mercredi 2 février 2022

Yémen, vers la fin de la guerre de 7 ans ?

Les récentes attaques de missiles sur Abu Dhabi marquent un tournant dans la guerre du Yémen. Elles portent l’espoir des derniers soubresauts du confit avant la paix mais aussi la crainte de l’extension de la guerre à l’ensemble de la péninsule arabe et du Golfe persique. Ce qui bouleverserait les flux de la mondialisation et aurait des répercussions incalculables.


Le Yémen ou l’Afghanistan à bas bruit

On se souvient qu’en mars 2015, encouragé par Donald Trump, le Saoudien Ben Salman (MBS) s’était lancé avec son compère Ben Zayed (MBZ) des Emirats Arabes Unis dans une expédition guerrière chez leur voisin. À la manière de Geneviève Tabouis, l’auteur de ces lignes avait alors prédit que le Yémen jamais ne serait asservi. Sept années plus tard, la coalition des agresseurs est sur la défensive, le pot de terre est en train de vaincre le pot de fer. Le scénario afghan se répète.

« Les puissants sont toujours prêts à abattre les brebis rebelles…ils se nourrissent de conflits et de querelles d’influence qui n’engendrent que guerre, exploitation et servitude chez les petits peuples ». Propos de  Kadhafi au  temps de sa lucidité rapportés par l’ambassadeur de France en dignité Guy Georgy (Kadhafi le berger des Syrtes Flammarion 1996).

Dans cette contrée jadis nommée « l’Arabie heureuse », les plus riches bombardent méthodiquement les plus pauvres. Qui se soucie du Yémen ? Là bas, les médias ont déserté l’horreur: plus un journaliste ni même une ONG ne s’y risque. Le Yémen, c’est l’Afghanistan sans témoin. L’écho des cris de douleur des populations nous parviennent chuchotés par quelques lanceurs d’alertes. 


Les alertes de l’ONU sans conséquences

 « Le Yémen reste une terre de torture, avec son peuple ravagé d’une manière qui devrait choquer la conscience de l’humanité… Les civils au Yémen ne meurent pas de faim, ils sont affamés par les parties au conflit…et  il n'y a tout simplement pas d'endroit sûr pour échapper aux ravages de la guerre » déclare M Kamel Jendoubi, président du Groupe d’experts des Nations Unies, espionné par l’Arabie saoudite avec le logiciel intrusif israélien et qui se bat pour réveiller la conscience internationale. Les chiffres publiés par le bureau humanitaire de l’ONU puis du PNUD documentent par méthodes analogiques et recoupements imprécis 377 000 victimes sur les 30 millions que compte les pays. Mais la réalité est sans doute beaucoup plus dramatique.


Qui sont les belligérants ?

Comme dans toute guerre, il y a les bons, - ceux qui sont de notre côté - et les méchants. « Les gentils » sont une partie de la population et de l’ancienne armée gouvernementale, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis, tous soutenus par les USA, GB, France, Israel, Égypte… 

« Les méchants » sont les rebelles Houthis aidés par l’Iran. Les Houthis sont une tribu d’une centaine de milliers d’irréductibles guerriers qui ont rallié à leur cause la capitale Sanaa et les trois quarts de la population du nord montagneux qui est la partie la moins pauvre du pays, celle frontalière de l’Arabie. En d’autres circonstances et autres lieux, on les eut nommés « résistants » ou « révolutionnaires » car après tout, ils se battent pour repousser les agresseurs.

Si les « gentils » de l’Arabie Saoudite ont échoué dans toutes leurs offensives terrestres, ceux des Émirats Arabes Unis ont réussi à conquérir les ports stratégiques d’Aden, Mukalla, l’île de Socotra sur la mer d’Arabie et les ports de Moka, Hodeida, et l’île de Périm sur la mer rouge. 

En résumé, « les méchants » rebelles-résistants sont encerclés et bombardés sur leurs terres de repli.


Astérix au Yémen

Dans ces conditions désespérées, on se demande par l’usage de quelle potion magique les irréductibles yéménites sont parvenus à menacer directement les puissants Émirats arabes unis encore récemment qualifiés de « nouvelle Sparte » à la une du Monde Diplomatique

Le 17 janvier un essaim de drone s’abat sur la zone industrielle de Musaffah à 20km du centre d’Abu Dhabi. Bilan: trois morts et une dizaine de blessés; tous ouvriers immigrés. Alors, les autorités tentent de maquiller l’événement en accident. Mais le lendemain, deux missiles sont détruits en vol alors qu’ils s’apprêtaient à frapper la gigantesque base militaire voisine d’Al Dhafra. C’est là où stationnent 2 000 soldats du commandement des forces aériennes US et les effectifs dix fois plus modestes de la  Base 104 « Lt-Col Charles Pijeaud » de l’armée française que l’alerte a confinés dans les bunkers. 

