samedi 25 février 2012

Montligeon ou le capitalisme à visage divin

Paul-Joseph Buguet est né de l’autre coté de ma forêt il y a cent cinquante ans. Le gamin était studieux, il devint curé. On lui confia une paroisse au pied d’une colline percheronne. Le village était misérable ; les hommes faisaient la vache, les femmes de la dentelle, les vieux des sabots. Tous grattaient la terre du châtelain. Tous étaient républicains.
L’abbé Buguet s’improvisa entrepreneur. Il créa plusieurs petites manufactures de textile, puis une imprimerie. Son entreprise a traversé les crises et les siècles, elle est toujours prospère, elle emploie 200 personnes pour 25 millions d’euros de chiffre d’affaires ce qui par les temps qui courent en Basse Normandie, n’est pas rien !

Le Saint homme eut une autre idée géniale.

Un jour, muni de sa canne et d’une forte inspiration, il s’en alla frapper à la porte des fermes des environs. « Pour un sou, je dirai une prière pour vos défunts ».
Un sou, ce n’est rien ! Les gens donnaient d’avantage ! L’abbé entreprit un tour de France, puis d’Europe et d’Amérique ; ses envoyés sillonnèrent l’Afrique et l’Asie.
La petite association devient multinationale. En moins de dix ans elle comptait des millions d’adhérents.
En 1901 l’œuvre du curé reçoit plus de deux cent mille commandes de messes. Un secrétariat multilingue se charge d’accuser réception. Les dons affluent de partout. Le modeste prêtre est devenu un personnage considérable de l’Eglise. Il est reçu à Rome, habillé de pourpre.
Sous après sous, la cagnotte devint multimillionnaire en or.

Alors, le Père Buguet construisit une basilique de dix sept chapelles capable de recevoir mille deux cents fidèles qui bientôt affluèrent à pieds à cheval et par trains spéciaux. Le Pape en personne se déplaça.

Aujourd’hui, les flèches de la Basilique Notre-Dame de Montligeon veillent toujours sur le bien-être des paroissiens. Les fidèles sont fidèles et les pèlerins toujours aussi nombreux. Le sanctuaire est un havre de silence, de sérénité et de courtoisie. L’hôtellerie offre des chambres de bon confort et des repas simples à prix modiques pour deux cents voyageurs. Mais si vous êtes loin, il vous suffit, pour délivrer l’âme délaissée de votre cher disparu, de quelques clics en ligne sur un menu en neuf langues. Au choix : une messe simple, une neuvaine (neuf jours de prières) ou un trentain. Les tarifs sont à la portée des héritiers les plus modestes.

Au dernier forum de Davos, nul n’a pensé inviter la mémoire de Paul Buguet, le Père du capitalisme à visage défunt.

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