La Normandie aussi a vécu son printemps aride.
Non pas au G8 de Deauville, mais dans les pâturages et les bocages transformés en désert. Cent jours sans eau. Jamais vu ça, affirmaient les centenaires. Dans les prairies, les vaches grattaient le sol de leurs sabots pour déterrer quelques racines desséchées. La botte de foin s’échangeait sous le manteau à des prix faramineux. Les puits étaient à sec et le lit de l’Eure défait.
Allait-il pleuvoir à la fin ?
Ptèt ben qu’oui, ptèt ben qu’non. La météo débitait des menteries. « Y’a pas plus de nuages dans le ciel que de beurre en broche… » Au train où vont les choses me dit Joseph le fermier d’à côté, « j’va planter des cactus et élever des chameaux ». L’Henriette son épousée, n’était pas partante. C’est une bigote qui voit dans les caprices du ciel la colère du Père. Pour elle, la cause de tous les malheurs est entendue : « y’a plus personne à la messe. Alors, le bon dieu, occupé qu’il est avec les volcans en irruption, les centrales en fusion, les arabes en révolution…et j’en passe…il nous a oublié. Faudrait ptèt s’rappler à son bon souvenir pour l’Ascension ». Quand l’idée eut fait son chemin de croix dans la commune, il fut unanimement décidé lors du repas de la fête des voisins qu’il serait célébré des rogations.
Les rogations sont des prières pour la pluie. Depuis la nuit des temps jusqu’à jadis elles avaient lieu le lundi, mardi et mercredi précédant l’Ascension. Notre assemblée de joyeux Normands convint aussi sur ma suggestion de mohametant, de faire appel à l’imam de Sée pour qu’une salat al istisqâ (prière de la pluie) soit également dite. Ça ne mange pas de pain ! Lança le Maire après une tournée de goutte. Et pour assurer le coup, faudrait envoyer deux pèlerins, l’un à Rome et l’autre à la Mecque surenchérit un pochtron. Ben voyons !
Ce qui fut dit fut fait.
Au matin du cent deuxième jour de canicule une procession nombreuse et recueillie parcourut les chemins et les champs. Le prêtre vêtu d’une aube immaculée et d’une chasuble dorée aspergea la terre de gouttes d’eau bénite, puis, il déposa ça et là des petites pierres ornées d’une croix en cire blanche.
Pendant ce temps, sur la pelouse de paille où des tapis avaient été disposés, une dizaine de fidèles entonnèrent derrière l’imam la prière à deux rakaat. Pour faire pendant aux infidèles, on versa le sang d’un agneau égorgé sur la mare asséchée. Puis on rôtit la bête, tandis que Joseph mettait en perce un tonnelet de cidre aigrelet.
Par l’effet conjugué des prières, un gros nuage surgit. L’assistance resta un long moment comme statufiée, le nez en l’air, les yeux fixés sur ce signe évident. Le diacre et l’imam se congratulèrent avec force accolades. Jean-Yves en profita pour déboucher une bombonne de calva dont il sacrifia un petit verre au pied d’un pommier. A cet instant précis, le tonnerre gronda. Martine et quelques autres bigotes se signèrent en hâte. Slimane qui était sur le point de trinquer récita une sourate en fermant les yeux, les paumes ouvertes vers ciel. Ses mains recueillirent les premières gouttes d’un déluge qui crépita ensuite longuement sur le toit de la grange où l’assemblée s’était réfugiée.
Après les vêpres et salat el-asr, après méchoui et calendos, chacun s’en fut sur son petit nuage.
Le sommeil me porta vers des rêves insensés de prières exaucées. Et la pluie de plomb qui s’abattait sur les révoltés arabes cessa.
1 commentaire:
Oui, ça marche ces prières : j'en pleut de rire !
Enregistrer un commentaire