mercredi 22 juillet 2009

La chèvre de Monsieur Sekkinn

« Allo M’sieu Lédi ? C’est le café tabac du Luzat. C’est au sujet d’Amédée. Il est mort. On l’a enterré hier. Il avait laissé un mot avec votre téléphone, faudrait venir chercher la chèvre

Je tombe de l’armoire.
« Heu, laissez moi votre numéro, je vous rappel … »

C’est l’histoire de la rencontre entre deux fous.

Il y a longtemps, par le hasard de plusieurs conversations de bistro à Clermont, Marseille, Malte, Tunis et Alger, il m’était révélé les détails de la vie d’un ancien bagnard, Amédée Latache dit Le Sekkinn (le couteau en arabe) ancien caporal des BMC. L’homme était tombé pour le meurtre d’un rival proxénète en 1934. Condamné à mort, commué aux travaux forcés par l’intervention de Pétain, il passa d’abord quinze ans sous le soleil de Biribi, fut le héros d’une mutinerie aux dix huit victimes avant d’être relégué à Tataouine. Il sortit du trou en 1961 grace à la fille de l’une de ses ex-michetonneuses aidée par une jeune avocate qui deviendra célèbre. Bref, Le Sekkinn fut une légende de la population carcérale du siècle dernier.

J’allais à sa rencontre il y a quelques années dans un petit village des monts d’Auvergne où il s’était retiré comme ferrailleur.
En cet après midi d’été brulant, l’homme corpulent et massif comme une statue de Rodin était figé dans fauteuil en osier à l’ombre d’un figuier. Une énorme chèvre était couchée à ses pieds, indifférente à mon approche.
Au lieu de pénétrer dans le hangar à bric à brac, je m’attardais dehors, le nez en l’air. Agacé Le Sekkinn finit par m’interpeller d’une voix puissante « qu’est-ce que tu cherches ? » Je lâchais mystérieux « des souvenirs… » On se regarda dans les prunelles. « T’es venu pour acheter ? » - « Non » « Alors t’es un flic ? » -« Non » Il lut dans mes yeux la vérité. Toujours méfiant mais intrigué, il n’ajouta rien que des grognements.
Je fis une diversion météo, prétexte à une invitation à aller se rincer le gosier au bistro sur la place. La chèvre nous poursuivit… Notre conversation surréaliste aussi « D’où tu viens ? » - « de l’autre coté … » « On se connait ? » Je concédais l’air finaud : « Moi je te connais mais toi tu ne me connais pas… » Silence. Ses yeux intrigués perçaient derrière le trait de ses paupières plissées.

Je prononçais en arabe « miskine elli mis es sekkinn » (malheur à celui qui touche au Couteau !) Un moment pétrifié de stupeur, le géant bondit bousculant la table et les verres gentianes ; il s’en fût à grands pas en gesticulant au milieu de la place suivi à petit pas par la chèvre placide. Avec le bistrotier sorti de derrière son comptoir on l’entendit marmonner des incohérences. Au bout d’un moment il revint à peine apaisé « tu es le Diable ! » me cracha t-il en hurlant.
Comment pouvait-il en effet imaginer qu’un quidam de la moitié de son âge, au look de français moyen viendrait lui rappeler son titre de gloire des bagnes. Miskin elli mis sekkinn, voila que cet avertissement chuchoté pendant trois décennies dans les cachots d’Afrique du Nord était prononcé à nouveau en Auvergne devant son inspirateur !

A force de canons et de confidences ça s’est arrangé. On est devenu copain. Il m’a entrainé dans sa caverne d’Ali Baba. Il voulait tout me donner. « Tiens, prends, ça vaut des sous tu sais ! Je te le donne ! » Je refusais puis pour lui faire plaisir finis par accepter des lettres de Pierre Laval auxquelles il semblait particulièrement tenir.

Plusieurs années de suite je retournerai le voir. A chaque fois on boira des coups et il cherchera à me combler de cadeaux que je repousserai.
C’était devenu un jeu entre nous. Il allait fouiller dans sa grange, revenait avec une lampe, un fauteuil, un vase… « Tiens prends ! » - « j’en veux pas de ton truc ! » Un jour pour m’amuser je lui dis : « Ce qui me ferait plaisir c’est ta chèvre » Le Sekkinn prit un air grave : « Ce que tu me demandes, tu sais que je ne peux pas te le donner, prends moi tout le reste, mais pas elle ! » Je protestai « Mais non Amédée, c’était pour rigoler ! » Le Sekkinn était resté sérieux:
« Quand je ne serai plus là, elle sera à toi! »

Le grand homme a tenu sa promesse !

2 commentaires:

Anonyme a dit…

tu as de la chance d'habiter le Perche, la biquette va s'y plaire
Imagine la sur ton balcon en région parisienne ...

Anonyme a dit…

Ouais, la meeza va s'y plaire...Je te vois déjà, quand, devenu vieillard, tu raconteras des vieux souvenirs auxquels personne ne comprendra grand-chose, en mêlant l'arabe et le français, et toi, à quel pèlerin de passage laisseras-tu ta meeza?
Nabila.