Chaque famille tunisienne a souffert de la dictature. Les témoignages sont indispensables surtout lorsque les souvenirs se confondent avec des moments ombragés de l’Histoire.
Mahmoud Belhassine mon père, aujourd’hui nonagénaire, était chargé de mission auprès du Président Bourguiba. Il était son ami, son confident. Il l’accompagnait dans ses promenades quotidiennes, prenait avec lui tous ses repas.
Il ne m’appartient pas de témoigner à sa place, mais voici les souvenirs précis que je puis apporter sur cette période précédant le coup d’Etat médical du 7 Novembre 1987 par Ben Ali.
A cette époque, je travaillais à Paris, mais je me rendais en Tunisie trois ou quatre fois par an. En ce début du mois de Novembre 1987, j’étais à Tunis pour quelques jours de vacances avec mon fils ainé Selim alors âgé de 13 ans.
La situation politique était tendue. Depuis l’été des attentats attribués aux islamistes entraînaient une répression féroce. Se dissimulant derrière Bourguiba épuisé, Ben Ali torturait, tuait, pendait, vitriolait les vitrioleurs…Un climat de terreur s’installait peu à peu dans le pays. Mes amis militants des droits humains dont les regrettés M’Hamed Chabbi, Serge Adda à Paris, et à Tunis, Khémaïs et Alya Chamari, Khadidja et Ali Cherif et tant d’autres…étaient comme moi bouleversés et impuissants.
Je m’en faisais l’écho auprès de mon père en le conduisant ce 3 Novembre 1987 au palais de Carthage. Nous étions seuls dans l’antique Ford qu’il ne se résolvait pas à changer. A l’approche des grilles du palais, contrairement à l’habitude, les portes restèrent fermées. La garde présidentielle avait été relevée, des « ninjas » vérifièrent nos identités avant de nous laisser entrer. Je remarquais un déploiement de forces exceptionnel autour des bâtiments et la présence de deux navires de guerre patrouillant face au palais. Mon père était soucieux, nous venions d’avoir une conversation houleuse, il m’avait confessé son impuissance face au premier ministre et à la nièce qui « remontent » le Président. Lorsque je l’interrogeai sur le renforcement de la sécurité du Palais il répondit laconiquement sur la parano sécuritaire de Ben Ali.
Après l’avoir déposé, je rentrai directement à Tunis. Je soupçonnais qu’un coup d’Etat était en cours. Des amis m’informèrent que le ministère de l’intérieur lançait des rumeurs calomnieuses sur Mahmoud Belhassine : qu’une enquête était ouverte pour malversations, qu’il devrait se dépêcher de prendre un avion…
Le soir, j’eus à nouveau une conversation difficile avec mon père qui finit
par me demander brutalement quel serait mon choix si j’étais à sa place, entre la fidélité et la trahison ? Tout était dit.
Le lendemain son chauffeur le conduisit à Carthage. C’était le jour du Mouled. L’assida avait un goût amer. A dix heures, un appel du Palais ; ma mère prit le combiné, je gardai l’écouteur. Mon père d’une voix inhabituelle débita un discours sans doute lu et destiné à rassurer un auditoire de flics: « Le président Bourguiba vient de me recevoir, il a eu des paroles très affectueuses pour moi et toute la famille, il s’est rendu compte de ma fatigue…il m’a déchargé de mes fonctions et m’a demandé de prendre soin de toi…tout va bien…je rentre pour déjeuner à la maison.. »
Je compris que le coup d’Etat était en marche et que Ben Ali venait d’écarter celui que l’histoire retiendra peut-être comme étant le premier à lui avoir dit non.
Pressentant le danger, je fis ma valise et avançai mon retour en France de 48H. J’embrassai mon père sur le trottoir, il s’étonna de mon départ précipité. Je lui demandai si c’était Bouguiba ou Ben Ali qui l’avait chassé de Carthage ? La réponse fut claire. Dans l’avion qui décolla à 13h il y avait le ministre des affaires étrangères et plusieurs personnalités. Ils firent semblant de ne pas me reconnaitre. La nouvelle de la disgrâce s’était propagée.
A mon arrivée le 4 novembre à Paris, je faisais connaitre mes suspicions de coup d’Etat par Ben Ali. Un proche parent qui était dans un cabinet ministériel me traita d’affabulateur pessimiste. En revanche, mes amis politiques français et exilés, de droite comme de gauche prirent mes alertes plus au sérieux.
Le 7 novembre au matin, mon père était arrêté, ainsi que mon jeune frère Kemal et mon beau frère le Colonel Ghazi Skander. Ces derniers seront bousculés puis relâchés quelques jours plus tard alors qu’en hâte un procès était monté de toutes pièces contre Mahmoud Belhassine.
Quelques semaines plus tard, un tribunal qui avait cru au « changement » condamna mon père à une peine de principe qui couvrait sa détention préventive. Immédiatement le parquet fit appel de la peine qui fut aggravée… aux travaux forcés ! La presse s’en offusqua. Ben Ali décida alors de supprimer les travaux forcés. Puis, la sentence fut commuée en dix ans de prison assortie d’une amende gigantesque destinée à camoufler la confiscation de ses biens. Mes parents possédaient à Hamilcar une petite maison de style colonial qui n’avait pas d’attrait particulier si ce n’est une vue magnifique sur la mer. Sur ordre de Ben Ali, cette propriété de famille a été saisie par l’Etat et revendue immédiatement pour 1 dinar à un Materi, lequel s’empressa de tout raser pour construire deux maisons luxueuses.
Mon père a été détenu pendant deux ans à la prison de Tunis dans des conditions dégradantes. Ses amis se sont inlassablement activés pour le faire libérer. Ben Ali a finalement cédé contre l’engagement d’un bannissement perpétuel en France où ma mère avait hérité d’une modeste maison dans les environs de Paris.
Contrairement à ce que j'ai pu lire dans le récit publié dans La Presse de Tunis du 7 février 2011 qui reprend l’excellent ouvrage d’Aly Zmerli, mon père n’avait pas la nationalité française lorsqu’il était en Tunisie, il l’a acquise en exil en 1993, alors qu’il était sans papiers et après avoir décliné le statut de réfugié que lui proposait le pays où il avait combattu l’occupant nazi.
Aujourd’hui, mes parents très âgés vivent de leur retraite cotisée en France entre 1938 et 1956, période ayant précédé leur retour en Tunisie avec Bourguiba.
Mahmoud Belhassine a toujours le sourire éclatant et les yeux qui pétillent, peut-être encore davantage depuis le 14 janvier : « Je loue Dieu de m’avoir laissé vivre aussi longtemps pour assister à la révolution de la jeunesse de mon pays dont je suis fier car elle est digne et courageuse. Malgré mes handicaps, je retournerai à Tunis pour témoigner au procès de Ben Ali… Kan hab rabbi ! »
1 commentaire:
Il faudra que le prochain gouvernement Tunisien organise une cérémonie pour rendre honneur à Mahmoud Belhassine qui à été respectueux du Président Habib Bourguiba pére de la patrie et homme politique remarquable.
Mahmoud Belhassine était à la demande du Président Habib Bourguiba sa canne blanche et il n'a jamais usé de cet avantage et cet honneur qui lui été fait.
Ilest et sera un homme qui aura compté dans ce si beau pays et qui va avoir une trés grande prospérité grace à la volonté du Président Habib Bourguiba qui à toujours voulu une classe moyenne et Mahmoud Belhassine l'a beaucoup aidé dans cette action.
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