La
visite d'État est un voyage très organisé dont le cérémonial
fixé par les usages protocolaires est sans surprise: tapis rouge,
hymnes nationaux, dîner en smoking ou robe longue, échange de
cadeaux et décorations, déclaration d'amitié à la tribune de la
Chambre, dépôt de gerbes, rencontre avec le patronat, visite au
musée, cocktail à l'ambassade, conférence de presse expresse...
Ceux
qui couvaient l'espoir d'un grand discours sur la vision macronienne
du monde arabo-musulman ont été déçus. Le Président français
s'est strictement inscrit dans la continuité de la visite de
François Hollande il y a quatre ans. C'est un copié-collé qui
montre que le Quai d'Orsay chausse encore les souliers de Fabius. (1)
Mais il faut rendre justice au Président Macron de l'avoir fait avec
un surplus de talent et d'empathie.
La
situation politique en Tunisie est alarmante. On a oublié que les
causes de la révolution de 2011 étaient d'abord économiques.
Pourtant, rien n'a été entrepris pour juguler l'extrême pauvreté
d'une grande partie de la jeunesse dont l'unique espoir est
l'immigration vers deux destinations périlleuses : Lampedusa ou
Misrata ; vers deux destins : travailleur clandestin en
Europe ou mercenaire en Libye.
Il
y a quinze ans, Chirac dans des circonstances affligeantes et pour
justifier la dictature odieuse déclarait depuis Tunis que « le
premier des droits de l'homme c'est manger, être soigné, recevoir
une éducation et avoir un habitat ». Or
si aujourd'hui les libertés fondamentales ont été gagnées de
haute lutte, une large proportion de la population stagne dans la
misère et la désolation.
Pour
conjurer le pire, le pouvoir pratique le déni. Cette pensée
politique positive occulte le désarroi par l'affichage des acquis
indéniables de la révolution. Elle joue sur le temps long, elle
ressasse que l'Europe a mis des siècles pour parfaire son modèle et
que la démocratie ne se décrète pas en un jour. Le malentendu est
total entre les ventres creux et les repus entre ceux qui réclament du pain
maintenant et ceux qui promettent un bulletin de vote pour demain.
« Nous
ne vous aiderons pas en tant qu’ami ordinaire ou ami proche, nous
vous aiderons en tant que frères et sœurs ».
Aucun média n'a relevé la portée de cette déclaration. En
Français ou en Arabe, les mots ont un sens. Cette nouvelle fratrie
franco-tunisienne qui s'appuie sur les liens d'une consanguinité
historique est un engagement solennel du Président Macron à la
tribune de l'Assemblée des représentants du peuple. En Tunisie tout particulièrement, la fraternité ne se galvaude pas, elle
implique des devoirs sacrés. Le premier d'entre eux est
l'hospitalité et le partage, le second c'est la protection de la
maison familiale. En clair Macron a promis aux tunisiens des
visas et la paix.
Toutes
les autres paroles du Président relèvent des convenances
diplomatiques prélevées à la source d'eau tiède du Quay d'Orsay.
Le renforcement des liens entre les pays riverains de la Méditerranée
« cimetière
des espoirs déçus »
est une tarte à la crème réchauffée. Après le 5+5, le
partenariat Euromed, l'Union pour la Méditerranée , Macron d'Orsay
propose une nouvelle poupée gigogne : un 3+3 au destin
éphémère. La francophonie est pareillement un thème diplomatique
récurrent qui ne fâche personne. Mais alors que la langue française
est en perte de vitesse en Tunisie, la demande d'enseignement et de
formation est si forte que les établissements privés français se
multiplient. Il est symptomatique que le jour de la visite du
Président, les 6 000 élèves des établissements de la mission
française et leurs professeurs se soient mis en grève pour
protester contre les restrictions budgétaires.
Au
plan économique, les échanges sont en chute libre. L'Italie
supplante désormais la France, du jamais vu depuis un siècle !
À part les PDG de Free et d'Orange dont les sympathies pour le chef
de l'État sont connues aucun grand capitaine d'industrie n'avait
fait le voyage. Les médias se sont rabattus sur l'invité vedette du
Président, un boulanger tunisien qui fournit le pain à l'Élysée.
Dans la salle des congrès, les participants au forum organisé par
la dynamique Chambre de commerce franco tunisienne se sont amusés de
la présence très courtisée d'un certain Emmanuel Macqueron patron
d'une kyrielle de PME dans le secteur de l'énergie solaire. À la
tribune, son homonyme a annoncé des mesures de soutien sans grande
envergure. « On
attendait un plan Marshall, on a Bison Futé »
a commenté un homme d'affaires facétieux. (2)
« L'important
se joue ici, si vous échouez, nous échouons »
a martelé à plusieurs reprises le chef de l'État français. Au
delà de son lyrisme, la formule vaut engagement implicite d'une
protection sécuritaire inconditionnelle.
Fragile,
la Tunisie est à la merci de toutes les influences. Les dernières
émeutes ont été instrumentalisées. (3) « Dans
dix villes différentes au même moment des camions de pneus ont été
acheminés pour être enflammés »
rapporte la très respectée journaliste Souhayr Belhassen,
Présidente d'honneur de la Ligue Internationale des droits
de l'Homme. Par ailleurs, elle accuse le Qatar et les Emirats Arabes
Unis de se livrer à une guerre froide par Tunisie interposée. (4)
Le
risque d'une propagation des querelles arabo-arabes et
islamo-musulmanes est avéré. L'Arabie Saoudite - qui héberge Ben
Ali - pourrait faire monter les enchères d'une Tunisie en détresse
tentée de se vendre au plus offrant. Le roi Salman a annoncé qu'il
se rendrait prochainement en visite en Tunisie. Combien de milliards
mettra t-il sur la table pour endiguer l'influence des valeurs
de la France ?
Au
delà des dithyrambes du Président français à la gloire de la
révolution tunisienne, on retiendra donc de son voyage à Tunis
seulement ces deux « petites » phrases, mais qui sont peut-être l'amorce d'une subtile nouvelle politique étrangère.
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