« Démocratie, aristocratie, ploutocratie...toutes ces
craties -là se valent. Il n'y a qu'une seule bonne cratie :
c'est la théocratie ». Mais, s'empressait d'ajouter
ironiquement Clemenceau. « À condition qu'il y ait un
theos » La formule désabusée résume les états d'âmes
de ceux qui en 2011 ont cru que le printemps arabe avait fleuri. De
cet espoir déçu il ne reste que son incubateur : la Tunisie,
vaillante résistante aux assauts de la réaction. C'est une
singularité dont il faut peut-être aller rechercher l'explication
dans les profondeurs de son histoire.
La mémoire de l'histoire
Il y a trois mille ans, à Carthage, une assemblée du peuple
légiférait et commandait à tous, y compris aux généraux. Au
terme de siècles de batailles, les romains ont détruit cette
civilisation que la reine Elyssa-Didon avait osé fonder. Ils ont
effacé la mémoire des exploits de celle qui portait deux prénoms à
une époque où les femmes étaient affublées d'un numéro. Athènes
et Rome étaient machos. Ce ne sont pas seulement les armées
d'Hannibal qu'ils craignaient mais aussi cette forme de cratie
républicaine et femen, genèse de notre moderne démocratie.
L'Histoire, propriété des vainqueurs, a occulté les sept cents
printemps de gloire et de prospérité carthaginoise. Par la suite, la Berbérie devenue
Tunisie - appellation récente dérivée de l'ancienne Tunez faubourg
de Carthage - , a méthodiquement été domestiquée par des
envahisseurs venus de tous horizons. Est-ce la déesse Tanit qui a
réveillé les gènes de la cathagocratie qui sommeillaient dans
l'ADN des révolutionnaires tunisiens de 2011 ?
Allaherie
Le gouvernent du peuple, par le peuple et pour le peuple selon la
formule d'Abraham Lincoln c'est l'égalité des droits, la
reconnaissance des minorités, la liberté d'expression, le respect
de l'alternance... En tout cela, la Tunisie est irréprochable.
Laborieusement mais avec détermination la constitution a été
loyalement approuvée et les échéances électorales respectées.
Pourtant, à chaque scrutin, la participation recule. La conversion à
l'électocratie est en panne, le taux de participation est l'un des
plus faible dans le monde. Alors que 66% de la population est
branché sur Facebook, seulement un électeur inscrit sur trois s'est déplacé
lors des dernières élections municipales. Est-ce pour autant un
échec ? Après tout le « like » est une
expression politique tout comme la clameur de la foule qui crie
« dégage ». Pas une journée sans manifestation: 1305 mouvements de protestations collectives recensés par la FTDES pour le mois d'avril dernier. La souveraineté est dans la
rue. Le peuple se méfie des scrutins trop longtemps truqués qui
délèguent des représentants caméléons préoccupés par leurs
seules petites affaires personnelles. Alors pour aller à la pèche
aux suffrages, les quelques 200 partis politiques font appel au
sauveur suprême. Tout comme en France où ils se convertissent à
l'écologie, ceux de Tunisie bondieutisent
leur programme pour mieux draguer l'électorat islamiste. L'Allaherie
est-elle pour autant une perversion de la démokratiya ?
Demokratiya
Il n'existe pas de mot pour traduire en arabe, demos-kratos
(pouvoir-peuple) jonction de deux signifiants grecs. Démokratiya est
un hellénisme dénué de sens. Pourtant, d'autres termes ont été
arabisés comme musika, cinema... ou traduit comme république par
jamhouriya rassemblement, peuple; employé pour la première
fois dans son sens moderne par Bonaparte en Égypte. Mais pour un
arabophone unilingue, le mot « démokratiya », c'est de
l'hébreu codé car dans sa langue, chaque mot est décliné à
partir d'une racine de trois lettres, base de toutes recherches dans le dictionnaire. Alors au mieux, « democratiya »
est une marque déposée à l'étranger qui renvoie à un mode de
gouvernance malicieux venu d'ailleurs. Aucun des grands leaders de
histoire politique du monde arabe - et pour cause - ne l'employait.
À Tunis, Tripoli, Le Caire, Damas, Manama, Sanaa...et hier encore à
Khartoum et Alger, la foule scandait horriya « liberté »,
karama (dignité), adala (justice) , silmya (pacifique) rarement
demokratiya. Mais à l'inverse de la rue, tous les hommes politiques
emploient ce mot à tous propos. Chacune de leurs phrases en est
truffé. C'est à celui qui s'en gargarisera le mieux. Cet appel de
détresse subliminal à des recettes de gouvernances importées est
sans doute une manière de stigmatiser un régime fragile qui penche
vers la militocratie, la cleptocratie, l'anocratie ou
démocrature...vilains néologismes qui sont autant de menaces pour
la liberté.
La Tunisienne
Cinq cents ans après la fondation par une femme de la république
délibérative de Carthage, Aristote inventait la démocratie
machiste qui écartait le genre « mauvais » au prétexte
que « la femelle est un mâle mutilée ». Il faudra
patienter des siècles pour que dans le monde, une citoyenne soit
autorisée à mette un bulletin dans l'urne : en Suède en 1718,
en Corse en 1755.... en France en 1945.
Entretemps en Ifrikya, Dihya la Kahina régna de 688 à
703. Elle libéra les côtes de Carthage et repoussa les envahisseurs
Omeyades jusqu'à Gabès aux portes du désert de Libye avant d'être
contrainte de capituler face aux barbares à Tabarka au nord de
l'actuelle Tunisie. Hélas, de cette glorieuse épopée, l'histoire
qui appartient aux hommes n'a pas retenu grand chose. Il
faudra attendre le milieu du 20ème siècle pour que la Berbérie se
libère à nouveau.
Le 25 juillet 1957, au Palais du Bardo, la monarchie était abolie
et la république tunisienne proclamée. Des cohortes de femmes
(aucune n'était voilée) emmenées par la militante féministe
Radhia Ben Ammar Haddad défilaient devant les photographes pour
embrasser Bourguiba. Très vite, l'homme providentiel qui sait
l'histoire de son pays va libérer la Tunisienne. Il impose la
contraception, autorise l'avortement, généralise l'enseignement.
C'est une révolution sans pareil dans le monde. En France, Marianne
attendra l'après mai 68 pour que lui soit reconnu le libre usage de
son corps ; alors qu'en Tunisie, par la volonté d'un
visionnaire, la femme cessait d'être une marchandise que l'on
achetait, cloitrait, répudiait en toute légalité. Aujourd'hui, la
Tunisienne, est la femme la plus libre du monde arabe et pas
seulement. C'est une combattante exigeante et vigilante aguerrie par
des années de lutte pour la parité et l'égalité des droits. Sans
elle, la révolution tunisienne n'aurait pu éclore, sans elle, elle
ne saurait perdurer. La femme est le seul avenir de l'homme arabe, il
ne sera pas libre tant qu'il ne l'aura pas libérée.
http://www.debatunisie.com/archives/2019/05/30/37391042.html#utm_medium=email&utm_source=notification&utm_campaign=debatunisie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dihya_(reine)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Radhia_Haddad
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dihya_(reine)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Radhia_Haddad
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