lundi 22 avril 2019

Al Ula le fabuleux roman à 100 milliards de la France Arabie

 Le premier roman de tous les temps en Arabie saoudite a été écrit il y a tout juste soixante ans  par une femme native de La Mecque. Samira était fille de l'unique chirurgien du Royaume et mère de Dodi, celui-là même qui en 1997 dans le tunnel de l'Alma à Paris aura l'ultime élégance d'accompagner Lady Diana dans la mort. L'écrivaine était la soeur d'Adnan, milliardaire de l'armement et l'heureux propriétaire du plus beau yacht des mers le « Nabila » ; celui-là même qui sera vendu à Donald Trump avant d'être racheté par le Prince Al Walid ben Talal. Comme le grand monde est petit ! Fermons la parenthèse. En 1959 Samira alors âgée de 23 ans publie au Liban Waddat amali, « L'adieu à mes espoirs ». Au Caire, à Bagdad et à Damas, c'est un succès parmi les intellectuels arabes qui lisaient autre chose que le Coran. Samira Bint al Jazirah al Arabiya ( Samira fille de la péninsule arabe) éditera aussi en 1974 à Beyrouth le premier magazine féminin de langue arabe « Al charkiya » (l'Orientale) et sera élue Présidente de l'Union des Femmes Arabes. Elle quittera brutalement le monde douze années plus tard laissant à ses lecteurs le souvenir de nouvelles aux titres désespérants : « Souvenirs larmoyants ; Gouttes de larmes ; Funérailles de roses... » Cette romancière qui cachait soigneusement son identité sous un pseudonyme se nommait Samira Khashoggi. C'était la tante de Jamal, le journaliste assassiné au consulat d'Arabie d'Istanbul. C'est sans doute pour célébrer l'anniversaire de la naissance du roman en Arabie que le Royaume saoudien emprisonne à tour de bras les écrivaines qui osent écrire. Combien sont-elles à gratter le mur de leur geôles ? À subir l'humiliation, l'injure, le viol ? Le cas d'une d'entre elles est emblématique de la terreur que vivent les intellectuelles dans ce pays.

Loujain al-Hathloul est une jeune femme dont la famille a grandi en France, à Paris et à Toulon où son père officier de marine encadrait il y a vingt ans, la formation des quelque huit cents marins saoudiens des frégates françaises du programme Sawari. De ces années passées au pays de Voltaire elle a conservé de mauvaises pensées : de liberté, d’égalité, de fraternité, de justice…Bref son esprit a été corrompu. En 2014, de retour en Arabie Saoudite, elle ose prendre le volant, ce qui lui vaut 73 jours de cellule. Quelques années plus tard, le roi accorde l'autorisation aux femmes de conduire, mais pour bien montrer que le bon vouloir royal n'avait pas été influencé par les militantes féministes, il les persécute de plus belle. Alors Loujain al-Hathloul s'expatrie. Brillante sociologue polyglotte, elle s'installe aux Émirats Arabes Unis et s'inscrit à la Sorbonne d'Abu Dhabi où elle se croyait à l’abri. Mais il y a dix mois, elle est interpellée sans ménagement et conduite manu militari à un jet privé qui décolle vers l'Arabie. Au même moment, son mari Fahad al-Buthairi, un comédien à l’humour noir ravageur, est arrêté à Amman en Jordanie. Il est menotté, cagoulé, jeté dans un avion et livré à ses bourreaux comme un colis. On est sans nouvelle de lui depuis.
Le mois dernier, Loujain al-Hathloul a comparu avec d'autres militantes devant une cour criminelle. Le huit clos avait été décrété « par soucis du respect de la vie privée des accusées » a tenu à préciser le porte-parole du procureur, ajoutant sans pouffer que la justice saoudienne ne pratiquait aucune discrimination et que les femmes seraient traitées de la même manière que les hommes. Et pour contrecarrer la campagne d'indignation médiatique qui se préparait, le tribunal a libéré « à titre provisoire » et pour raison de santé, trois des onze militantes accusées. Celles-ci étaient à peine rentrées dans leur foyer que des membres de leur famille étaient discrètement pris en otage. Ainsi Salah al-Haidar est allé prendre en prison la place libérée par sa mère Aziza al-Youssef. Le fait que Salah soit binational Saudi-US n'a rien changé car Trump n'a pas même levé un sourcil.

