lundi 20 février 2023

Armes du Moyen-Orient à l’Ukraine ?

L’événement de la semaine ne sera pas rapporté par les grands médias alors qu’il n’est pas anodin. Il s’agit du salon international de l’armement terrestre et naval IDEX qui se tient à Abu Dhabi où 1 350 entreprises accourues de 65 pays exposent leurs marchandises de toutes sortes, depuis l’arme invisible jusqu’aux gamelles et bidons. 

C’est un lieu de rencontre neutre, luxueux et apaisé où tous les va-t-en-guerre lèvent le pouce pour une trêve de cinq jours, le temps de faire ses emplettes. Discrètement ou ouvertement, chefs d’États, ministres, hauts gradés, commerçants, ingénieurs, espions, aventuriers de toutes nationalités… au total 130 000 personnes se côtoient pour soupeser les matériels et négocier les meilleurs affaires. 

Selon l’IRIS, le marché mondial de l’armement pèse plus de 2 000 milliards de dollars.


Il y a trente ans jour pour jour, à la première édition de cette manifestation, il n’y avait pas foule. Le ministre français de la défense de l’époque, Pierre Joxe était venu à reculons sans grand espoir de vendre une douzaine du nouveaux Leclerc. Le premier jour du salon, un communiqué officiel laconique annonçait que les Émirats avaient décidé de passer une commande colossale de 388 chars ! Êtes-vous sur ? C’est un malentendu, avez-vous correctement traduit ?…Les officiels tournaient nerveusement en rond dans le pavillon français en attente de confirmation. Ce fut le contrat du siècle pour la France, dont d’ailleurs les allemands tirèrent discrètement le plus grand profit car leurs agents avaient réussi à imposer leurs moteurs MTU et boites de vitesses RENK au détriment des français EMAT et SESM.


Qu’Abu Dhabi soient au centre du commerce mondial des armes n’est pas fortuit car le Golfe borde des pays hyper-militarisés: l’Iran, l’Irak, les Émirats arabes-unis, l’Arabie Saoudite,  Bahrein, le Kuwait, le Qatar dont les arsenaux débordent d’équipements en tous genres. 

Depuis un siècle, la zone directement ou en périphérie est le théâtres de guerres sans fin. La Palestine est un chaudron toujours incandescent, l’Irak et la Syrie sont ravagés, la Somalie et le Yemen sont exsangues. À deux mille kilomètres à la ronde, on ne trouve que fusils pointés. 

Pour protéger les routes du pétrole les État Unis, la Grande Bretagne et la France entretiennent des bases aéro-navales permanentes dans toute la région. Les armées du Qatar sont en Érythrée, celles des Émirats arabes unis occupent les points stratégiques des côtes du Yémen, de la Somalie ainsi que toutes les îles qui contrôlent l’accès à la mer Rouge. 


 

À IDEX, la guerre d’Ukraine sera au centre de toutes les conversations mais ne bouleversera pas les habitudes. Business first as usual.

L’agence Tass annonce l’exposition de 200 matériels  « ayant fait leurs preuves dans la région et  testés avec succès lors d'opérations de combat réelles contre des groupes terroristes » sic. On annonce mêmes quelques démonstrations in situ. 

D’un autre coté, on fera le bilan de l’accord de  coopération d’un milliard de dollars signé il y a deux ans par le Président Zelinsky aux Émirats dont l’un des aboutissements est la mise au point d’un drone catapulté de 12 kilos capable d’aller percer un char à 30km. L’engin est labellisé « battle proven »


L’Ukraine est toutefois une préoccupation politique et éthique secondaire pour les arabes. L’autodétermination et le droit des peuples à disposer d’eux même sont des notions  à géométrie variable depuis qu’Israël grignote la Palestine. La loi du plus fort est une résignation inscrite dans l’histoire arabe. Quand en mars 2015 le prince saoudien MBS a envahi le Yémen, nul n’a sourcillé, tous se sont ralliés à l’agresseur. Son comparse des Émirats le prince MBZ en a profité pour aller annexer Aden et installer quelques comptoirs.  Alors, vue d’Abu Dhabi ou de Dubaï, la guerre d’Ukraine est surtout l’occasions de conclure de bonnes affaires pas de faire de la morale diplomatique.


L’agression de l’Ukraine qui a surpris les stratèges a des conséquences importantes sur le marché de l’armement car cette guerre d’Europe apparait archaïque. Comme en 14/18, on s’y entre-tue à coup de canons, et de grenades. Retranchées, les troupes montent à l’assaut pour un corps-à- corps, les drones sournois ont remplacé le gaz moutarde, mais les armes sophistiquées réputées décisives restent muettes pour l’instant. 

Et puis, vu d’Abu Dhabi, cette guerre ressemble finalement à un conflit oriental où chaque camp épuise ses réserves et dont l’issue dépend de l’approvisionnement en armes et munitions venues d’ailleurs. Mais le rythme inédit de la canonnade perturbe le marché car demande est supérieure à l’offre. 

Alors l’Ukraine cherche désespérément des matériels disponibles sur étagères. Seuls les états possèdent des stocks, mais ils ne veulent pas s’en départir car on sait jamais ! De surcroit les soldats ukrainiens n’étant pas familiarisé avec les armes occidentales qui exigent des semaines de formation, Kiev recherche surtout celles du camps adverse immédiatement opérationnelles. Elles abondent en Asie, au Proche-Orient, en Afrique, mais l’approche diplomatique et commerciale n’est pas facile. 


On regarde l’Algérie dont l’infanterie blindée est exclusivement équipée de matériels russes. D’aucuns ne seraient pas fâchés de pouvoir les échanger contre des armes occidentales. 

On se tourne vers le Pakistan et l’Indonésie qui pourraient revendre à l’Ukraine les chars et les pièces d’artillerie qu’elle lui a acheté il y a quelques années.  

Mieux, les Émirats arabes unis pourraient rétrocéder à bon prix quelques uns de leurs 650 exemplaires du fameux char BMP3 russes. 

Les Saoudiens pourraient faire don d’une centaine de leurs redoutables lances roquette multiples capables de tirer 60 obus thermobariques en 15 secondes à 30 km... achetés à Poutine, il y a à peine quelques années.  

Le Kuwait pourrait sans risque se dessaisir de quelques milliers de missiles anti-chars russe dont les ukrainiens connaissent bien le maniement. 

Des emplettes de missiles nord-coréens sont aussi envisageables en Egypte. Il suffit d'y mettre le prix !

Enfin, le Qatar qui possède plus de missiles anti-chars que d’habitants est tellement gavé de matériel que cela lui pose des problèmes de manutention et de stockage. L’Ukraine est peut-être la solution.


Finalement, les stocks dormants dans les arsenaux arabes suffiraient s’ils étaient exportés en Ukraine à repousser l’agresseur jusqu’à Moscou avant le printemps. Mais il ne faut pas rêver !





 









 


Aucun commentaire: