Au
Royaume des rois aveugles...
Hier
encore, l'Arabie Saoudite était une monarchie plurielle désunie
composée de roitelets cupides et avachis. Le mode de succession
favorisait l'intronisation de princes gâteux qui partageaient le
pouvoir avec leur nombreuse fratrie et cousinade. La puissance de
certains dépassait parfois celle du monarque. Ainsi, la lignée des
Sultan et celle des Nayef qui depuis quarante ans s'étaient
respectivement arrogés les fiefs du ministère de la défense et de
l'intérieur, disposaient chacun d'un état dans l'état. Richissimes
à milliards, ils possédaient leur propre service de renseignement
et menaient dans le royaume et à l'étranger la politique de leur
bon vouloir. Suivant leur exemple, des dizaines d'autres princes de
sang et des centaines de petits marquis et roturiers fortunés
s'étaient pris aux jeux d'influence des affaires du monde, mêlant
business et politique. Pendant que l'un prenait sous son aile la
Tunisie, l'autre s'intéressait à l'Éthiopie, celui-ci s'entichait
de l'Érythrée, celui-là du Soudan ; enfin, les plus nombreux
distribuaient sans discernement des valises de dollars à des
groupuscules armés en Syrie, Afghanistan, Yémen, Mali, Somalie,
Irak, Libye.... La communauté internationale s'accommodait d'autant
mieux de cette pétaudière qu'elle en tirait les ficelles et de
substantiels avantages. Ainsi, Bush jouait au golfe et picolait avec
le Prince Bandar ; des personnalités françaises avaient
elles aussi leurs favoris. Cette pluralité de l'offre saoudienne qui
mêlait politique et affairisme permettait de faire monter les
enchères sur les théâtres d'opérations et à la bourse des
rétrocommissions.
La
reprise en main du Royaume
En
janvier 2015, Salman accédait au trône après avoir habilement
écarté tous les prétendants. Très vite, il propulsait le plus
jeune de ses fils Mohamed aux commandes de l'armée. Puis, bafouant
les règles de la tradition, il parvenait dans la foulée à
l'imposer comme Prince héritier. Un an plus tard, à l'autre bout du
monde, Trump devenu Président soumettait les arabes à son dictat
menaçant de disparition tous ceux qui n'appliqueraient pas sa
feuille de route. À Riyad, en mai 2017, tous les chefs d’États et
de gouvernements arabes lui prêtèrent allégeance avec un soupir de
soulagement car ils se souvenaient combien ils avaient tremblé
durant la courte saison des « printemps arabes ». Pour
l'exemple, l'indiscipliné petit Qatar, supporter de l'équipe des
frères musulmans, était soumis à un blocus humiliant. Mais
sélectif dans l'indignation, Trump adoubait la poursuite de
l'agression de la coalition conduite par l'Arabie depuis mars 2015
contre le Yémen où une partie de la population continuait de
scander : « mort
à l'Amérique, mort à Israël, maudits soient
les juifs, victoire à l'islam ».
Enfin, sur injonction de Trump, Riyad
mettait de l'ordre dans le financement des mercenaires
« terroristes » au Levant et entamait un processus de
normalisation de ses relations
avec Tel Aviv.
Big
win-win deal
Le
propos du Président : « sans
les Etats-Unis le pétrole saoudien ne pourrait pas être exporté ni
l'eau de mer dé-salée » avait
été compris.
Le
culot a payé. La faim et la soif sont des arguments prégnants dans
la mémoire séculaire des bédouins.
Le
new big deal Trump-Salman est un win-win qui doit enrichir et
consolider le pouvoir de chacun. Le pétrole sera nationalisé à bon
compte par les Texans
qui en échange vendront au prix fort une panoplie de protection et
le rêve d'une Arabie clonée sur le modèle de Dubaï. À l'horizon
2030 des citées ultramodernes seront construites sur les bords de la
mer Rouge à quelques encablures de l'Égypte et d'Israël.
Ces phalanstères de prospérité et de tolérance marqueront la
renaissance arabo-musulmane de la Péninsule et l’émergence d'une
nouvelle société saoudienne débarrassée
de ses lois moyenâgeuses... Utopique ou réaliste cette politique
qui s'affiche en « Vision »
porte par sa seule annonce le signe d'une réforme inouïe car elle
prétend guider le destin des mortels sur la terre du Prophète,
alors qu'il n'appartient qu'à Allah ! Indignés mais
impuissants, les salafistes n'en finissent pas de marmonner dans leur
barbe des fatwas vengeresses.
Réforme
et répression pour tous
La
femme saoudienne au volant est un symbole universellement salué.
Mais des centaines d'autres mesures moins médiatisées
ont été prises. Chaque journée apporte son lot d'agréables
surprises. Voici le secrétaire général de la tristement célèbre
Ligue Islamique qui déclare que le voile intégral n'est pas une
obligation religieuse. Voici le Prince héritier qui à l'occasion
d'une visite au Caire, reçoit le patriarche copte, puis à Londres
s'entretient
avec l'Evêque anglican, l'invite en Arabie sur ses terres où
traditionnellement toute
expression
religieuse non musulmane était il y a encore quelques mois interdite
et cruellement châtiée.