Un mot de trop peut conduire en prison.  Un nombre indéterminé de militantes des droits humains, de blogueuses, d'écrivaines, d'étudiantes, de professeures sont détenues sans inculpation ni explication, la plupart du temps dans des lieux tenus secrets. Dans « ce pays où la femme n'est jamais majeure » un mot de trop peut conduire en prison rapporte la journaliste Alia Malek dans l'Orient-Le Jour. La répression qui cible les femmes est un nouveau moyen de terreur pour le pouvoir qui tient ainsi en laisse toute la population masculine qui tremble à l'idée que l'on pourrait martyriser sa mère, sa fille, son épouse, sa soeur. Lors d'un débat public au salon du livre de Riyadh, le professeur Anas al Mazrou qui avait osé demander en quel lieu étaient incarcérées les militantes des droits humains a été immédiatement interpellé. On est sans nouvelle. Il s'est évaporé comme s'il n'avait jamais existé. Manal al Sharif, la Jeanne d'Arc du permis de conduire qui est réfugiée en Australie résume le dilemme : « be quiet and get killed, or speak up and get killed »
La passivité unanime de la société civile internationale est affligeante. Les cris d’indignation sont rares, alors il faut les saluer. Les parlementaires norvégiens et canadiens (aucun français?) ont proposé Loujain al-Hathloul, Nassima al-Sadah and Abdullah al-Hamid  pour le Prix Nobel de la Paix. Dans le monde arabe ou seule la petite Tunisie est libre, il faut applaudir le courage de l'Association des Femmes Démocrates Tunisiennes qui à l'occasion d'une escale du Prince ben Salman à Tunis a déployé sur la façade de leur immeuble un calicot avec sa caricature brandissant un fouet pendant que le Syndicat des Journalistes Tunisiens déroulait une banderole montrant MBS armé d'une tronçonneuse. Enfin, le Président de l'illustre université de théologie de la Zitouna de Tunis (fondée en 737) a récemment refusé de décerner au roi d'Arabie un doctorat honoris causa expliquant à la télévision que ce diplôme n'était pas monnayable comme un banal pot-de-lait (sic).

L'argent de la diversion La France de Notre-Dame est silencieuse. Elle cultive ses valeurs à la corbeille, vend en douce des armes pour de mauvaises causes et tient des propos de camelot. Macron entérine les belles paroles sans conséquences lancées en l'air par Hollande en levant son verre lors d'un dîner rituel « Quand un homme est persécuté, quand un homme est humilié… la mission de la France, c'est de dire que cette victime persécutée, elle est française. Elle est française, pas par la nationalité, pas par les papiers, elle est française parce qu'elle souffre, parce qu'elle est seule » Dans la réalité est moins lyrique : comment satisfaire un client en or infréquentable sans choquer l'opinion au risque de perdre les élections ?
Pour assurer le service après-vente de l'Arabie, des ouvrages et des articles sur commandes font régulièrement la promotion de la royauté, ils vantent la « modernité » l'esprit de « réforme » « les bouleversements » qui transformeront  le royaume des ténèbres  en pays de cocagne à l'horizon 2030. Ils convainquent les crédules mais renforcent le sentiment de navrance de la plupart des Français. À coup de millions, les agences de communication tentent de re-dorer le royal blason saoudien. Elisabeth Badinter, Présidente du conseil de surveillance et principale actionnaire de Publicis ne semble pas troublée par ses ambiguités. Elle tarde à suivre l'exemple décent de ses nombreux collègues milliardaires américains qui depuis l'assassinat de Jamel Khasoggi ont mis en harmonie leurs actes avec leurs discours et ont rompu tous liens avec le régime toxique saoudien 
L'Arabie fait feu de tous bois pour séduire la France car la France est symbole de toutes les vertus. Son amitié est gage d'honorabilité. MBS rêve d'attirer à Riyad : le Louvre, la Sorbonne, Saint-Cyr, le festival de Cannes, la Joconde et la statue de Charles de Gaulle...bref tous les symboles de la France mère des arts des armes et des lois. Le Prince veut que les grands sportifs, les artistes, les intellectuels, les scientifiques français viennent en nombre se prélasser dans ses palaces climatisés. Il vient à coup de millions, d'attirer le Dakar qui en 2020 se courra en Arabie, et fera sortir Daniel Balavoine de sa tombe. Toute cette gesticulation n’efface pas l'image détestable du royaume « un pays qui est probablement dans les derniers au monde dans l'échelle des droits de l'homme » selon Me Michel Tubiana, Président de la Ligue des droits de l'homme.