Le 30 janvier un autre missile est intercepté pendant que le Président israélien entame une visite officielle à Abu Dhabi et Dubaï. Cette attaque fait beaucoup de bruit !


Escalade de menaces

Au plan opérationnel ces raids démontrent l’efficacité des batteries anti-missiles mais aussi l’incroyable capacité offensive des Houthis qui ont réussi à lancer depuis leur montagne d’Al Jawf à 1 200Km de distance des engins de plusieurs tonnes au décollage et emportant chacun une charge explosive de 500kg (des Zulfikar Qasem de fabrication iranienne). Comment sont-ils parvenus à acheminer ces engins au coeur d’un pays assiégé et sous embargo, dans une contrée observée en permanence par des satellites ? 

La capacité et la sophistication des moyens balistiques des Houthis en progression constante représentent désormais une menace avérée pour la sécurité des sites vitaux saoudiens et émiratis: aéroports, centrales électriques, usines de dessalement d’eau de mer, terminaux pétroliers…

Les Yéménites ont menacé que la prochaine salve ciblerait l’Exposition Universelle de Dubaï…


Le message c’est le missile

Les Émirats ont vite résumé le dilemme: évacuer leurs troupes du Yémen ou intensifier les combats. 

La première perspective garantirait leur sécurité intérieure mais les priverait du contrôle de la navigation du golfe d’Aden et de l’accès à la mer Rouge. La seconde impliquerait une offensive massive de fantassins pour monter à l’assaut à la baïonnette des monts du Yémen. Ils n’en ont pas les moyens. Les sept petits émirats de la fédération rassemblent seulement huit cents mille citoyens et huit millions de corvéables immigrés. Ses forces armées suréquipées sont servies par des supplétifs de toutes nationalités. Le corps à corps n’est pas leur fort.  

Les dirigeants du golfe se sont en hâte réuni, à l’exception notable de ceux de l’Arabie Saoudite, mais avec le Président égyptien, seul de la région capable d’aligner plus d’un million d’hommes. Mais il est improbable que Sissi répétera l’erreur de Nasser qui se lança dans les années soixante dans une guerre d’usure dont les bénéficiaires furent l’URSS (qui occupa le Sud Yémen) et dont l’armée affaiblie par cette aventure permit à Israël d’annexer en six jours le Sinaï, la Cisjordanie, Gaza et le Golan. 


La nouvelle Sparte capitule

Moins d’une semaine après les attaques sur Abu Dhabi, les mercenaires et les milices de la « Brigade des Géants » financés par les Émirats annonçaient leurs replis du front de Marib.

Ambitieux mais réalistes, les EAU n’entendent plus risquer leur prospérité qu’une insécurité durable pourrait ruiner. Cette « capitulation » place l’Arabie Saoudite en posture d’unique belligérant condamné à mettre  rapidement à son tour un genoux à terre. Le Prince Salman d’Arabie dont la succession à son roi de père s’annonce problématique est plus que jamais isolé. La fin de la guerre du Yémen pourrait bien correspondre avec la fin de ses ambitions.



La France Total

Coté Français, on s’est fait des frayeurs en imaginant qu’un missile aurait pu frapper l’une des trois bases militaires françaises à Abu Dhabi ! Quelle eut été alors la réponse de Macron ? Pour autant, ces événements épargnent les intérêts français. Le pétrolier Total demeure le premier opérateur au Yémen mais ses gisements de Marib sont à la merci des Houthis et le terminal gazier de Balaf dans le golf d’Aden est sous la double protection des Émirats Arabes Unis et de sociétés militaires privées. Jusqu’à présent la diplomatie d’entreprise française tire son épingle du jeu. Mais pour encore combien de temps ? Dans un rapport dense et très documenté dont la presse ne s’est pas fait l’écho, l’ONG SumOfUs basée à San Francisco pose une question qui fâche: « La France et Total en guerre au Yémen ? "


https://blogs.mediapart.fr/hedy-belhassine/blog/060315/yemen-les-dernieres-nouvelles-de-demain

https://news.un.org/fr/story/2020/09/1076802

https://news.un.org/en/story/2021/09/1099342

https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/Assessing%20the%20impact%20of%20war%20in%20Yemen%20-%20Pathways%20for%20recovery.pdf

https://www.monde-diplomatique.fr/2021/03/THIEBAUD/62841

https://www.oryxspioenkop.com/2019/09/houthi-drone-and-missile-handbook.html

https://s3.amazonaws.com/s3.sumofus.org/images/Rapport_Yemen_Total.pdf


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