Il faut écouter Cohen. Non pas celui qui pérore chaque matin dans le poste mais Jared Cohen le patron de Google Ideas.
Ce trentenaire surdiplômé n’est pas tout à fait un perdreau de l’année. Il a été dans sa petite jeunesse le benjamin du cabinet de Condolizza Rice avant de rejoindre celui d’Hillary Clinton. Puis, pour conforter son classement parmi les hommes les plus influents de la planète, il a mis les talents de son cyber cerveau au service de Google où il est chargé de lire l’avenir dans la nébuleuse du web.
Peu importe de savoir si Jared est un « cohanim » issu de la lignée sacerdotale de la Torah, sa pensée stéréotypée est assurément celle d’un Américain du Connecticut élevé à l’ombre de la bannière étoilée. Sa pensée est représentative de ce qui germe à Washington.
Il y a quelques jours, il est venu à Tunis se faire photographier avec Manoubia Bouazizi, la maman du plus célèbre immolé de la terre. Puis, il est allé échanger des douceurs avec ministres et Président. « Les Tunisiens sont les héros de ma vie ! » leur a t-il dit. Les complimentés ont apprécié. Ils ont répondu avec le même excès d’insincérité : « tout le mérite de la chute de Ben Ali revient à Internet ». Or, chacun sait que la toile était censurée jusqu’à la veille de la fuite du dictateur. L’histoire dira de quel coté étaient Google et ses filiales…
L’humanité selon Cohen se partage entre les jeunes et les autres. La fracture n’est pas culturelle, elle est démographique, elle n’est pas sociale, elle est digitale. C’est la lutte des classes numériques. D’ici dix ans le monde sera gouverné par les cyber-révolutionnaires d’aujourd’hui. Entretemps, il importe de compléter la mise en place des outils de la société globale. Ainsi, il a invité les onze millions de Tunisiens à se confesser sur Youtube sans trop se soucier de la crise économique qui est passagère, car « dans toute société il y a des hauts et des bas ».
Nul ne sait si le message est passé auprès de mes amis internautes de Melloulèche et de Ben Ghilouf!
Lorsqu’on demande à Jared ce qu’il pense des islamistes, il esquive, feint de ne pas avoir entendu ce qualificatif qu’il renonce même à prononcer. Les Américains ne s’aventurent jamais sur ce terrain. Le premier amendement de l’US Bill of Right est gravé dans le disque dur de chaque citoyen : discrimination sociale à la rigueur, mais religieuse jamais !
L’interviewer insiste, Cohen persiste.
Ce n’est de sa part ni laïcité ni duplicité mais l’expression non dite de la pensée US. Pour les Américains, la religion n’est pas un clivage. Tous sont croyants, deux sur trois sont pratiquants. Tout prêteur de serment caresse le livre. Chaque réunion solennelle commence par un bénédicité. Au pays des évangélistes, Dieu est partout : alors parler de l’implicite est incongru. Le régime salafiste leur est supportable. Après tout, un wahhabite n’est pas beaucoup plus austère qu’un mormon !
Il n’y a que les Français à mentalité de croisés pour supporter des ministres agnostiques confabuler sur les identités et les civilisations. Les Américains eux, sont indulgents. Le pénitent a le droit de prier qui bon lui semble pourvu qu’il accepte le billet vert qu’on lui tend sur lequel est inscrit « In God we trust ».
Le pistage de la pensée individuelle est un projet global de Google auquel peu de populations échapperont. La Tunisie constitue un laboratoire in vitro d’où sortira une modélisation de la gestion des systèmes de demain. L’idéologie de la nouvelle génération US est celle de la googlisation de la planète.
La seule résistance à cette ambition de domination est la pluralité d’expression. Il existe plusieurs milliers de jargons dans le monde dont une vingtaine de langues que les cyber-interprètes sont incapables de traduire correctement. Ceci limite la communauté d’amis de Facebook et freine la propagation des idées.
La prochaine révolution sera celle de l’écriture visuelle universelle qui permettra à Jared et ses associés de dialoguer avec tous les humanoïdes sans exception.
Lorsque ce temps viendra : de savoir tout sur tous, d’enregistrer tout sans jamais oublier rien, invisible, omniscient et suprême…
Alors Google se prendra pour Dieu !
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