lundi 12 mai 2014

MERS ou la grippe du chameau d'Arabie



Tous les bédouins connaissent le remède miracle préconisé par le prophète : « buvez le lait et l'urine de dromadaire ! » 
 Au premier signe de malaise, les chameliers en avalent un petit verre. Et hop ! On se sent tout de suite guérir. Certains dégustent quotidiennement cet élixir. Préventivement. On en donne aussi aux enfants. 
Il faut dire que le lait de chamelle est plutôt rafraichissant et que son urine est inodore, légèrement salée avec des accents de figues de barbarie.
En Arabie Saoudite la potion panachée est autant répandue que chez nous la Ricoré ou l'eau de Vichy. Et comme la pharmacopée moderne n'a jamais révélé de contre-indication sérieuse, ce « nutriment » est ingéré par la plupart des habitants de la péninsule arabe sous la forme d'ampoules, canettes, pastilles, sirop, gélules, spray...en vente dans toutes les supérettes.

Il y a deux ans, les services sanitaires saoudiens ont détecté les premières manifestations d'un virus mortel inconnu. Le ministre de la santé, un illustre chirurgien pédiatre de renommée mondiale alerta la communauté médicale internationale qui accourut de toutes parts pour identifier cette nouveauté. Très vite, les savants découvrirent que les malades avaient probablement été contaminé par l'ingestion de produits camélidés infectés. Au fil des mois on s'aperçut que le virus avait muté du chameau à l'homme et qu'il se propageait désormais entre humains par simple échange de souffle ou au contact de la peau. Au terme d'une période d'incubation de deux semaines, les patients succombent de suffocation. A la demande du ministère saoudien, les laboratoires pharmaceutiques du monde entier généreusement encouragés se lancèrent à la recherche d'un remède. En vain.

Il fallut se rendre à l'évidence : le MERS, Middle East Respiratory Syndrom est un coronavirus hautement pathogène contre lequel il n'existe aucune parade. Mais à lire les communiqués officiels saoudiens, l'infection demeurait « sous contrôle » et rien ne justifiait des mesures préventives exceptionnelles. D'ailleurs, durant ces dernières années, nul ne s'émut beaucoup de la mort de quelques chameliers dans le désert. Mais peu à peu la maladie gagna les villes, et surtout on apprit qu'un résident américain avait été infecté. Les statistiques publiées « en toute transparence » firent d'abord état d'une mortalité circonscrite à quelques cas par mois. Puis la fréquence devint hebdomadaire. Le recensement est à présent quotidien. Combien de morts ? Nul ne fait confiance aux autorités qui annoncent de cinq à vingt cas chaque matin. Très officiellement l'épidémie n'aurait fait que cent quarante victimes.

Les réseaux sociaux sur le net font état de malades refoulés des hôpitaux, de la démission d'équipes médicales complètes, de décès de médecins syriens, tunisiens, indiens, et d'infirmières phillipines et bengladesh. Selon l'Organisation Mondiale de la Santé les deux tiers des victimes contaminées sont des personnels hospitaliers et il faut rappeler que plus de quatre vingt dix pour cent du corps médical qui exercent en Arabie sont constitués d'étrangers. Alors, les patients évitent l'hôpital réputé infecté. On préfère mourir entre soi lorsqu'on n'a pas les moyens de se payer une clinique dont les prix ont quadruplé en l'espace de quelques semaines. Des parents n'envoient plus leurs enfants à l'école, les pharmaciens n'ont plus de masques ni de désinfectants, les avions au départ sont complets...Les rumeurs les plus folles se répandent, bref un vent de panique souffle dans le Royaume.

Il y a quinze jours, le Ministre de la santé a été remercié. Son remplaçant, un communiquant, fait feu de tout bois pour tenter de rassurer l'opinion alarmée. Il multiplie les recommandations : « faites bouillir le lait de chamelle; faites bien griller le camel burger, évitez les accolades et les touchers de bouts de nez ; femmes voilées, hommes masqués, mains lavées... »
La presse relaie maladroitement les rares signes d'espoir. Ainsi, un médecin frappé par la grippe saoudienne a raconté le régime qui lui a valu une miraculeuse guérison : miel, dates, gingembre, cumin noir, le tout généreusement arrosé d'eau bénite de la source de Zam Zam ! Conséquence : dans les heures qui ont suivi, le liquide sacré était en rupture de stock et les habitants de Jeddah se sont rués par l'autoroute vers La Mecque pour faire provision de bidons à la source miraculeuse.

Quelques spécialistes de la communauté médicale internationale ont évoqué les risques d'une épidémie que la spécificité de l'Arabie Saoudite rend mondialement alarmante. La terre de la Qîbla est ouverte à tous les musulmans. Le pèlerinage aura lieu en octobre prochain. Faut-il laisser deux millions de voyageurs propager la grippe du dromadaire à travers le monde ? L'Arabie a-t-elle la capacité d'empêcher l'accès des lieux saints pour des raisons sanitaires ? Les pays étrangers auront-ils le courage d'interdire à leurs ressortissants musulmans de se rendre à La Mecque ?
L'OMS au retour d'une mission dans le Royaume wahhabite écarte le risque de pandémie et ne préconise aucune mesure restrictive. Pour le moment.

En Arabie Saoudite où tout événement est forcément d'inspiration divine, la grippe est perçue comme un châtiment dont on recherche la cause. La dynastie s'en est inquiétée. Le roi nonagénaire est sorti de son palais pour montrer au bon peuple qu'il ne portait pas de masque de protection.
Mais dans les provinces reculées, aux frontières du Yémen, de l'Irak, des Emirat, du Koweit, d'Oman, du Qatar et de la Jordanie, les chameliers fébriles continuent de boire à la source le remède sacré...Partout ailleurs, dans les villes et les villages de la Péninsule arabe les dévots poursuivent leurs cure d'élixir de dromadaire. Comment leur expliquer l'impossible guérison du mal par le mal ?

En attendant l'improbable vaccin salvateur ou l'extinction de la race des camélidés et de leurs montures, cette histoire de pipi de chameau pourrait bien changer la face du monde salafiste où nul n'osera jamais imaginer que la potion du prophète est devenue mortelle.

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