Pendant
que l'Europe à l'unisson lézardait en papotant sous le soleil
dominical de ce joli mois de mai, un tsunami économique venu
d'Arabie Saoudite a frappé le cœur des Pays Bas.
A
Riyad, une circulaire gouvernementale a enjoint le patronat du
Royaume wahhabite d'éviter tout acte commercial avec la Hollande.
Les autorités ont également annoncé des mesures de restriction de
visas d'entrée pour les ressortissants du pays désormais
black-listé.
La
proclamation saoudienne qui s'apparente à un boycott en règle a
stupéfié les
Hollandais
qui commercent paisiblement avec la Péninsule arabe depuis quatre
siècles ! A Riyad, et Dammam, à La Haye et Rotterdam, les
patrons des cent vingt groupes néerlandais implantés
en Arabie Saoudite dont celui de la Shell, première entreprise
mondiale, sont tombés de leurs chaises en apprenant la nouvelle.
Cette
manifestation de guerre économique entre le Royaume du sabre et le
Royaume de la tulipe est unique dans les annales diplomatiques. Elle
augure peut-être l'amorce d'une crise majeure entre l'Arabie
islamiste et l'Europe séculière laquelle ne pourra guère, en cette
circonstance, se dispenser de manifester sa solidarité.
Riyad
reproche au gouvernement de La Haye d'être demeuré passif face aux
propos du leader d'extrême droite Geert Wilders dont le Parti de la
Liberté ne fait guère dans la dentelle de l'islamophobie et
de la saoudophobie. Ses militants appellent régulièrement à
combattre l'islam, négation de l'égalité des genres et
source de toutes les perversités du monde.
Ils vilipendent les sourates du Coran - ouvrage comparé à Mein
Kampf- , caricaturent la profession de foi inscrite sur la bannière
des Saoud, et subsidiairement, accusent ouvertement les services
secrets wahhabites d'être les instigateurs du terrorisme
international, World Trade Center compris.
Le
parti populiste de Wilders n'est pas un groupuscule. Il pèse près
d'un million d'électeurs soit dix pour cent des votants. Il est
représenté en proportion par quinze députés à la Chambre des
Représentants. C'est la troisième formation politique des Pays Bas,
elle s'apprête à gagner les élections européennes de dimanche
prochain.
Cerise
sur le gâteau : Wilders est un adulateur du sionisme
qui ne cache pas ses liens de complicité avec le pouvoir de Tel Aviv
et le Mossad. Cette singularité marque sa divergence avec les
leaders du Front National de France qu'il qualifie sobrement
d'infréquentables antisémites. Il est pourtant probable qu'ils
parviendront à s'entendre pour constituer un groupe au
Parlement Européen.
Jusqu'à
présent, la montée
du parti extrémiste néerlandais était un phénomène de politique
intérieure. La spectaculaire déclaration de Riyad lui donne une
stature internationale inespérée à la veille des élections. L'huile de Riyad vient à point nommé pour attiser le
feu de l'intolérance européenne mal maîtrisée.
En mettant la plus atlantiste des nations dans l'embarras,
c'est aussi l'Union Européenne tout entière qui est touchée. Le
développement d'une crise politique entre l'Arabie et l'Europe est
une hypothèse qu'il convient de ne pas écarter.
Mais
pourquoi la monarchie saoudienne prend ce risque et quel est
l'objectif recherché ?
Sur
les marches du Palais, un courtisan chuchote que les Saoud auraient
découvert que le patronat néerlandais qu'ils enrichissent,
finançait un parti sioniste islamophobe. Un autre prétend que la
manœuvre est téléguidée par un clan rival ambitieux qui a trouvé
ce prétexte pour signifier aux grands groupes internationaux que le
pouvoir des affaires saoudiennes avait changé de mains.
La
conjoncture se prête à ces interprétations
car à Riyad, chaque jour apporte son lot de stupeurs et de
tremblements.
Au
chevet du vieux roi qui agonise, les tribus se déchirent. Limogeages
et nominations se succèdent à un rythme qui laisse deviner l'âpreté
de la guerre de succession. La maîtrise
du puissant Ministère de la Défense et de l'Aviation, le MoDA est
au centre d'un enjeu principal. Le clan Sultan qui commandait sans
partage l'armée du Royaume depuis trois générations a été
décapité. En l'espace de quelques mois, il aura perdu le Ministère,
les vice ministères, les Etats majors, la direction des
renseignements. Cette purge spectaculaire est étonnante car elle
vise essentiellement une lignée proche des puissants
néoconservateurs américains. Elle n'a pourtant suscité ni réaction
ni résistance. Cette passivité apparente laisserait supposer
l'existence d'un scénario alternatif radical à la succession
préparée du roi Abdallah.
Mais
faut-il absolument tenter de déceler une cohérence dans les
obscures intrigues et les marchandages incessant de la cour des sept
mille princes ?
Tout
comme l'exigence puis le refus de siéger au Conseil de l'ONU,
l'appel puis le renoncement au jihad en Syrie, la complicité puis la
mise au banc du Qatar, l'invective puis la main tendue à l'Iran...la
menace commerciale qui vise les Pays Bas, porte d'entrée de l'Europe
est une posture du moment dont il est difficile de décrypter
l'intelligence.
Ce
qui est certain, c'est qu'elle prolonge le redéploiement vers
l'inconnu de la politique étrangère de la première puissance
pétrolière mondiale.
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