vendredi 13 avril 2018

Le grand livre de la diplomatie française en Chine de Claude Martin

Voici un précis de diplomatie de 946 pages qui se lisent comme cent. C'est un pavé de 800 grammes digeste et gourmand qui se déguste en trois jours et deux nuits. Son auteur est une légende du Quai d'Orsay « La Chine, c'est lui. Il est capable en un rien de temps d'improviser au débotté un discours de dix pages en mandarin, en cantonais ou en wu ». 
Au gré de ses multiples affectations à Pékin, de simple attaché à plénipotentiaire, au fil de ses innombrables voyages touristiques ou officiels, il a accumulé un savoir considérable sur le pays le plus mystérieux du monde. Il a aussi exercé ses talents dans les plus hautes fonctions du ministère des Affaires étrangères et servi comme ambassadeur de France en Allemagne.
Claude Martin, La diplomatie n'est pas un dîner de gala, Mémoires d'un ambassadeur Paris-Pékin-Berlin, aux éditions de l'Aube.

Contrairement aux exercices mémoriels qui foisonnent celui-là ne cède ni à la tentation du moi-je, ni à celle du règlement de comptes. L'auteur témoigne sobrement et avec élégance de ce qu'il a vu, entendu, pensé. À le lire, on reçoit ses confidences comme celles d'un ami qui serait assis dans un fauteuil à vos côtés.
1964, vingt ans, diplômé de Sciences Po et de chinois ; à peine reçu à l'ENA, il est réquisitionné pour aller effectuer son service à la chancellerie de Pékin ouverte quelques mois plus tôt. Il y prendra des habitudes de vagabondages à pied en train ou à vélo. Dès qu'il le peut, il s'évade du quartier diplomatique pour aller renifler la réalité dans les provinces les plus reculées. Il est curieux de tout. Il découvre un monde prodigieux en pleine ébullition. Bien des années plus tard, devenu diplomate de haut rang « son Excellence » ne se sentira jamais très à l'aise à l'arrière des limousines-chauffeur-fanion. Il gardera ses habitudes d'échappées incognito. Car pour dialoguer avec les chefs d'États, il ne suffit pas de savoir leur dialecte, il faut connaître parfaitement leur pays. Il faut avoir pris le temps d'échanger avec les hommes de la rue et les femmes des campagnes, d'avoir fait un bout de chemin avec des anonymes croisés au hasard. Il faut aussi découvrir l'histoire complexe, percer les cultures mystérieuses. Le talent d'un diplomate se mesure à sa capacité d'endosser la peau de son interlocuteur.

Pendant des décennies, chaque fois que les relations avec la Chine menaçaient de tourner au vinaigre, Paris dépêchait Claude Martin à Pékin. L'amoureux du pays y allait de bon cœur. Au pire moment, il est nommé ambassadeur, chargé d'apaiser les crises à répétition provoquées par les turpitudes de ministres français inconscients. 
Le lecteur se régalera des sobres descriptions élogieuses ou calamiteuses de dizaines de personnages illustres de l'époque. On se met à regretter que l'auteur n'ai pas développé davantage cette éblouissante galerie de portraits où les meilleurs côtoient les pires. Car à la chancellerie de France à Pékin puis plus tard à celle de Berlin, Claude Martin a vu défiler le tout Paris ! Des hommes politiques de tous les bords, des cinéastes, des écrivains, des musiciens, des hommes d'affaires... Certains imbus de leur personne, des donneurs de leçons, d'autres plus modestes et lucides. Tous étaient jaugés, soupesés, appréciés ou méprisés par l'impassible et aimable diplomate français habitué à sonder les grands de ce monde.
« pourquoi toi qui connais la Chine, travailles-tu dans les Affaires européennes ? » lui avait un jour demandé Deng Xiaoping – plus j'étudie la Chine, plus je me sens européen avait répondu malicieusement Claude Martin.

Après avoir dirigé l'Asie au Quai d'Orsay, il supervise la diplomatie française en Europe visitant toutes les chancelleries (y compris les moins confortables comme celle de Sarajevo). Responsable des relations économiques internationales, il bouscule les convenances en soutenant la croisade internationale de l'OCDE contre la corruption alors que vient d'éclater en France le scandale des frégates de Taïwan. Il est nommé ambassadeur à Berlin « je vous laisse partir pour l'Allemagne, mais à une condition : chaque fois que je viendrai vous voir, nous parlerons de la Chine... » lui dira Chirac qui le maintiendra à son poste pour une durée inhabituelle de neuf ans. À l'arrivée de Sarkozy, Claude Martin quitte le Quai d'Orsay pour rejoindre la Cour des comptes. Puis il prend sa retraite pour venir nous rendre compte de ses étonnantes missions de serviteur de l'État.


Il y a un demi-siècle, un ouvrage médiocre mais prémonitoire sur l'éveil de la Chine s'était vendu à un millions d'exemplaires. Espérons que celui de Claude Martin connaitra le même succès en librairie. Ce serait amplement mérité pour l'auteur, mais surtout très instructif pour les lecteurs de ce voyage dans les profondeurs méconnues de notre diplomatie qui révèle les grandeurs et les petitesses des Français.

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