jeudi 17 mars 2022

Poutine-MBS, Ukraine-Yémen: même combat

L’Arabie est au Yémen ce que la Russie est à l’Ukraine: une abomination sans nom. Depuis mars 2015, à l’abri des médias, l’Arabie saoudite et son allié les Émirats arabes unis bombardent inlassablement leur voisin le Yémen, l’une des nations les plus pauvres du monde; 377 000 morts au compteur de l’ONU. La réalité est sans doute quadruple. L’UNICEF vient de faire état de 47 enfants tués en l’espace de deux mois pendant que 4,2 millions de réfugiés s’entassent dans des camps. En avez-vous entendu parler ? A t-on jamais menacé Dubaï, Abu Dhabi ou Riyad de sanctions ? Cette tuerie échappe aux consciences occidentales car elle ne menace pas le prix de la baguette et du plein d’essence. L’alliance de deux dictateurs, Poutine et MBS pourrait changer la donne.

L’Arabie et la Russie contrôlent l’OPEP, cartel de 13 pays dont dépend 40% de la production mondiale de pétrole. Alors, hormis  les États-Unis qui sont autosuffisants, nul ne peut se fâcher durablement avec eux. L’Arabie est aussi le premier importateur d’armes au monde sans qui nombre d’industriels américains déposeraient le bilan si elle changeait de fournisseurs. Cette interdépendance permet de mesurer le cauchemar de l’alliance Russo-Saoudienne.


Commerce d’armements

À l’issue de la réunion fastueuse sous les ors du palais de Versailles le 10 mars dernier, les 27 dirigeants européens après avoir unanimement constaté que le pire était à venir se sont séparés sans s’entendre ni se fâcher. Trois jours plus tard, Berlin annonçait la commande surprise de 50 chasseurs bombardiers F-35 aux États-Unis alors que l’Eurofighter du consortium Airbus, Leonardo et BAE était donné favori quelques semaines auparavant. C’est le signe d’un désormais chacun pour soi entre Paris et Berlin. L’Union Européenne qui a pris conscience de sa vulnérabilité n’est décidément pas prête d’organiser sa défense collective. 


Dans le même temps se tenait à Riyad le premier World Defence Show qui a attiré 590 industriels de l’armement venus de 42 pays. À l’exemple de son compère des Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite a l’ambition de fabriquer localement des armes en coopération avec des partenaires américains et européens mais aussi avec la Russie et la Chine. De très coûteux partenariats ont même été engagés il y a trois ans avec l’Ukraine pour produire des avions  bimoteurs et des missiles balistiques. Ces projets ont fait long feu.

En attendant d’accéder à l’industrialisation de ses besoins, l’Arabie saoudite a fait auprès de ses fournisseurs habituels 8 milliards de dollars d’emplettes soit le dixième de ses achats de l’année. 


Les Ukrainiens sont les « palestiniens de l’Europe »

Les opinions publiques orientales sont blasées. Depuis plus de deux générations, les grands principes du droit et le respect de la liberté des peuples sont quotidiennement bafoués par les israéliens en Palestine. Il n’est pas de journée sans drame sanglant relayé par toutes les chaines de télévisions arabes. Après Kaboul, Bagdad, Gaza, Mogadiscio, Damas, Beyrouth, Sanaa, Tripoli, Grozny, Sarajevo …et cent autres villes martyrs, les musulmans pensaient détenir le monopole de la souffrance. Ce qui se passe à Kiev est pour eux du déjà vécu. Ils compatissent et sont solidaires des Ukrainiens qualifiés de « Palestiniens d’Europe » mais ils dénoncent le double standard de la balance de la justice internationale. « Les vies des Ukrainiens sont précieuses, mais pas plus que les vies des Yéménites tués chaque jour par des armes occidentales achetées en dollar américain dans l’indifférence de l’OTAN, de l’Europe et de leurs médias » relève le quotidien algérien El Watan.


