Lorsqu’un vieux Général sort de sa réserve pour lancer un appel à la sédition sur les réseaux sociaux, ça fait écho. Moncef Bey, noble patronyme, s’est réveillé un matin pour exposer ses cauchemars en tenant à peu près ce discours: « La patrie est en danger. Elle mettra plus de dix ans à se relever du chaos dans lequel l’a plongé Kaïes Saïed qui obéit aux services spéciaux égyptiens…j’appelle les Chefs d’États-majors des trois armes à dépêcher des médecins psychiatres à Carthage pour constater la démence du Président de la République et l’interner dans un établissement spécialisé. Vaillant peuple tunisien qui avez résisté et chassé le dictateur Ben Ali, réveillez-vous… »
Coup d’éclat à bas bruit
Le ton est solennel, pathétique. La souffrance lue dans les yeux du vieil homme traduit la sincérité de ses propos. Bien au chaud dans le confort de sa retraite, on imagine qu’après avoir ressassé pendant des jours les malheurs du pays, le Général a bondi de ses pantoufles, posé son smartphone sur un guéridon et d’une traite, avec des mots simples que tous les Tunisiens peuvent comprendre, a vidé sa conscience. Après sa courte allocution, l’homme au grand âge que l’on ne peut soupçonner de calculs et d’ambitions personnelles a sans doute poussé un grand soupir de soulagement. "Bon sang ne saurait mentir, l’honneur de la lignée et de l’armée est sauve » aura t-il pensé. Pour ses propos factieux le Général Moncef Bey sera-t-il jugé à huis clos et condamné à la prison en catimini comme l’ont été l’ancien President de la République Moncef Marzouki et une ribambelle d’autres vulgaires blogueurs ?
Habitué à douter, on se demande si la déclaration de cet étoilé inconnu au bataillon est réelle ou bidon. Viral sur la toile, le message publié sur la page Facebook de Carthage FM n’a pas été repris par les médias et nul communiqué officiel n’est venu le discréditer. Coïncidence, l’activité du chef de l’État s’est réduite au cours de la semaine dernière à une brève audience avec le ministre de la Défense et une visite au ministère de l’Intérieur pour annoncer la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature accusé... de corruption !
Y-a t-il un pilote dans l’avion ?
Depuis le coup d’état de juillet qui a muselé la démocratie, les difficultés s’accumulent, aggravées par l’amateurisme de celui qui s’est approprié tous les pouvoirs. D’évidence, ni le Président verbeux, ni son gouvernement paresseux ne parviennent à guider le pays hors du chemin qui conduit au gouffre. La révocation d’une palanquée de hauts fonctionnaires, policiers, diplomates, magistrats et leur remplacement par de dévoués incompétents alimentent la défiance. Menacés de rendre gorge, les entrepreneurs craignent de figurer sur une mystérieuse liste de "malfaiteurs". Ils se sont auto-confinés et attendent des jours meilleurs. Les rumeurs incendient la toile, les pénuries se multiplient, les prix flambent. Les riches s’enrichissent, les moyens survivent à crédit usuraire, les pauvres rationnent leur pain. Doucement, la chienlit métastase pendant que, dépassés par une gouvernance menaçante et imprévisible, les partis politiques et la société civile font le dos rond.
Discours cryptés
Fort du soutien populaire attesté par des sondages incontestés qui le créditent d’un score de dictateurs, le Président Saïed a lancé une révolutionnaire consultation numérique. Il suffit de se connecter à une plate-forme, de donner son numéro de téléphone, celui de sa carte d’identité puis de se laisser guider… Même pour les Tunisiens qui ne sont pas analphabètes ( 2 millions ) ce n’est pas simple; ça coince et personne ne sait à quoi ça sert. Le Président s’en est expliqué mais nul n’a compris son jargon juridique incantatoire. Ses anciens collègues professeurs de droit lèvent les sourcils; seul un journaliste facétieux s’y est essayé, il a titré « Parlez-vous le Kaïes Saïed ? »
Le Président ne semble pas maîtriser davantage les chiffres, il confond les dinars, les dollars et les milimes. Pareillement candide en économie, il est incapable de lire un budget ou une loi de finances, il prend le FMI pour une ONG. Même l’inoxydable chroniqueur « Z » semble baisser les bras « Je me demande d'ailleurs par quelle force occulte, je continue à perdre mon temps à suivre l'actualité d'un pays où l'espoir semble être anéanti »
Circonstances atténuantes
Pourtant, on aurait tort de charger de tous les mots le Président Saïed et le gouvernement Bouden. Ils ne sont pas responsables de la situation mais assurément de son aggravation car ils n’ont ni la connaissance, ni l’expérience, ni la compétence de l’État.
