Qui
l'eut cru ?
Pour célébrer le centenaire de la Révolution d'octobre, le roi
d'Arabie s'est invité au chevet de Lénine ! Ces épousailles
historiques entre la carpe et le lapin sont passées quasiment
inaperçues alors qu'elles préfigurent sans doute de la bascule vers
un désordre nouveau ou vers
une paix inédite au Moyen-Orient.
Quelles
impérieuses raisons ont pu précipiter le vieux roi d'Arabie Salman
dans son Jumbo Jet médicalisé qui est allé se poser six heures
plus tard, à la nuit tombée, par un temps frisquet sur un aéroport
de Moscou où il avait été précédé par 1 500 courtisans. Signe
que la Royale escapade allait se dérouler dans la contrariété,
l'escalator électrique déployé de l'avion refusa obstinément de fonctionner
contraignant le vieillard à descendre une à une les marches dorées
du luxueux engin. En bas, ni Poutine, ni Medvedev ne s'était
déplacé. On avait seulement dépêché un dignitaire débonnaire en
col roulé. Il semblait alors que la première visite d'un roi d'Arabie
en Russie ne serait pas placée sous le signe du baiser sur la
bouche. Et pourtant...
Rencontres,
banquets, visites protocolaires s'enchainèrent pendant quatre
longues journées. Pour remplir l'agenda et occuper les journalistes
en marge de la « semaine culturelle de l'Arabie en Russie »
des colloques de gens bien élevés discoururent sur des sujets
universels que l'Arabie et la Russie ont contribué à faire
progresser comme celui des droits de l'Homme ou de la liberté d'expression.
Plus concrètement, les dirigeants des deux pays ont convenu
de booster leurs échanges commerciaux qui se limitaient jusqu'à
présent à quelques millions de dollars d'orge, de pâtes
alimentaires, et de minerais. Désormais, il faudra compter en
milliards. Tous les exportateurs russes
seront à la fête.
Le
plus stupéfiant des engagements concerne
la coopération dans le secteur de l'armement.
La
Kalachnikov, arme fétiche des pays du Pacte de Varsovie sera pour la
première fois de son histoire produite dans un pays de l'Ouest ! Le
fusil emblématique de tous les révolutionnaires de la terre, celui
qui figure sur le drapeau du Hezbollah sera fabriqué dans le royaume
de son plus fidèle ennemi ! Au lendemain de cette annonce
stupéfiante qui a même étonné le monde des blasés, un quidam sans doute désespéré par la nouvelle, a pris d'assaut le Palais Royal à
Jeddah tuant deux gardes avant d'être lui même abattu... la
Kalachnikov à la main. Coïncidence ou avertissement ?
Autre
motif d'étonnement, l'Arabie a confirmé l'achat de rampes de
missiles mobiles capables de
faire bouclier à toute intrusion dans
son espace aérien. Le système S-400 qui est déployé en Russie
face aux forces de l'OTAN, dote également les armées d'Algérie, de
Chine et de Turquie. Tout comme Erdogan, Salman ne semble pas faire
totalement confiance à son protecteur américain dont le congrès
s'est pourtant empressé d'autoriser l'exportation en Arabie de
batteries THAAD, rivales du S-400. Il faut dire que nul n'est
aujourd'hui capable de mesurer l'efficacité réelle de ces très
couteux systèmes. Mais sans attendre le « combat proven »
sans cesse annoncé et toujours reporté en Corée du Nord, Salman
qui en a les moyens, a choisi pour plus de sureté de se payer les
deux.
Nouvelle
plus réconfortante : depuis Moscou, le Ministre Saoudien des
affaires étrangère a révélé que son
royaume avait révoqué des milliers d'imams coupables d'avoir prêché
la haine ; il en a profité pour accuser le Qatar d'avoir
financé ces mauvais salafistes.
Sur
la politique régionale, afin de rassurer les naïfs, Salman et Medvedev
ont côte
à côte
psalmodié des vœux pieux : arrêt des souffrances du
peuple palestinien,
paix et stabilité pour la Syrie et le Yémen, arrêt de
l'interventionnisme iranien,
respect de bon voisinage...Au plan économique ils ont l'un et
l'autre souhaité une stabilisation des cours du pétrole, et l'Arabie s'est engagée à créer
un giga fonds d'investissement pour promouvoir l'innovation en
matière d'énergies solaires et nucléaires dans le royaume.
À
l'issue de cette incroyable rencontre entre des personnages aux
antipodes de la sphère diplomatique internationale, toutes les
spéculations sont permises. En Syrie d'abord dont il faut rappeler,
que la guerre a été provoquée, soutenue et perdue par l'Arabie
Saoudite, et de laquelle la Russie sort vainqueur. Au Yémen ensuite, dont le
tiers du territoire est quotidiennement tapissé de bombes
saoudiennes mais qui résiste et porte la guerre chez son agresseur.
Dans ce pays anéanti où elle a depuis les premiers jours acheminé
l'aide humanitaire, la Russie devient l'incontournable médiateur.
Enfin, elle s'impose également comme l'unique interlocuteur crédible capable
d'apaiser les tensions et de garantir un pacte de non agression entre
l'Arabie et l'Iran.
Pour
Washington, ce voyage est un camouflet diplomatique d'autant que le
roi Salman, fin connaisseur de l'Amérique dont il a fréquenté tous
les Présidents depuis John Kennedy, est en mesure d'apprécier la
valeur de la poignée de main qu'il a échangé avec Donald Trump il
y a quatre mois.
Comme
toujours, le diable se niche dans les détails.
Le
roi qui souhaitait être fait docteur honoris causa de la
prestigieuse université de l'Amitié des Peuples Patrice-Lumumba
s'est contenté d'une remise en grande pompe du diplôme de
l'Institut de formation des diplomates russes. Pour
Salman, le chemin de Moscou fut celui de Canossa. Et ce n'est qu'un
début car l'acte de contrition accompagné du paiement de quelques
armements ne soldera pas pour autant le tribut que réclament les
Russes pour prix de leur nouveau protectorat sur le Moyen-Orient.
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