Tous
les bédouins connaissent le remède miracle préconisé par le
prophète : « buvez le lait et l'urine de dromadaire ! »
Au
premier signe de malaise, les chameliers en avalent
un petit verre. Et hop ! On se sent tout de suite guérir.
Certains dégustent quotidiennement cet élixir. Préventivement. On
en donne aussi aux enfants.
Il faut dire que le lait de chamelle est
plutôt rafraichissant et que son urine est inodore, légèrement
salée avec des accents de figues de barbarie.
En
Arabie Saoudite la potion panachée est autant répandue que chez
nous la Ricoré ou l'eau de Vichy. Et comme la pharmacopée moderne
n'a jamais révélé de contre-indication
sérieuse, ce « nutriment » est ingéré par la plupart
des habitants de la péninsule arabe sous la forme d'ampoules,
canettes, pastilles, sirop, gélules, spray...en vente dans toutes
les supérettes.
Il
y a deux ans, les services sanitaires saoudiens ont détecté les
premières manifestations d'un virus mortel inconnu. Le ministre de
la santé, un illustre chirurgien pédiatre de renommée mondiale
alerta la communauté médicale internationale qui accourut
de toutes parts pour identifier cette nouveauté. Très vite, les
savants découvrirent que les malades avaient probablement été
contaminé par l'ingestion de produits camélidés infectés. Au fil
des mois on s'aperçut
que le virus avait muté du chameau à l'homme et qu'il se propageait
désormais entre humains par simple échange de souffle ou au contact
de la peau. Au terme d'une période d'incubation de deux semaines,
les patients succombent de suffocation. A la demande du ministère
saoudien, les laboratoires pharmaceutiques du monde entier
généreusement encouragés se lancèrent à la recherche d'un
remède. En vain.
Il
fallut
se
rendre à l'évidence : le MERS, Middle East Respiratory Syndrom
est un coronavirus hautement pathogène contre lequel il n'existe
aucune parade. Mais à lire les communiqués officiels saoudiens,
l'infection demeurait « sous contrôle » et rien ne
justifiait des mesures préventives exceptionnelles. D'ailleurs,
durant ces dernières années, nul ne s'émut beaucoup de la mort de
quelques chameliers dans le désert. Mais peu à peu la maladie gagna
les villes, et surtout on apprit qu'un résident américain avait été
infecté. Les statistiques publiées
« en toute transparence » firent d'abord état d'une
mortalité circonscrite à quelques cas par mois. Puis la fréquence
devint hebdomadaire. Le recensement est à présent quotidien.
Combien de morts ? Nul ne fait confiance aux autorités qui
annoncent de cinq à vingt cas chaque matin. Très officiellement
l'épidémie n'aurait fait que cent quarante victimes.
Les
réseaux sociaux sur le net font état de malades refoulés des
hôpitaux, de la démission d'équipes médicales complètes, de
décès de médecins syriens,
tunisiens, indiens, et d'infirmières phillipines et bengladesh.
Selon l'Organisation Mondiale de la Santé les deux tiers des
victimes contaminées sont des personnels hospitaliers et il faut
rappeler que plus de quatre vingt dix pour cent du corps médical qui
exercent en Arabie sont constitués
d'étrangers. Alors, les patients évitent l'hôpital réputé
infecté. On préfère mourir entre soi lorsqu'on n'a pas les moyens
de se payer une clinique dont les prix ont quadruplé en l'espace de
quelques semaines. Des parents n'envoient plus leurs enfants à
l'école, les pharmaciens n'ont plus de masques ni de désinfectants,
les avions au départ sont complets...Les rumeurs les plus folles se
répandent, bref un vent de panique souffle dans le Royaume.
Il
y a quinze jours, le Ministre de la santé a été remercié. Son
remplaçant, un communiquant, fait feu de tout bois pour tenter de
rassurer l'opinion alarmée. Il multiplie les recommandations :
« faites bouillir le lait de chamelle; faites bien griller
le camel burger, évitez les accolades et les touchers de
bouts de nez ; femmes voilées, hommes masqués, mains
lavées... »
La
presse relaie maladroitement
les rares signes d'espoir. Ainsi, un médecin frappé par la grippe
saoudienne a raconté le régime qui lui a valu une miraculeuse
guérison : miel, dates, gingembre, cumin noir, le tout
généreusement arrosé d'eau bénite de la source de Zam Zam !
Conséquence : dans les heures qui ont suivi, le liquide sacré
était en rupture de stock et les habitants de Jeddah se sont rués
par l'autoroute vers La
Mecque
pour faire provision de bidons à la source miraculeuse.
Quelques
spécialistes de la communauté médicale internationale ont évoqué
les risques d'une épidémie que la spécificité de l'Arabie
Saoudite rend mondialement alarmante. La terre de la Qîbla est
ouverte à tous les musulmans. Le pèlerinage aura lieu en octobre
prochain. Faut-il laisser deux millions de voyageurs propager la
grippe du dromadaire
à travers le monde ?
L'Arabie a-t-elle la capacité d'empêcher l'accès des lieux saints
pour des raisons sanitaires ? Les pays étrangers auront-ils le
courage d'interdire à leurs ressortissants musulmans de se rendre à
La Mecque ?
L'OMS
au retour d'une mission dans le Royaume wahhabite écarte le risque
de pandémie et ne préconise aucune mesure restrictive. Pour le
moment.
En
Arabie Saoudite où tout événement
est forcément d'inspiration divine, la grippe est perçue comme un
châtiment dont on recherche la cause. La dynastie s'en est
inquiétée. Le roi nonagénaire est sorti de son palais pour montrer
au bon peuple qu'il ne portait pas de masque de protection.
Mais
dans les provinces reculées, aux frontières du Yémen, de l'Irak,
des Emirat, du Koweit, d'Oman, du Qatar et de la Jordanie, les
chameliers fébriles continuent de boire à la source le remède
sacré...Partout ailleurs, dans les villes et les villages de la
Péninsule arabe les dévots
poursuivent leurs cure d'élixir de dromadaire. Comment leur
expliquer l'impossible guérison du mal par le mal ?
En
attendant l'improbable vaccin salvateur ou l'extinction de la race
des camélidés et de leurs montures, cette histoire de pipi de
chameau pourrait bien changer la face du monde salafiste où nul
n'osera jamais imaginer que la potion du prophète est devenue
mortelle.
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