La Tunisie a vécu pendant des siècles de pillages et rançons avant d’en être victime. Cet atavisme a été circonscrit pas l’élan nationaliste de Bourguiba en 1956, mais la mafia est revenue en 1987 pactiser avec le dictateur Ben Ali. Contrairement à ce que pouvaient laisser espérer les premiers temps de la Révolution de 2011, elle a profité des failles d’une constitution nouvelle imparfaite pour accaparer les rouages de la jeune démocratie. En 2014 et 2019, les élections des représentants du peuple au scrutin de liste au plus fort a permis l’achat aux enchères de sièges de députés auprès de certains partis politiques. L’honorabilité de la chambre, aujourd’hui dissoute était composée à 40% d’hommes d’affaires dont une kyrielle de repris de justice et de grands voyous. Cette camarilla a infiltré les rouages de l’État par la nomination de leurs affidés aux postes clés. Pour équilibrer les pouvoirs, la constitution de 2014 avait prévu l’élection d’un Président au scrutin majoritaire à deux tours comme en France. En 2019, la Nation à la rencontre de son Chef a élu le seul candidat qui ne pouvait être suspecté de corruption. Ce n’était pas le plus compétent, mais assurément le plus honnête. Depuis, Kaïes Saïed, rigide et droit comme un Ï tréma se démène avec ses petits moyens. Il lui faudrait une armée de sabreurs incorruptibles, il n’a qu’un bataillon de flagorneurs. Il lui faudrait des économistes, il a recruté des comptables. Le pays est en coupe réglée. Les ministres sont espionnés, toute intention d’action est immédiatement entravée. La pieuvre qui régente clandestinement 50% de l’économie du pays est impunie.
Une économie sauvage
Les études de Abderrahmene Ben Zakour publiées en décembre dernier au Forum Tunisien pour les Droits Économiques et Sociaux posent la bonne question « Autorité de l’État ou autorité de l’informel ? ».
Une demi-douzaine de barons de la fraude gouvernent le pays à l’échelle nationale. Aux frontières de la Libye et de l’Algérie les malfrats reçoivent dans des palais. On compte à Tunis 22 000 sociétés « off shore » à salarié unique dont la plupart sont soupçonnés de lessiver l’argent sale; il y a aussi des milliers d’associations « caritatives" douteuses… En janvier dernier en Équateur, la police a saisi un conteneur destiné à la Tunisie qui contenait 600kg d’héroïne. Cette prise de 42 millions de dollars atteste d’une filiation avec les cartels intercontinentaux de la drogue. Face à ces désordres et en absence de perspectives, les élites fuient. 1 200 médecins viennent de réussir le mois dernier les épreuves EVC d’intégration au ministère français de la santé. Dans chaque hôpital de France il y a au moins un praticien tunisien ! La Tunisie de Bourguiba n’est plus qu’un souvenir de fierté que rabâchent les vieux, pire elle est revenue au temps de la faillite qui causa sa colonisation en 1881 !
Vers la libanisation
Prédite par tous les spécialistes depuis plus de six mois, une secousse tellurique financière vient de faire trembler le pays. En Janvier, le traitement des 800 000 fonctionnaires et agents des entreprises d’État n’est pas tombé à date habituelle mais inégalement avec deux semaines de retard. La ministre des Finances a bredouillé des calembredaines sans oser avouer que les caisses étaient vides. Appelés à la rescousse les amis de la Tunisie ont regardé leurs souliers. Ils ont pour la plupart déjà donné. L’Allemagne a sobrement annoncé une rallonge de 100 millions d’euros, diplomatiquement assortie de conditions de restauration des institutions démocratiques. Le Président Macron, sans doute pour écourter l’appel téléphonique pressant mais trop long de son homologue tunisien, à promis de lui envoyer son directeur du Trésor public. Quelques jours après, Monsieur Moulin est venu apporter « le soutien de la France aux réformes envisagées par la Tunisie dans le cadre de ses négociations avec le FMI »
Fragiles piliers républicains
Tous ces indices annoncent des jours difficiles de restrictions. Traitements, salaires, pensions, subventions, vont diminuer, prix, taxes et impôts vont augmenter. La purge imposée par les institutions financières internationales sera douloureuse. La puissante centrale syndicale UGTT habituellement accommodante avec le Président a senti le vent se lever chez les militants de la base. L’histoire de la Tunisie retient les souvenirs sanglants des émeutes du pain. Le pouvoir dont la popularité s’effrite repose encore sur le soutien républicain des sécuritaires et de l’armée. Mais pour combien de temps ?
Sur sa page Facebook, l’ancien Chef d’État-major de la marine le Contre-amiral Kamel Akrout qui ne cache pas ses ambitions politiques est sorti lui aussi de sa réserve, il est monté à la passerelle en maugréant:
J’en ai ras-le-bol
-de la politique politicienne,
-de la démocratie de façade,
-de la médiocrité,
-des esprits étroits,
-de l’égocentrisme,
-et de l’inefficacité.
https://www.facebook.com/RadioCarthageFm/videos/812304050166337
http://www.debatunisie.com/archives/2022/02/08/39339301.html
https://www.businessnews.com.tn/parlez-vous-le-kais-saied,523,116218,3
https://nawaat.org/2022/02/02/consultation-nationale-au-nom-du-peuple-exclu/
https://ftdes.net/rapports/secteur.informel.pdf
https://northafricapost.com/54837-ecuador-seizes-over-600-kg-of-cocaine-bound-for-tunisia.html
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