Auteure inconnue publiée par un éditeur indépendant, elle est passée à la télévision. Augustin Trapenard l’avait invitée à juste raison. J’ai lu en apnée son roman terrifiant, éblouissant de tendresse et d’humanité. Pauline Hillier est graine de nominée au prix Goncourt ou Femina.
En 2013, elle était Femen: groupuscule international de militantes féministes radicales anti-religieuses qui affichaient publiquement leurs revendications sur la peau de leur poitrine.
En Tunisie Amina dont j’ai raconté l’épopée, avait cru elle aussi que la liberté guiderait le peuple tunisien. Elle proclamait cette espérance sur ses seins nus. Son arrestation souleva des protestations internationales. Quelques jours avant la date de son procès, ses camarades françaises qui voulaient se solidariser étaient prévenues: « Venez en Tunisie ! Nous couperons vos seins et nous les donnerons à manger à nos chiens ! » Dans ce climat accueillant, il fallait être folle pour oser. Pauline Hallier n’a pas hésité. À peine dénudée devant le Palais de justice de Tunis elle était interpellée et incarcérée.
C’est à ce moment que son récit commence. Les conditions d’écrou et de détention à la prison de la Manouba sont décrites froidement, méthodiquement. Elle est jetée dans la « meilleure » cellule de la prison qui est grande comme un studio parisien où s’entassent 28 femmes sur des lits superposés. Un trou et un broc pour l’hygiène; pain et brouet de haricots pour nourriture; cafards, rats, moustiques pour distractions. Odeur des latrines, puanteur des autres et de soi. Harcèlement systématique, permanent des gardiennes. Pauline rebaptisée Bolina est socialement exécutée, déshumanisée.
On lui a pris tous ses vêtements mais laissé « Les Contemplations » de Victor Hugo, un recueil de 158 poèmes, sans doute confondus avec les sourates chrétiennes. Après l’avoir lu cent fois, en cachette, elle raconte au crayon dans la marge la trame de ce qui sera son oeuvre: « Les Contemplées ». Elle dédie ce témoignage glaçant et affectueux « Aux rejetées. Aux rebues. Aux innocentes. Aux coupables »… à ses codétenues devenues ses soeurs dans l’épreuve.
La société tunisienne est largement fétichiste et superstitieuse, c’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle l’idéologie salafiste a échoué. Dans tout le pays, la sorcellerie occupe une place presque équivalente à la religion qu’elle complète ou supplante parfois. Chacun cherche à deviner le destin que lui réserve Allah à travers les signes prémonitoires que seules les voyantes savent repérer. Le recours aux charlatans permet d’épancher ses secrets. C’est la psychanalyse de l’inculte, c’est le divan du pauvre.
Depuis son enfance Pauline-Bolina joue à lire les lignes de la main. Dès lors, toutes recherchent son amitié. De la petite voisine muette condamnée à un an pour un joint fumé, à la vieille qui a tué tous les hommes de sa famille le jour où elle n’a plus supporté d’être battue une fois de trop. Même la vieille "cabrane", la caporale, redoutable matronne de cellule, même les ignobles surveillantes. Toutes viennent se confier à la « daggaza » française. En arabe, en français en frarabe, avec des signes de connivences elles avouent l’inavouable caché au fond de leur conscience.
Après Dumas, Flaubert, Montherlant… la Tunisie a toujours inspiré les écrivains voyageurs pour décrire la douceur d’y vivre, l’accueil de ses habitants, la beauté du ciel et de ses monuments. Mais sur l’avers de la médaille nul n’avait encore gravé l’enfer des femmes. À la prison des hommes, Philippe Soupault, un auteur aussi grand et pourtant moins connu que Breton et Aragon, avait été encagé par les fascistes en 1942. Il a raconté la prison militaire de Tunis. « Le temps des assassins » est un livre oublié dont j’ai jadis estimé qu’il était un des nombreux chefs d’oeuvres de la littérature française. Comme celle de Philippe Soupault, l’écriture de Pauline Hillier est dépouillée, palpitante, sincère.
Sur l’étagère de la Grande Bibliothèque les deux auteurs mériteraient d’être rangés en miroir côte-à-côte, comme frère et soeur qui ont subi la même souffrance de l’humiliation. « Humiliation qui est une couleur, une musique, une odeur, un contact....Une amertume dans la gorge, un vide dans les mains, une sueur au front » écrit Philippe Soupault. Pauline Hillier lui fait écho: « Je me rhabille en vitesse. Je me sens souillée, abusée. Je n’ai plus d’affaires, plus de papiers, plus de nom, plus de signature, et plus de dignité. Je garde mes yeux sur mes pantoufles à mycoses pendant que les suivantes y passent. Certaines ont l’âge de ma mère, c’est une douleur terrible que d’assister impuissante à leur humiliation »
Attention ! Il ne faut pas confondre Les Contemplées de Pauline Hillier publié à La Manufacture de livres avec le Guide du Routard, à commencer sa lecture le soir on risque de la terminer au petit matin.
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