dimanche 4 février 2018

Les deux petites phrases de Macron à Tunis


La visite d'État est un voyage très organisé dont le cérémonial fixé par les usages protocolaires est sans surprise: tapis rouge, hymnes nationaux, dîner en smoking ou robe longue, échange de cadeaux et décorations, déclaration d'amitié à la tribune de la Chambre, dépôt de gerbes, rencontre avec le patronat, visite au musée, cocktail à l'ambassade, conférence de presse expresse...
Ceux qui couvaient l'espoir d'un grand discours sur la vision macronienne du monde arabo-musulman ont été déçus. Le Président français s'est strictement inscrit dans la continuité de la visite de François Hollande il y a quatre ans. C'est un copié-collé qui montre que le Quai d'Orsay chausse encore les souliers de Fabius. (1) Mais il faut rendre justice au Président Macron de l'avoir fait avec un surplus de talent et d'empathie.

La situation politique en Tunisie est alarmante. On a oublié que les causes de la révolution de 2011 étaient d'abord économiques. Pourtant, rien n'a été entrepris pour juguler l'extrême pauvreté d'une grande partie de la jeunesse dont l'unique espoir est l'immigration vers deux destinations périlleuses : Lampedusa ou Misrata ; vers deux destins : travailleur clandestin en Europe ou mercenaire en Libye. 
Il y a quinze ans, Chirac dans des circonstances affligeantes et pour justifier la dictature odieuse déclarait depuis Tunis que « le premier des droits de l'homme c'est manger, être soigné, recevoir une éducation et avoir un habitat ». Or si aujourd'hui les libertés fondamentales ont été gagnées de haute lutte, une large proportion de la population stagne dans la misère et la désolation.
Pour conjurer le pire, le pouvoir pratique le déni. Cette pensée politique positive occulte le désarroi par l'affichage des acquis indéniables de la révolution. Elle joue sur le temps long, elle ressasse que l'Europe a mis des siècles pour parfaire son modèle et que la démocratie ne se décrète pas en un jour. Le malentendu est total entre les ventres creux et les repus entre ceux qui réclament du pain maintenant et ceux qui promettent un bulletin de vote pour demain. 

« Nous ne vous aiderons pas en tant qu’ami ordinaire ou ami proche, nous vous aiderons en tant que frères et sœurs ». Aucun média n'a relevé la portée de cette déclaration. En Français ou en Arabe, les mots ont un sens. Cette nouvelle fratrie franco-tunisienne qui s'appuie sur les liens d'une consanguinité historique est un engagement solennel du Président Macron à la tribune de l'Assemblée des représentants du peuple. En Tunisie tout particulièrement, la fraternité ne se galvaude pas, elle implique des devoirs sacrés. Le premier d'entre eux est l'hospitalité et le partage, le second c'est la protection de la maison familiale. En clair Macron a promis aux tunisiens des visas et la paix.


Toutes les autres paroles du Président relèvent des convenances diplomatiques prélevées à la source d'eau tiède du Quay d'Orsay. Le renforcement des liens entre les pays riverains de la Méditerranée « cimetière des espoirs déçus » est une tarte à la crème réchauffée. Après le 5+5, le partenariat Euromed, l'Union pour la Méditerranée , Macron d'Orsay propose une nouvelle poupée gigogne : un 3+3 au destin éphémère. La francophonie est pareillement un thème diplomatique récurrent qui ne fâche personne. Mais alors que la langue française est en perte de vitesse en Tunisie, la demande d'enseignement et de formation est si forte que les établissements privés français se multiplient. Il est symptomatique que le jour de la visite du Président, les 6 000 élèves des établissements de la mission française et leurs professeurs se soient mis en grève pour protester contre les restrictions budgétaires. 
Au plan économique, les échanges sont en chute libre. L'Italie supplante désormais la France, du jamais vu depuis un siècle ! À part les PDG de Free et d'Orange dont les sympathies pour le chef de l'État sont connues aucun grand capitaine d'industrie n'avait fait le voyage. Les médias se sont rabattus sur l'invité vedette du Président, un boulanger tunisien qui fournit le pain à l'Élysée. Dans la salle des congrès, les participants au forum organisé par la dynamique Chambre de commerce franco tunisienne se sont amusés de la présence très courtisée d'un certain Emmanuel Macqueron patron d'une kyrielle de PME dans le secteur de l'énergie solaire. À la tribune, son homonyme a annoncé des mesures de soutien sans grande envergure. « On attendait un plan Marshall, on a Bison Futé » a commenté un homme d'affaires facétieux. (2)

« L'important se joue ici, si vous échouez, nous échouons » a martelé à plusieurs reprises le chef de l'État français. Au delà de son lyrisme, la formule vaut engagement implicite d'une protection sécuritaire inconditionnelle.
Fragile, la Tunisie est à la merci de toutes les influences. Les dernières émeutes ont été instrumentalisées. (3) « Dans dix villes différentes au même moment des camions de pneus ont été acheminés pour être enflammés » rapporte la très respectée journaliste Souhayr Belhassen, Présidente d'honneur de la Ligue Internationale des droits de l'Homme. Par ailleurs, elle accuse le Qatar et les Emirats Arabes Unis de se livrer à une guerre froide par Tunisie interposée. (4)
Le risque d'une propagation des querelles arabo-arabes et islamo-musulmanes est avéré. L'Arabie Saoudite - qui héberge Ben Ali - pourrait faire monter les enchères d'une Tunisie en détresse tentée de se vendre au plus offrant. Le roi Salman a annoncé qu'il se rendrait prochainement en visite en Tunisie. Combien de milliards mettra t-il sur la table pour endiguer l'influence des valeurs de la France ?

Au delà des dithyrambes du Président français à la gloire de la révolution tunisienne, on retiendra donc de son voyage à Tunis seulement ces deux « petites » phrases, mais qui sont peut-être l'amorce d'une subtile nouvelle politique étrangère.

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