jeudi 15 avril 2021

Tunisie, la démocratie malade de corruption

La Tunisie a achevé le cycle de sa révolution au sens copernicien. Elle est revenue à son point de départ. C’est un constat unanimement observé par tous ceux qui  espéraient un rebondissement salutaire qui ne viendra plus. Certains se mettent à souhaiter un 18 Brumaire à la tunisienne car vie politique est dans l’impasse, l’économie est à l’arrêt, les institutions paralysées. De toutes les causes avancées la principale est la corruption. Le système de prédation rôdé sous la dictature s’est insidieusement renforcé jour après jour pour atteindre l’invulnérabilité et détruire l’ordre républicain. La démocratie tunisienne est malade. La corruption l’a infectée



Au lendemain de la révolution de 2011, la Banque Mondiale publiait un rapport très fouillé qui pointait les spoliations du dictateur évaluées entre 10 et 14 milliards de dollars. Au surplus, le document calculait que la famille Ben Ali s’était par la contrainte attribuée 21% des profits de l’ensemble du secteur privé.

Ce hold up des ressources du pays s’appuyait sur un système de gouvernance en apparence irréprochable incluant élections, légiférations, administrations. Cette architecture d’apparence républicaine avait été conçue et ficelée sur mesure le plus légalement du monde au profit d’un clan. Fort de cette légitimité tronquée, il avait quadrillé le pays de policiers, de délateurs, de maitres chanteurs, de rançonneurs et autre bandits de grands chemins. Les  occidentaux savaient mais se taisaient pour mieux en profiter. L’avidité ayant atteint les limites de l’os à ronger,  le peuple volé s’est soulevé.


Dix ans après la révolution, le pays est dans la mendicité. Pour boucler son budget de l’année il aura besoin d’emprunter 7 milliards de dollars et la facture cumulée de ces dernières années est abyssale. 

Le capitalisme de copinage est toujours en place. Il s’est décentralisé, multiplié, « démocratisé » au profit d’un plus grand nombre de prédateurs encouragés par l’impunité dont ont bénéficié leurs prédécesseurs. Car l’essentiel des biens du dictateur n’a toujours pas été restitué. Les Palais des Ben Ali attendent encore d’être vendus aux enchères. Au sommets des collines de Sidi Bou Saïd deux extravagantes villas bien gardées donnent l’impression d’attendre le retour des chapardeurs. À l’étranger les magots n’ont pas été rendus; rien qu’en Suisse, 625 millions dorment encore à l’ombre de procédures interminables. Dés qu’il s’agit de faire rendre gorges aux responsables de l’ancien régime, la justice des démocraties occidentales trainent des pieds. Quant à l’Arabie Saoudite, Dubaï et  autres paradis fiscaux…


L’instance indépendante vérité dignité créée après la révolution pour dénoncer les exactions de la dictature a enregistré 62 720 plaintes et mené 49 654 auditions. Les dossiers les plus lourds qui font état de meurtres et de tortures ont été transmis à la justice. La plupart des procès n’ont toujours pas pu avoir lieu car les accusés refusent de déférer aux convocations des tribunaux. La police ne les y contraint pas. Pire, ministres et parlementaires n’ont eu de cesse de critiquer l’institution en charge de cette justice transitionnelle qui n’a eu d’autre choix que de se saborder après avoir publié un volumineux rapport en langues arabe et anglaise qui nourrira les archives. 

Une autre institution en charge de la lutte contre la corruption a multiplié les alertes, mais l’indigence de ses moyens et les bâtons dans les roues jetés par les Premiers ministres successifs ont eu raison de sa bonne volonté.


Les hommes politiques se jettent régulièrement des accusations grossières enguirlandées parfois d’insultes et de coups. Au dessus de la mêlée, le Président de la République est le seul dont l’intégrité fait l’unanimité. Soupçonneux, il a refusé d’approuver des nominations de ministres suspects. 

Les législateurs donnent l’exemple navrant du tout permis. À peine élus certains n’ont pas tardé à rouler carrosse. Arrivé en camionnette, ils sont le temps d’une session repartis en limousine. Au delà de l’arrogante de leur nouvelle fortune, c’est l’impunité que leur garanti leur immunité parlementaire qui choque le citoyen. Il n’est pas de semaine sans que la presse - encore libre - dénonce l’abus de pouvoir ou la malversation d’un député. Le Président de l’Assemblée du Peuple l’islamiste Ghannouchi n’a aucune autorité. Il est pareillement suspecté d’enrichissement sans cause.


Pour relativiser ce constat désolant il faut aller chercher aux royaumes des aveugles quelques borgnes qui lui ressemblent.

L’indice de corruption dressé chaque année par Transparency International place la Tunisie à la 69 ème place sur 86. 

De son coté, Economist Intelligence Unit qui mesure la démocratie, classe le pays en 54ème position sur 167.  

Certes, la démocratie corrompue de la Tunisie est moins pire que d’autres. Elle est sur les deux tableaux ex aequo ou proche des plus mauvais élèves de l’Union Européenne: la Bulgarie et la Hongrie. Comparaison n’est pas raison, seulement maigre consolation.




https://transparency-france.org/publications/indices-de-perception-de-corruption/#.YHgMqbQzbfY

https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-index-2020/


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