Le pain ukrainien

L’exportation des céréales d’Ukraine est figée. La flambée des prix affecte déjà plusieurs pays. En Tunisie, à quelques semaines du mois de ramadan, les rayons de semoule et de farine sont vides. En hâte et au prix fort, l’Algérie vient d’acheter cinq cent mille tonnes de blé à la France. Dans le même temps, elle a interdit la ré-exportation de toutes denrées alimentaires. C’est le chacun pour soi. L’Égypte 102 millions de bouches à nourrir est le premier importateur mondial de blé. Là-bas, le pain hobz en arabe se dit chamsi soleil, ou plus souvent iich la vie. Sans soleil, sans vie l’Égyptien se révolte ou meurt. La famine et la guerre menacent toute l’Afrique. Les céréales russes sont des armes insidieuses à mèche lente plus redoutables que les missiles thermobariques tueurs d’oxygène. À quelles populations et à quelles conditions la Russie, la Chine, les États-Unis et la France feront-elles la charité d’une poignée de leur blé stocké ?


Diplomatie désunie

Au Conseil de sécurité, les Émirats arabes unis qui siègent provisoirement se sont abstenus de condamner l’agression de la Russie. Auparavant, ils avaient tenté en vain de marchander avec Washington l’inscription des Yéménites Houthis qu'ils massacrent sur la liste des organisations terroristes. C’est le monde à l’envers !

Toujours à l’ONU mais à l’Assemblée générale, les États-Unis ont du réitérer leur menace « êtes-vous avec nous ou contre nous, il faut choisir ? ». La résolution a finalement été votée à une large majorité consensuelle de 141 sur 193 mais une minorité de 35 pays - représentant la moitié de la population mondiale - s’est alignée sur la « neutralité » abstentionniste de la Chine.  Il s’agit de l’Iran, l’Irak, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, l’Afrique du Sud, l’Algérie… La Syrie, l’Érythrée  la Biélorussie et la Corée du nord se sont rangées derrière Moscou.


81 têtes coupées, Rahif libéré

Pendant que le monde avait les yeux fixés sur l’Ukraine, le 12 mars en une seule journée, l’Arabie saoudite a décapité 81 « terroristes » et autres coupables de « crimes odieux » comme la sorcellerie, l’adultère, l’homosexualité et l’apostasie qui sont aussi punis de mort. Aucun détail n’a été publié sur cet exploit sans précédent. Combien de bourreaux, combien de sabres ? La scène a-t-elle été filmée, Caligula l’a-t-il visionnée ? Pour tenter d’atténuer l’horreur de ce record, Riyad a libéré le bloguer Rahif Badawi qui a vaillamment purgé 10 ans de prison et 1 000 coups de fouets (réduits à 50 par la grâce princière) pour divergence d’opinion.


Droits de l’homme et droit du prince

Le prince héritier d’Arabie a profité de la conjoncture internationale pour lancer une campagne de réhabilitation de son image aux USA. Dans une interview au magazine The Atlantic, il clame son innocence, nie avoir ordonné l’assassinat de Khashoggi. Culotté, il récite « L'article XI de la Déclaration universelle des droits de l'homme stipule que toute personne est innocente jusqu'à preuve du contraire » Il rappelle que les investissements saoudiens aux États-Unis s'élèvent à 800 milliards de dollars et menace "Où est le potentiel du monde ?  Il est en Arabie Saoudite ! Et si vous voulez le rater,  d'autres à l'Est vont être super heureux…De la même manière que nous avons la possibilité d'accroître nos intérêts, nous avons la possibilité de les réduire » 

Les journalistes Graeme Wood et Jeff Goldberg racontent: « Pour notre première rencontre, MBS nous a convoqués dans un palais isolé au bord de la mer Rouge, le bunker COVID de sa famille. Les protocoles étaient multicouches : une succession de tests PCR par des infirmières des Royal Clinics … » On se souvient de la séquestration des 200 princes, ministres, hommes d’affaires au Ritz Carlton de Riyad en 2017, des multiples purges et disparitions. Dernièrement pour conforter sa succession, le Prince héritier a de nouveau escamoté une palanquée d’oncles et de cousins gênants. Même ambiance sereine à Moscou où l’entourage de Poutine tremble après l’humiliation en publique subie par le directeur des services extérieurs de renseignements de la Russie le 21 février dernier à la veille de l’offensive sur l’Ukraine. 

