Le 22 mai prochain Élisabeth Borne soufflera sa première bougie surpassant le record d’Édith Cresson qui avait tenu 10 mois et 18 jours. Pour tenter d’apaiser la colère des Français, Macron fera t-il sauter le fusible de Matignon au risque de s’électrocuter ?
Il y a moins d’un an, la presse célébrait la nomination d’une Première ministre. Un événement, pensez ! La seconde en trente ans de phallocratie gouvernementale ininterrompus. Sur l’échiquier international, nous étions enfin à parité d’émancipation avec le Togo, la Tunisie, la Suède, la Lituanie, l’Ouganda, la Namibie, la Serbie, le Danemark, la Moldavie, le Gabon, la Barbade et j’en passe. À la matinale de France Inter un humoriste à deux balles avait ironisé sur la coupe de cheveux de Borne. Avait t-il jamais péroré sur la calvitie de Fabius, la moumoute de Valls, les favoris de Macron ? Ailleurs, le Canard se déchainait dans des jeux de mots faciles: a Star is Born(e), Borne plaine, Borne les mimosas, les Cents Borne(s), Borne dépassée …
Soyons juste, Élisabeth n’a pas subi l’humiliation d’Édith qui à peine nommée ministre de l’Agriculture en 1981, avait été saluée par un cortège de porcs de la FNSEA arborant ce calicot « on t’espère meilleure au lit qu’au ministère ! »
Sous la coiffe d’Élisabeth Borne se cache un cerveau. Certes moins volumineux que celui des hommes diront les pt’its mecs, mais bien mieux façonné que la plupart des grosses têtes aux airs intelligents. C’est une X-Ponts, préfète. Il y avait longtemps que pareil cursus ne s’était hissé au sommet de la politique. Il faut remonter à 1815 pour trouver un ingénieur préfet, à 1848 pour un ministre aux mêmes qualités, et à 1887 avec l’élection de Sadi Carnot à l’Élysée qui les cumulait toutes.
La nomination à Matignon d’une ancienne élève de l’X, l’école militaire la plus sélective et la plus prestigieuse des écoles d’ingénieurs de France, est inédite. De surcroît, la Première ministre est issue de la crème des crèmes, celle des polytechniciens admis à l’école nationale des ponts et chaussés: seulement une vingtaine chaque année. Ils sont tous incontestablement savants, intelligents, bosseurs et très imbus de leur supériorité rarement imméritée.Les alumni X-Ponts sont solidaires et soudées. Quels que soient leur âge et leur fonction, ils se tutoient. La Cheffe du gouvernement est par conséquent à tu et à toi avec les très hauts cadres de la fonction publique et la plupart des PDG du CAC 40. Cette caste d’élites discrètes et taiseuses est copieusement détestée par les bavards prétentieux de l’ENA.
L’autre corps à laquelle Mme Borne est lié est celui des préfets. Ils sont deux centaines à porter le titre et l’uniforme. Serviteurs imperturbables du pouvoir, la moitié de ces « empereurs au petit pied » règne sur l’administration départementale. Depuis Napoléon, ils sont logés dans d’extravagants palais et servis par une domesticité titularisée - majordomes, cuisiniers, chauffeurs, jardiniers - dont il n’existe aucun équivalent en Europe. La préfectorale est l’aristocratie de la fonction publique. Un seul revers à leur médaille, ils peuvent être révoqués ad natum, sans préavis, ni explication. Ils font alors leurs paquets dans l’heure, quittent leur somptueuse résidence officielle pour rejoindre leur domicile personnel. En attendant une affectation ils sont placés en position hors cadre.
Au siècle dernier, Pierre Viansson-Ponté le pape des journalistes de la période gaullienne, situait le gouvernement de la réflexion à l’Élysée et celui de l’action à Matignon. Tandis que celui-ci fixait les objectifs, dessinait l’horizon, celui-là mettait en oeuvre et faisait tourner l’administration. On est rendu bien loin de l’esprit et de la lettre de la constitution. Au fil des ans l’article 20 qui stipule que le Premier ministre « détermine et conduit la politique de la Nation » est tombé en déshérence sans que ni l’opinion, ni le parlement, ni les juges ne s’en émeuvent. Le Président de la République phagocyte tous les pouvoirs. Le premier de ses collaborateurs, le secrétaire général de l’Élysée est une sorte de directeur adjoint qui répercute les directives de son patron aux ministres. C’est une gouvernance entrepreunariale qui a réduit le conseil des ministres à un comité de direction et le parlement à une instance représentative du personnel.
Sarkozy se mêlait de tout, Hollande s’attachait aux détails, Macron les dépasse tous deux en boulimie. Le voici, entre deux coups de téléphone et deux voyages, décidant du programme de maths des potaches à la rentrée, accordant une interview à « Pif Gadget » avant de tenir une réunion informelle à la Lanterne avec des influenceurs du net. Pendant ce temps, dans l’ombre et sur la pointe des pieds la DRH de Matignon se dépatouille pour réformer les retraites, remplir les bassines, contenir l’appétit des pétroliers, sauver les territoires ultramarins, …. et surtout, perdre son temps à notamment gérer les audaces médiatiques d’une secrétaire d’état auteure boulimique d’ouvrages aux titres évocateurs inédits à Sciences Po: « Osez l’amour des rondes »; « Osez l’orgasme féminin »… Elle ose tout Schiappa ! C’est même à ça qu’on la reconnait !
Comment ne pas compatir aux difficultés d’Élisabeth Borne censée encadrer cette équipe de bras cassés dont les incompétences soigneusement sélectionnées par le couple de l’Élysée sont une caricature dont se gaussent les étrangers.
Sans autre pouvoir réel que celui de rendre son tablier, sa marge de manoeuvre est nulle mais elle parait s’en accommoder, elle endosse sans broncher.
Haute fonctionnaire sans état d’âme, elle a dans le passé servi Ségolène Royale. Était-elle socialiste ? Est-elle devenue opportuno-macronienne par ambition ? Sa seule marque d’indépendance fut d’aller pantoufler quelques années chez Eiffage, le roi des autoroutes concédées où elle s’est familiarisée avec les turpitudes du BTP.
Si demain, elle était « démissionnée » par Macron, nul ne sourcillera, pas même elle. Quand on est polytechnicienne on claque des talons, quand on est Préfète, on courbe l’échine.
Mais il ne faut pas confondre la femme qui fait l’ouvrage avec celle que l’ouvrage fait supposer; Élisabeth Borne pourrait bien s’affranchir de sa mission de manager de transition et aller gagner la place de son patron.
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