Le
premier roman de tous les temps en Arabie saoudite a été écrit il
y a tout juste soixante ans par une femme native de La Mecque.
Samira était fille de l'unique chirurgien du Royaume et mère
de Dodi, celui-là même qui en 1997 dans le tunnel de l'Alma à
Paris aura l'ultime élégance d'accompagner Lady Diana dans la mort.
L'écrivaine était la soeur d'Adnan, milliardaire de l'armement et
l'heureux propriétaire du plus beau yacht des mers le « Nabila » ;
celui-là même qui sera vendu à Donald Trump avant d'être racheté
par le Prince Al Walid ben Talal. Comme le grand monde est petit !
Fermons la parenthèse. En 1959 Samira alors âgée de 23 ans publie
au Liban Waddat amali, « L'adieu à mes espoirs ».
Au Caire, à Bagdad et à Damas, c'est un succès parmi les
intellectuels arabes qui lisaient autre chose que le Coran. Samira
Bint al Jazirah al Arabiya ( Samira fille de la péninsule
arabe) éditera aussi en 1974 à Beyrouth le premier magazine
féminin de langue arabe « Al charkiya » (l'Orientale) et
sera élue Présidente de l'Union des Femmes Arabes. Elle quittera
brutalement le monde douze années plus tard laissant à ses lecteurs
le souvenir de nouvelles aux titres désespérants : « Souvenirs
larmoyants ; Gouttes de larmes ; Funérailles de roses... »
Cette romancière qui cachait soigneusement son identité sous un
pseudonyme se nommait Samira Khashoggi. C'était la tante de Jamal,
le journaliste assassiné au consulat d'Arabie d'Istanbul. C'est sans
doute pour célébrer l'anniversaire de la naissance du roman en
Arabie que le Royaume saoudien emprisonne à tour de bras les
écrivaines qui osent écrire. Combien sont-elles à gratter le mur
de leur geôles ? À subir l'humiliation, l'injure, le viol ? Le
cas d'une d'entre elles est emblématique de la terreur que vivent
les intellectuelles dans ce pays.
Loujain al-Hathloul est une jeune femme dont la famille a grandi en
France, à Paris et à Toulon où son père officier de marine
encadrait il y a vingt ans, la formation des quelque huit cents
marins saoudiens des frégates françaises du programme Sawari. De
ces années passées au pays de Voltaire elle a conservé de
mauvaises pensées : de liberté, d’égalité, de fraternité,
de justice…Bref son esprit a été corrompu. En 2014, de retour en
Arabie Saoudite, elle ose prendre le volant, ce qui lui vaut 73 jours
de cellule. Quelques années plus tard, le roi accorde
l'autorisation aux femmes de conduire, mais pour bien montrer que le
bon vouloir royal n'avait pas été influencé par les militantes
féministes, il les persécute de plus belle. Alors Loujain al-Hathloul s'expatrie. Brillante sociologue polyglotte, elle
s'installe aux Émirats Arabes Unis et s'inscrit à la Sorbonne d'Abu
Dhabi où elle se croyait à l’abri. Mais il y a dix mois, elle est
interpellée sans ménagement et conduite manu militari à un jet
privé qui décolle vers l'Arabie. Au même moment, son mari Fahad al-Buthairi, un comédien à l’humour noir ravageur, est arrêté à
Amman en Jordanie. Il est menotté, cagoulé, jeté dans un avion et
livré à ses bourreaux comme un colis. On est sans nouvelle de lui
depuis.
Le
mois dernier, Loujain al-Hathloul a comparu avec d'autres militantes
devant une cour criminelle. Le huit clos avait été décrété « par
soucis du respect de la vie privée des accusées »
a tenu à préciser le porte-parole du procureur, ajoutant sans
pouffer que la justice saoudienne ne pratiquait aucune discrimination
et que les femmes seraient traitées de
la même manière que les hommes. Et pour contrecarrer la campagne
d'indignation médiatique qui se préparait, le tribunal a libéré « à
titre provisoire » et
pour raison de santé, trois des onze militantes accusées. Celles-ci
étaient à peine rentrées dans
leur foyer que des membres de leur famille étaient discrètement
pris en otage. Ainsi Salah
al-Haidar est allé prendre en prison la place libérée par sa mère
Aziza al-Youssef. Le fait que Salah soit binational Saudi-US n'a rien
changé car Trump n'a pas même levé un sourcil.
Un mot de trop peut conduire en prison. Un
nombre indéterminé de militantes des droits humains, de blogueuses,
d'écrivaines, d'étudiantes, de professeures sont détenues sans
inculpation ni explication, la plupart du temps dans des lieux tenus
secrets. Dans « ce pays
où la
femme n'est jamais majeure »
un mot de trop peut conduire en prison rapporte la journaliste Alia
Malek dans l'Orient-Le Jour. La répression qui cible les femmes est
un nouveau moyen de terreur pour le pouvoir qui tient ainsi en
laisse toute la population masculine qui tremble à l'idée que l'on
pourrait martyriser sa mère, sa fille, son épouse, sa soeur. Lors
d'un débat public au salon du livre de Riyadh, le professeur Anas al
Mazrou qui avait osé demander en quel lieu étaient incarcérées les militantes des
droits humains a été immédiatement interpellé. On est
sans nouvelle. Il s'est évaporé comme s'il n'avait jamais existé.
Manal al Sharif, la Jeanne d'Arc du permis de conduire qui est
réfugiée en Australie résume le dilemme : « be quiet
and get killed, or speak up and get killed »
La
passivité unanime de la société civile internationale est
affligeante. Les cris d’indignation sont rares, alors il faut
les saluer. Les parlementaires norvégiens et canadiens (aucun
français?) ont proposé Loujain
al-Hathloul, Nassima al-Sadah and Abdullah al-Hamid pour
le Prix Nobel de la Paix. Dans le monde arabe ou seule la petite
Tunisie est libre, il faut applaudir le courage de l'Association des
Femmes Démocrates Tunisiennes qui à l'occasion d'une escale du
Prince ben Salman à Tunis a déployé sur la façade de leur
immeuble un calicot avec sa caricature brandissant un fouet pendant
que le Syndicat des Journalistes Tunisiens déroulait une banderole
montrant MBS armé d'une tronçonneuse. Enfin, le Président de
l'illustre université de théologie de la Zitouna de Tunis (fondée
en 737) a récemment refusé de décerner au roi d'Arabie un doctorat
honoris causa expliquant à la télévision que ce diplôme n'était
pas monnayable comme un banal pot-de-lait (sic).
L'argent
de la diversion La France de
Notre-Dame est silencieuse. Elle cultive ses valeurs à la corbeille,
vend en douce des armes pour de mauvaises causes et tient des
propos de camelot. Macron entérine les belles paroles sans conséquences
lancées en l'air par Hollande en levant son verre lors d'un
dîner rituel « Quand un homme
est persécuté, quand un homme est humilié… la mission de la
France, c'est de dire que cette victime persécutée, elle est
française. Elle est française, pas par la nationalité, pas par les
papiers, elle est française parce qu'elle souffre, parce qu'elle est
seule » Dans la réalité est moins
lyrique : comment satisfaire un client en or infréquentable
sans choquer l'opinion au risque de perdre les élections ?
Pour
assurer le service après-vente de l'Arabie, des ouvrages et des
articles sur commandes font régulièrement la promotion de la
royauté, ils vantent la « modernité »
l'esprit de « réforme »
« les bouleversements »
qui transformeront le royaume des ténèbres en pays de
cocagne à l'horizon 2030. Ils convainquent les crédules mais
renforcent le sentiment de navrance de la plupart des Français.
À coup de millions, les agences de communication
tentent de re-dorer le royal blason
saoudien. Elisabeth Badinter, Présidente du conseil de surveillance
et principale actionnaire de Publicis ne semble pas troublée par
ses ambiguités.
Elle tarde à suivre l'exemple décent de ses nombreux collègues
milliardaires américains qui depuis l'assassinat de Jamel Khasoggi
ont mis en harmonie leurs actes avec leurs discours et ont rompu tous
liens avec le régime toxique saoudien
L'Arabie
fait feu de tous bois pour séduire la France car la France est
symbole de toutes les vertus. Son amitié est gage d'honorabilité.
MBS rêve d'attirer à Riyad : le Louvre, la Sorbonne,
Saint-Cyr, le festival de Cannes,
la Joconde et la statue de Charles de Gaulle...bref tous les symboles
de la France mère des arts des armes et des lois. Le Prince veut que
les grands sportifs, les artistes, les intellectuels, les
scientifiques français viennent en nombre se prélasser dans ses
palaces climatisés. Il vient à coup de millions, d'attirer le Dakar
qui en 2020 se courra en Arabie, et fera sortir Daniel Balavoine de
sa tombe. Toute cette gesticulation n’efface pas l'image
détestable du royaume « un
pays qui est probablement dans les derniers au monde dans l'échelle
des droits de l'homme » selon Me
Michel Tubiana, Président de la Ligue des droits de l'homme.