L'affaire du siècle Le plus incroyable des projets de promotion du label Saoud est sans conteste celui conclu sans tambour ni trompette entre Macron et MBS au cours de leur dernière rencontre à Paris l'an dernier. Il concerne la mise en valeur d'une zone archéologique de la région de Médine qui s'étend sur une surface équivalente à celle de la Belgique : « Considérant le souhait du Royaume d'Arabie saoudite de protéger, de développer et de promouvoir, en partenariat avec le Gouvernement de la République française, les sites historiques majeurs du gouvernorat d'Al Ula, notamment le site archéologique de Madain Saleh inscrit par l'UNESCO au patrimoine mondial, afin de faire de ce gouvernorat une destination touristique internationale... Les Parties conviennent de collaborer étroitement pour la conception et le développement conjoints d'un projet ambitieux et innovant ayant pour objectif l'interconnexion des centres urbains, l'optimisation des zones rurales, la conformité des institutions scientifiques, culturelles, touristiques et éducatives aux normes internationales et la concrétisation de l'excellence française dans ces domaines.... symbole du partenariat d'exception unissant le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume....La Partie saoudienne fournit toutes les ressources financières raisonnables nécessaires aux fins du projet... la Partie saoudienne rémunère l'Agence ( qui sera crée par la partie française) pour l'ensemble des missions, contributions ou services... »
Ya salam ! C'est l'un des plus spectaculaires marchés jamais conclus. L'Etat français s'engage à mettre en valeur un immense territoire à l'étranger sans autre contrepartie que celle de faire rayonner l'excellence française. Bravo, bravo, bravo. Dans la foulée, le premier Ministre a autorisé par décret la création en France de l'Agence de développement d'Al-Ula et la souscription par l'État d'un modeste capital de 1 000 euros. Par un autre décret il a nommé Gérard Mestrallet, Président de ladite agence.

Gérard Mestrallet, ancien Président d'Engie, boulimique septuagénaire fut le totem    socialiste des patrons du CAC 40. Il cumule les missions et les conseils d'administration en France, en Chine, et même en Arabie. Le voici Résident Général d'une parcelle du royaume d'Arabie. Son objectif est d'accueillir avant dix ans dans ce territoire aride et hostile des millions de touristes. Le challenge est fabuleux et fait briller les yeux des PDG du BTP français. Des centaines de millions d'études sont à prendre et au bas mot 100 milliards de travaux à la clé. Les Saoudiens ont signé un chèque en blanc. Qui pourrait résister ? L'argent peut tout. L'iconique architecte Jean Nouvel s'est précipité. Mais affaire Khashoggi oblige, la discrétion est de mise. Pour l'instant, la fébrilité se limite à l'installation de l’administration et à la reconnaissance des sites en Arabie. Ce n'est pas une mince affaire car les vingt mille farouches bédouins du cru ne sont pas des bisounours. Alors, un partenariat bien trouvé a été envisagé avec Thalès mais seulement pour utiliser des satellites, des drones, et des dirigeables.
Les Saoudiens nous ayant habitué à nous méfier, on peut se demander si cette affaire ne fait pas partie de la formidable propagande destinée à distraire l'opinion de la guerre de la honte au Yémen et de l'oppression dont sont victimes les intellectuels du royaume. Le projet d'Al-Ula ouvre un « money pipe » au motif pacifiste de mettre en valeur des sites archéologiques merveilleux pour y attirer comme en Egypte les foules de touristes du monde entier. Qui pourrait le dénigrer ? Mais en attendant l'inauguration en grande pompe par MBS et Macron de ce mirifique chantier, on aimerait que Mestrallet, l'ancien patron de Suez aux allures de Ferdinand de Lesseps dont l'influence est si grande auprès du Prince, fasse libérer Loujain al-Hathloul.






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