lundi 9 octobre 2017

Le roi Salman d'Arabie sur la place Rouge

Qui l'eut cru ? Pour célébrer le centenaire de la Révolution d'octobre, le roi d'Arabie s'est invité au chevet de Lénine ! Ces épousailles historiques entre la carpe et le lapin sont passées quasiment inaperçues alors qu'elles préfigurent sans doute de la bascule vers un désordre nouveau ou vers une paix inédite au Moyen-Orient.

Quelles impérieuses raisons ont pu précipiter le vieux roi d'Arabie Salman dans son Jumbo Jet médicalisé qui est allé se poser six heures plus tard, à la nuit tombée, par un temps frisquet sur un aéroport de Moscou où il avait été précédé par 1 500 courtisans. Signe que la Royale escapade allait se dérouler dans la contrariété, l'escalator électrique déployé de l'avion refusa obstinément de fonctionner contraignant le vieillard à descendre une à une les marches dorées du luxueux engin. En bas, ni Poutine, ni Medvedev ne s'était déplacé. On avait seulement dépêché un dignitaire débonnaire en col roulé. Il semblait alors que la première visite d'un roi d'Arabie en Russie ne serait pas placée sous le signe du baiser sur la bouche. Et pourtant...

Rencontres, banquets, visites protocolaires s'enchainèrent pendant quatre longues journées. Pour remplir l'agenda et occuper les journalistes en marge de la « semaine culturelle de l'Arabie en Russie » des colloques de gens bien élevés discoururent sur des sujets universels que l'Arabie et la Russie ont contribué à faire progresser comme celui des droits de l'Homme ou de la liberté d'expression. 
Plus concrètement, les dirigeants des deux pays ont convenu de booster leurs échanges commerciaux qui se limitaient jusqu'à présent à quelques millions de dollars d'orge, de pâtes alimentaires, et de minerais. Désormais, il faudra compter en milliards. Tous les exportateurs russes seront à la fête.

Le plus stupéfiant des engagements concerne la coopération dans le secteur de l'armement.
La Kalachnikov, arme fétiche des pays du Pacte de Varsovie sera pour la première fois de son histoire produite dans un pays de l'Ouest ! Le fusil emblématique de tous les révolutionnaires de la terre, celui qui figure sur le drapeau du Hezbollah sera fabriqué dans le royaume de son plus fidèle ennemi ! Au lendemain de cette annonce stupéfiante qui a même étonné le monde des blasés, un quidam sans doute désespéré par la nouvelle, a pris d'assaut le Palais Royal à Jeddah tuant deux gardes avant d'être lui même abattu... la Kalachnikov à la main. Coïncidence ou avertissement ?
Autre motif d'étonnement, l'Arabie a confirmé l'achat de rampes de missiles mobiles capables de faire bouclier à toute intrusion dans son espace aérien. Le système S-400 qui est déployé en Russie face aux forces de l'OTAN, dote également les armées d'Algérie, de Chine et de Turquie. Tout comme Erdogan, Salman ne semble pas faire totalement confiance à son protecteur américain dont le congrès s'est pourtant empressé d'autoriser l'exportation en Arabie de batteries THAAD, rivales du S-400. Il faut dire que nul n'est aujourd'hui capable de mesurer l'efficacité réelle de ces très couteux systèmes. Mais sans attendre le « combat proven » sans cesse annoncé et toujours reporté en Corée du Nord, Salman qui en a les moyens, a choisi pour plus de sureté de se payer les deux.
Nouvelle plus réconfortante : depuis Moscou, le Ministre Saoudien des affaires étrangère a révélé que son royaume avait révoqué des milliers d'imams coupables d'avoir prêché la haine ; il en a profité pour accuser le Qatar d'avoir financé ces mauvais salafistes.

Sur la politique régionale, afin de rassurer les naïfs, Salman et Medvedev ont côte à côte psalmodié des vœux pieux : arrêt des souffrances du peuple palestinien, paix et stabilité pour la Syrie et le Yémen, arrêt de l'interventionnisme iranien, respect de bon voisinage...Au plan économique ils ont l'un et l'autre souhaité une stabilisation des cours du pétrole, et l'Arabie s'est engagée à créer un giga fonds d'investissement pour promouvoir l'innovation en matière d'énergies solaires et nucléaires dans le royaume.

À l'issue de cette incroyable rencontre entre des personnages aux antipodes de la sphère diplomatique internationale, toutes les spéculations sont permises. En Syrie d'abord dont il faut rappeler, que la guerre a été provoquée, soutenue et perdue par l'Arabie Saoudite, et de laquelle la Russie sort vainqueur. Au Yémen ensuite, dont le tiers du territoire est quotidiennement tapissé de bombes saoudiennes mais qui résiste et porte la guerre chez son agresseur. Dans ce pays anéanti où elle a depuis les premiers jours acheminé l'aide humanitaire, la Russie devient l'incontournable médiateur. Enfin, elle s'impose également comme l'unique interlocuteur crédible capable d'apaiser les tensions et de garantir un pacte de non agression entre l'Arabie et l'Iran.

Pour Washington, ce voyage est un camouflet diplomatique d'autant que le roi Salman, fin connaisseur de l'Amérique dont il a fréquenté tous les Présidents depuis John Kennedy, est en mesure d'apprécier la valeur de la poignée de main qu'il a échangé avec Donald Trump il y a quatre mois.
Comme toujours, le diable se niche dans les détails.
Le roi qui souhaitait être fait docteur honoris causa de la prestigieuse université de l'Amitié des Peuples Patrice-Lumumba s'est contenté d'une remise en grande pompe du diplôme de l'Institut de formation des diplomates russes. Pour Salman, le chemin de Moscou fut celui de Canossa. Et ce n'est qu'un début car l'acte de contrition accompagné du paiement de quelques armements ne soldera pas pour autant le tribut que réclament les Russes pour prix de leur nouveau protectorat sur le Moyen-Orient.

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