À la jeunesse désoeuvrée, les Salman offrent des distractions :
des cinémas,
des salles de concerts, des parcs d'attraction. Le tourisme intérieur
et l'archéologique (ante-islamique) sont encouragés.
Revers
de la médaille, cette politique de tolérance nouvelle exclut toute
forme de revendication ou de dissidence. Les militants des droits de
l’homme, les démocrates et les opposants politiques demeurent
impitoyablement traqués discriminés et persécutés tout comme la
minorité chiite (15% de la population) au prétexte de la lutte
contre le terrorisme. La réforme et les libertés nouvelles ne
résultent que de la magnanimité du roi qui réprime impitoyablement
toute revendication de la plèbe, mais aussi de la bourgeoisie et de
la noblesse.
La
rançon des milliardaires
Dans
la nuit du 4 novembre 2017 une incroyable opération commando
procédait à la rafle de plusieurs centaines de personnalités parmi
lesquelles
des Princes de sang, des ministres et des multi-milliardaires réputés
intouchables. Bakounine en avait rêvé, Salman l'a fait !
Ce
coup de force présenté par les agences de propagande du Royaume
comme une purge salutaire destinée à faire rendre gorge aux
corrompus, n'a trompé personne. Ce n'était pas l'abolition des
privilèges mais le signal de leur subordination au bon vouloir de
Salman qui seul désormais, dispose des prébendes. Six mois après
le rapt, le secret n'a toujours pas été percé ni sur le nombre ni
sur l'identité des kidnappeurs
et des kidnappés du Ritz. Nul ne connait la liste des personnes
interpellées, celle des torturés, des disparus... Les princes
libérés contre rançon sont toujours assignés à résidence et
empêchés de communiquer. L'omerta est totale. Conséquence :
tous les acteurs de la vie économique et financière sont tétanisés
et la peur des puissants étant contagieuse, elle a contaminé toute
la société y compris les gagne-petits.
Chez
May, Trump et Macron
Il
y a un mois, Salman fils a entrepris une tournée de ses principaux
alliés. À Londres, il a câliné les autorités en déposant un
chèque à neuf zéro pour l'achat d'avions de chasse. À Washington,
il a rencontré un Trump qui lui a renouvelé sa « grande
amitié ».
Au Texas et en Californie il a enchainé les amabilités, multiplié
les commandes, et flagorné les lobbying sionistes. Pendant que des
manifestations pacifiques était réprimées
à Gaza – 27 morts, 2 000 blessés – le Prince héritier
s'abstenant d'évoquer ces massacres déclarait : « les
israéliens
ont le droit d'avoir leur propre terre »
ce qui en termes diplomatiques, vaut reconnaissance implicite. Ce
langage inédit a enflammé les réseaux sociaux au point que le roi
depuis Riyad, a jugé opportun de tempérer les propos de son fils.
Le
Prince Ben Salman achèvera sa tournée de séduction par une escale
à l'Elysée. Avec ou sans le Crif, Israël
sera au menu d'un dîner. Accessoirement le Yémen impunément
ensanglanté, la Syrie, le Liban, l'Afrique du nord...et bien
évidemment l'Iran qui
est une obsession
partagée. On parlera aussi affaires. L'armement de la françarabie
est en panne. Le Prince veut fermer définitivement la centrale
d'achat ODAS que Paris s'obstine à considérer comme son office de
vente. Pendant que sur le front des offensives saoudiennes au Yémen,
les canons made in France français accumulent les coups au but,
Paris ne songe nullement suivre l'exemple de l'Allemagne qui a
suspendu ses ventes d'armements. D'autres dossiers commerciaux tout
aussi stratégiques seront subsidiairement abordés comme ceux du
nucléaire civil et du pétrole, mais seules les coopérations
dans les domaines de la santé, de l'écologie et de la culture
seront mises
en avant. Car l'objectif de Mohamed Ben Salman à Paris est surtout
de se voir décerner
un brevet « honoris causa » de bonne conduite pour sa
politique de modernisation de l'islam politique, d'émancipation des
femmes, de lutte contre la corruption et le financement du
terrorisme....et d'afficher sur la scène internationale son image de
futur roi saoudien israëlo-compatible.
1 commentaire:
Cher expert, cher ami, je vais vous relire ligne à ligne. Rien qu'en parcourant, je m'aperçois que c'est très intelligent pour le présent, très au fait pour le passé.
Reste que ni notre visiteur, ni ceux qui vont le suivre, ne me sont sympathiques. Et que cette alliance tricentenaire du wahhabisme avec cette monarchie, me semble cause d'autant de désordre international que l'existence d'un Israël violant depuis 1967 toutes les résolutions des Nations Unies le concernant. Ces deux causes en sus abîment ce qu'il y a de religieux en l'homme, et deux courant notamment l'Islam et le judaïsme.
Je reviens vers vous et cet espace de commentaire, après une seconde lecture.
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