dimanche 18 mai 2014

L'Arabie Saoudite s'invite aux élections européennes


Pendant que l'Europe à l'unisson lézardait en papotant sous le soleil dominical de ce joli mois de mai, un tsunami économique venu d'Arabie Saoudite a frappé le cœur des Pays Bas.

A Riyad, une circulaire gouvernementale a enjoint le patronat du Royaume wahhabite d'éviter tout acte commercial avec la Hollande. Les autorités ont également annoncé des mesures de restriction de visas d'entrée pour les ressortissants du pays désormais black-listé.
La proclamation saoudienne qui s'apparente à un boycott en règle a stupéfié les Hollandais qui commercent paisiblement avec la Péninsule arabe depuis quatre siècles ! A Riyad, et Dammam, à La Haye et Rotterdam, les patrons des cent vingt groupes néerlandais implantés en Arabie Saoudite dont celui de la Shell, première entreprise mondiale, sont tombés de leurs chaises en apprenant la nouvelle.

Cette manifestation de guerre économique entre le Royaume du sabre et le Royaume de la tulipe est unique dans les annales diplomatiques. Elle augure peut-être l'amorce d'une crise majeure entre l'Arabie islamiste et l'Europe séculière laquelle ne pourra guère, en cette circonstance, se dispenser de manifester sa solidarité.

Riyad reproche au gouvernement de La Haye d'être demeuré passif face aux propos du leader d'extrême droite Geert Wilders dont le Parti de la Liberté  ne fait guère dans la dentelle de l'islamophobie et de la saoudophobie. Ses militants appellent régulièrement à combattre l'islam, négation de l'égalité des genres  et source de toutes les perversités du monde. Ils vilipendent les sourates du Coran - ouvrage comparé à Mein Kampf- , caricaturent la profession de foi inscrite sur la bannière des Saoud, et subsidiairement, accusent ouvertement les services secrets wahhabites d'être les instigateurs du terrorisme international, World Trade Center compris.

Le parti populiste de Wilders n'est pas un groupuscule. Il pèse près d'un million d'électeurs soit dix pour cent des votants. Il est représenté en proportion par quinze députés à la Chambre des Représentants. C'est la troisième formation politique des Pays Bas, elle s'apprête à gagner les élections européennes de dimanche prochain.
Cerise sur le gâteau : Wilders est un adulateur du sionisme qui ne cache pas ses liens de complicité avec le pouvoir de Tel Aviv et le Mossad. Cette singularité marque sa divergence avec les leaders du Front National de France qu'il qualifie sobrement d'infréquentables antisémites. Il est pourtant probable qu'ils parviendront à s'entendre pour constituer un groupe au Parlement Européen.

Jusqu'à présent, la montée du parti extrémiste néerlandais était un phénomène de politique intérieure. La spectaculaire déclaration de Riyad lui donne une stature internationale inespérée à la veille des élections. L'huile de Riyad vient à point nommé pour attiser le feu de l'intolérance européenne mal maîtrisée. En mettant la plus atlantiste des nations dans l'embarras, c'est aussi l'Union Européenne tout entière qui est touchée. Le développement d'une crise politique entre l'Arabie et l'Europe est une hypothèse qu'il convient de ne pas écarter.
Mais pourquoi la monarchie saoudienne prend ce risque et quel est l'objectif recherché ?

Sur les marches du Palais, un courtisan chuchote que les Saoud auraient découvert que le patronat néerlandais qu'ils enrichissent, finançait un parti sioniste islamophobe. Un autre prétend que la manœuvre est téléguidée par un clan rival ambitieux qui a trouvé ce prétexte pour signifier aux grands groupes internationaux que le pouvoir des affaires saoudiennes avait changé de mains.
La conjoncture se prête à ces interprétations car à Riyad, chaque jour apporte son lot de stupeurs et de tremblements.

Au chevet du vieux roi qui agonise, les tribus se déchirent. Limogeages et nominations se succèdent à un rythme qui laisse deviner l'âpreté de la guerre de succession. La maîtrise du puissant Ministère de la Défense et de l'Aviation, le MoDA est au centre d'un enjeu principal. Le clan Sultan qui commandait sans partage l'armée du Royaume depuis trois générations a été décapité. En l'espace de quelques mois, il aura perdu le Ministère, les vice ministères, les Etats majors, la direction des renseignements. Cette purge spectaculaire est étonnante car elle vise essentiellement une lignée proche des puissants néoconservateurs américains. Elle n'a pourtant suscité ni réaction ni résistance. Cette passivité apparente laisserait supposer l'existence d'un scénario alternatif radical à la succession préparée du roi Abdallah.
Mais faut-il absolument tenter de déceler une cohérence dans les obscures intrigues et les marchandages incessant de la cour des sept mille princes ?
Tout comme l'exigence puis le refus de siéger au Conseil de l'ONU, l'appel puis le renoncement au jihad en Syrie, la complicité puis la mise au banc du Qatar, l'invective puis la main tendue à l'Iran...la menace commerciale qui vise les Pays Bas, porte d'entrée de l'Europe est une posture du moment dont il est difficile de décrypter l'intelligence.
Ce qui est certain, c'est qu'elle prolonge le redéploiement vers l'inconnu de la politique étrangère de la première puissance pétrolière mondiale.

Et c'est cela qui est inquiétant.

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