jeudi 9 février 2012

Le Raja Farhat de Bourguiba

Habib Bourguiba n’est plus, Raja Farhat lui a survécu. L’un fut le Président, l’autre est mon ami, ce qui me donne le droit de parler de son spectacle époustouflant que je n’ai pas vu mais que j’attends.

C’est la rencontre de deux grands.
Imaginez Louis Jouvet transfigurant Clémenceau ou Jean-Pierre Marielle en De Gaulle dans un stupéfiant monologue de deux heures sans entracte devant un parterre de spectateurs hypnotisés. La performance de l’acteur est unique.
Le grand homme soliloque, se lamente, blague, ricane, se confie, révèle l’histoire cachée de la Tunisie. Le public verse des larmes, lance des yahyia ou des you you, chante debout l'hymne de l'indépendance hier encore censuré.

Raja Farhat savoure sa revanche.
La dictature tunisienne a broyé une pleine génération d’hommes de savoir et de culture. Pire, elle les a ignorés lorsqu’elle ne tentait pas de les rabaisser à son niveau. Bourguiba était un érudit sans raffinement, Ben Ali un inculte vulgaire.
Dans l’humilité et la discrétion, des artistes ont survécu indifférents aux persécutions, affichant un « apolitisme » salutaire, masquant la haine sous le rire de la dérision.
Raja est un surdoué du savoir, il a tout lu en quatre langues, tout vu sur tous les continents, tout mangé et dégusté à la table de gens passionnants. Incollable sur tout, intelligent en tout. Homme de théâtre, de cinéma, de radio, journaliste, chroniqueur, scénariste, écrivain...et surtout, père de famille aimant. La dictature le redoutait, elle veillait à lui faire ravaler ses jeux de mots, elle le cajolait mais pas trop. Raja comme tous les intellectuels tunisiens en résistance surveillée, hibernait.

Au soir de la vie, le grand artiste ressuscite le personnage pour lequel il a de suprêmes raisons de honnir le souvenir. Il le fait avec tendresse et compassion, ne retenant de Bourguiba que la grandeur au dessus de laquelle il s’élève. Le pardon de Raja est à la mesure du succès incroyable de sa performance.

Le spectacle doit immigrer à Paris le mois prochain. La communauté tuniso-française ne tiendra pas toute dans le théâtre Dejazet. Qu’on se le dise !

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