Prince toxique

Au fil de ses turpitudes Mohamed, fils du roi Salman a perdu son nom. Tout le monde le désigne sous son acronyme MBS, comme une méchante BMW ou un dangereux VIH dont nul ne se souvient de la signification.

Joe Biden depuis son investiture évite tout contact même téléphonique avec lui. Il se contente d’échanger avec le roi - le fils est à l’écouteur - ce qui est ressenti comme un affront et un déni de légitimité successorale. Depuis l’équarrissage de Khashoggi de tous les chefs d’États occidentaux, seul Macron a été serrer lui la main en décembre dernier et puis aussi Boris Johnson il y a quelques jours. 

Ce que l’on reproche à MBS n’est pas tant d’avoir éliminé un opposant - car tous les chefs d’États à de rares exceptions et pour certains à grande échelle, ordonnent des « opérations homo » - mais ils le font "proprement" par drones, balles, explosifs, accidents de la circulation… Nous ne sommes plus en l’an 1800 où l’assassin du général Kleber, un étudiant d’Alep fut méticuleusement empalé pendant quatre heures sur une place du Caire après avoir eu la main brulée. Le squelette de sa dépouille grignotée par les vautours sera transporté en France pour y être exposé au Muséum national d’Histoire naturelle. Avec deux cents ans de retard, le Saoudien se comporte comme Bonaparte ! Poutine n'a lui qu'une petite centaine d'années de décalage.


La menace finale

Il y quelques jours, le géant pétrolier saoudien ARAMCO laissait entendre une transaction avec la Chine payée en yuans. Si l’Arabie, la Russie et la Chine se concertent pour abandonner le dollar dans leurs échanges, la monnaie américaine sera sérieusement secouée.

Par ailleurs la validation d’une  commande de missiles S400 et SU-35 russes serait ressentie par Washington comme un casus belli qui pourrait embraser le Moyen-Orient d’autant que de son côté, Poutine pour plaire à son compère MBS ne se prive pas de jeter de l’huile sur le feu en sabordant, avec la bénédiction d’Israël, les négociations sur le nucléaire iranien.


En attendant la colère des États Unis ou la posture de la Chine qui, Covid aidant, pourrait ralentir la production de ses usines et taper du poing sur la table, MBS et Poutine continueront de pratiquer la diplomatie de la tension meurtrière.

Au constat de ce chaos international inédit, la seule conclusion sans risque de se tromper est que décidément, le monde ne sera plus jamais comme avant (proverbe chinois).



https://www.lemonde.fr/international/article/2021/11/24/en-sept-ans-la-guerre-du-yemen-aura-cause-la-mort-de-377-000-personnes-d-ici-la-fin-de-l-annee-2021_6103373_3210.html

https://www.unicef.fr/article/au-yemen-le-nombre-d-enfants-tues-ou-blesses-continue-d-augmenter-alors-que-la-violence-s

https://grip.org/lindustrie-de-defense-ukrainienne-un-pied-en-urss-lautre-dans-lotan/

https://www.defensenews.com/global/europe/2022/03/14/germany-to-buy-f-35-warplanes-for-nuclear-deterrence/

https://www.reuters.com/world/middle-east/russian-ukrainian-weapons-compete-saudi-defence-show-2022-03-06/

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1868618/arabie-saoudite-executions-81-personnes

https://www.latribune.fr/economie/international/achats-de-petrole-la-chine-et-l-arabie-saoudite-veulent-remplacer-le-roi-dollar-par-le-yuan-906303.html

https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2022/04/mohammed-bin-salman-saudi-arabia-palace-interview/622822/




















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