L'affaire
du siècle Le plus incroyable des projets de promotion du
label Saoud est sans conteste celui conclu sans tambour ni trompette
entre Macron et MBS au cours de leur dernière rencontre à Paris
l'an dernier. Il concerne la mise en valeur d'une zone archéologique
de la région de Médine qui s'étend sur une surface équivalente à
celle de la Belgique : « Considérant le
souhait du Royaume d'Arabie saoudite de protéger, de
développer et de promouvoir, en partenariat avec le Gouvernement de
la République française, les sites historiques majeurs du
gouvernorat d'Al Ula, notamment le site archéologique de Madain
Saleh inscrit par l'UNESCO au patrimoine mondial, afin de faire de ce
gouvernorat une destination touristique internationale... Les Parties
conviennent de collaborer étroitement pour la conception et le
développement conjoints d'un projet ambitieux et innovant ayant pour
objectif l'interconnexion des centres urbains, l'optimisation des
zones rurales, la conformité des institutions scientifiques,
culturelles, touristiques et éducatives aux normes internationales
et la concrétisation de l'excellence
française dans ces domaines.... symbole du partenariat
d'exception unissant le Gouvernement de la République française et
le Gouvernement du Royaume....La
Partie saoudienne fournit toutes les ressources financières
raisonnables nécessaires aux
fins du projet... la Partie saoudienne rémunère l'Agence (
qui sera crée par la partie française) pour
l'ensemble des missions, contributions ou services... »
Ya
salam ! C'est l'un des plus spectaculaires marchés jamais
conclus. L'Etat français s'engage à mettre en valeur un
immense territoire à l'étranger sans autre contrepartie que celle
de faire rayonner l'excellence française. Bravo, bravo, bravo. Dans
la foulée, le premier Ministre a autorisé
par décret la création en France de l'Agence de développement
d'Al-Ula et la souscription par l'État d'un modeste capital de 1 000
euros. Par un autre décret il a nommé Gérard Mestrallet, Président
de ladite agence.
Gérard Mestrallet, ancien Président d'Engie, boulimique
septuagénaire fut le totem socialiste des patrons du CAC 40.
Il cumule les missions et les conseils d'administration en France, en
Chine, et même en Arabie. Le voici Résident Général d'une
parcelle du royaume d'Arabie. Son objectif est d'accueillir avant dix
ans dans ce territoire aride et hostile des millions de touristes. Le
challenge est fabuleux et fait briller les yeux des PDG du BTP
français. Des centaines de millions d'études sont à prendre et au
bas mot 100 milliards de travaux à la clé. Les Saoudiens
ont signé un chèque en blanc. Qui pourrait résister ?
L'argent peut tout. L'iconique architecte Jean Nouvel s'est
précipité. Mais affaire Khashoggi oblige, la discrétion est de
mise. Pour l'instant, la fébrilité se limite à l'installation de
l’administration et à la reconnaissance des sites en Arabie.
Ce n'est pas une mince affaire car les vingt mille farouches bédouins
du cru ne sont pas des bisounours. Alors, un partenariat bien trouvé
a été envisagé avec Thalès mais seulement pour utiliser des
satellites, des drones, et des dirigeables.
Les Saoudiens
nous ayant habitué à nous méfier, on peut se demander si cette
affaire ne fait pas partie de la formidable propagande destinée à
distraire l'opinion de la guerre de la honte au Yémen et de
l'oppression dont sont victimes les intellectuels du royaume. Le
projet d'Al-Ula ouvre un « money pipe » au motif
pacifiste de mettre en valeur des sites archéologiques merveilleux
pour y attirer comme en Egypte les foules de
touristes du monde entier. Qui pourrait le dénigrer ? Mais en
attendant l'inauguration en grande pompe par MBS et Macron de ce
mirifique chantier, on aimerait que Mestrallet, l'ancien patron de
Suez aux allures de Ferdinand de Lesseps dont l'influence est si
grande auprès du Prince, fasse libérer Loujain al-Hathloul.
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