y a un choix à faire entre deux futurs – et c’est un choix que les États-Unis ne peuvent pas faire à votre place. Si vous choisissez d’emprunter le chemin du terrorisme, votre vie sera vidée de toute substance, votre vie sera brève et votre âme sera damnée à tout jamais » Discours du 21 mai 2017 au sommet arabe islamo-américain de Riyad.
Mohamed Ben Salman a clairement compris le message. Il porte désormais le destin d'appliquer à la lettre la feuille de route US. S'il réussit, le demi-roi deviendra Empereur de la péninsule arabe dominant le pétrole mondial et 100 millions de sujets. Sinon, le Pentagone a sans doute prévu un plan B. Mais le Saoudien ne trahira pas le deal topé avec l'Américain... du moins, tant que Donald Trump occupera la Maison Blanche. 

(1) https://hybel.blogspot.fr/2015/03/yemen-les-dernieres-nouvelles-de-demain.html

(2) https://hybel.blogspot.fr/2015/09/la-chute-de-lempire-ben-laden.html

(3) https://hybel.blogspot.fr/2012/02/hamza-kashgari-est-il-francais.htm

(4) https://hybel.blogspot.fr/2017/06/le-qatar-au-pilori.html

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