Lorsque
le 10 juin dernier le calife s'autoproclama empereur des arabes, le
monde accueillit l'annonce comme celle d'un premier avril. Vexé par
cette planétaire indifférence, le nouveau vizir du Levant massacra
quelques hérétiques, bouscula les Kurdes
et pour faire bonne mesure déporta en masse les chrétiens. Il
s'appropria aussi quelques champs de pétrole et surtout, un
gigantesque barrage en enrochement dont l'équilibre précaire
menaçait d'engloutir Mossoul sous le tsunami d'une vague de 20m de
haut avant d'aller d'inonder Bagdad. Enfin, pour bien marquer sa
détermination l'homme en mousseline noire ordonna que l'on égorgea
un
Américain
devant la caméra de ses amis de Facebook. La vision de la tête
proprement tranchée et soigneusement posée sur le ventre de la
victime enflamma le net. Pour amplifier l'écho de la terreur, le
bourreau à l'accent britannique mit en
scène en septembre une seconde représentation de son spectacle
macabre.
Alors,
l'Occident qui durant l'été avait pareillement détourné les yeux
du massacre à Gaza, se réveilla enfin !
Obama
interrompit sa partie de golf et sonna le tocsin. Tous les ennemis
d'hier levèrent le pouce. Oubliée la guerre contre « Bachar »,
oublié le blocus de l'Iran. Même la question de l'Ukraine
prit le
chemin de la négociation pour que les chasseurs russes et américains
puissent voler de concert dans le ciel de Ninive.
A
la faveur de ce délicieux état de grâce on se prit à rêver de la
paix en Palestine !
Finalement,
avec une poignée de barbus enturbannés, Abu Bakr Al Baghdadi est en
passe de réussir en quelques semaines ce que des milliers de
diplomates tentent depuis des lustres !
La
révolution "califale"
Quelle
que soit l'issue de la guerre du Levant, il y aura désormais un
avant et un après la révolution califale.
Car
c'est bien d'un épisode de la révolution arabe sanglante, arrogante, conquérante, à l'image de la France de 1789
ou de la Russie en 1914. Son souffle et son écho promettent la
comparaison avec celles de Mao ou de Khomeiny.
Moncef
Marzouki, premier Président Tunisien d'une nouvelle République issue des Printemps arabes, compare
l'enchainement des révolutions à un tremblement de terre
dont les répliques plus ou moins sanglantes bouleverseront à jamais 23 nations et d'autres. L'observation du terrain lui donne raison car
aucun de ces pays ne vit en paix avec ses voisins. Les violences sont
à toutes les frontières :
Algérie-Tunisie-Libye-Egypte-Palestine-Liban-Syrie-Irak-Jordanie-Arabie-Yémen...et
j'en oublie !
La
violence de l'insurrection métastase. Certes il y a quelques rares
terres de paix: le Maroc et les principautés pétrolières du Golfe.
Mais partout ailleurs, le serpentin de la terreur a réduit des
nations entières à vivre sous la gouvernance de bandes façon Mad
Max.
Tenter
de comprendre
Ce
n'est pas simple car les savants ne nous facilitent pas la tache.
Pour
les experts en sciences orientales, la problématique arabe semble se
résumer à des confrontations entre factions laïques, musulmanes,
chrétiennes, yazidis, houtistes, chiites, sunnites, wahhabites,
ultra salafistes... Les jihadologues embrumés restituent au jour le
jour, grâce à des logiciels magiques, la cartographie animée des
supposées alliances et scissions au sein du moindre groupuscule
mésopotamien de cyber-activiste. Il y a aussi tous les rideaux de
fumée que soufflent les services d'une bonne quarantaine de pays. Il
y a enfin les thuriféraires, hommes d'affaires/communicants des
pétromonarchies.
Cette
cacophonie étouffe l'écho de l'opinion des populations en détresse,
elle masque une dramatique évidence : les arabes sont résignés
à l'islamisme car sa dictature leur semble moins pire que celle
qu'ils ont subie jusqu'à
présent.
C'est
la leçon que l'on doit tirer de la soumission des peuples de Syrie,
d'Irak, de Libye à quelques aventuriers décidés.
Les
damnés de la terre
Depuis
notre confort
d'Européen,
on oublie les conditions dans lesquelles croupissent la plupart des
380 millions d'arabes : chômage, pauvreté, eau au compte goutte,
électricité aléatoire, bébés sans lait, vieux sans
médicaments...ajouté à cela, un environnement de prédateurs
maitre chanteurs qui menacent la vie et le destin des familles à
tout moment. Combien de millions sont-ils en Irak, en Syrie, en
Libye, au Soudan, en Egypte, en Somalie à vivre comme à Gaza, comme
des rats, sans même la possibilité de fuir.
La
prière seule procure l'éphémère espoir de survivre. C'est sans
doute pourquoi, abominablement avilis par
leurs satrapes, les d'arabes se sont convertis avec ferveur ou
résignation à l'idéal politique propagé par les islamistes. Ceci
ne s'est pas fait en un jour ! Le processus mature depuis des
décades. La voix démocratique a été tentée dans les deux pays
phares du monde arabe (l'Algérie puis l'Egypte) avec le sang pour
seule réponse. Alors quelle alternative à la violence ?
« La patience a des limites » pleurait Oum Kalthoum.
C'est la longue et douloureuse plainte amoureuse inlassablement
reprise en choeur depuis soixante ans par les arabes.
La
leçon de Mossoul
Mossoul,
siège du Califat n'est pas une bourgade de bédouins du désert.
C'est une population d'un million et demi d'habitants. L'une des plus
érudites
du
moyen-orient. Des universités réputées, des industries actives,
une agriculture généreuse, un carrefour commercial prospère. Le
cœur de la Mésopotamie est fière d'une histoire prestigieuse
qu'aucune nuée de sauterelles bipèdes n'a jamais réussi à
ravager. Comment interpréter l'absence de tout mouvement de
résistance face à une troupe de quelques milliers d'hommes ?
La terreur n'explique pas tout.
L'adhésion
ou la résignation n'est pas la conséquence d'antagonismes
régionaux, tribaux, religieux ou sectaires, c'est celle du désespoir
que nourrit la misère sur une terre où les richesses fabuleuses ont
été captées
par une poignée de moutons noirs.
Jamais
la haine d'Israël,
des Etats-Unis et de leurs vassaux n'a jamais été aussi unanime,
mais cet exutoire est devenu insuffisant. La gouvernance arabe est en
perdition. La plupart des chefs d'Etats sont décrépis par l'âge,
la maladie et le lucre. Il y a certes de rares exceptions : le
roi du Maroc, - qui s'est permis un
bain de foule improvisé lors d'une visite privée en Tunisie - les
Cheiks d'Abu Dhabi et de Dubaï qui bénéficient d'une grande
popularité. Mais aucun autre dirigeant arabe ne se risquerait sur un
trottoir sans sa cohorte de gorilles armés jusqu'aux dents. D'Alger
à Riyadh le pouvoir est discrédité, moribond, vacillant, quasi
vacant. Il est à prendre. La « soft révolution à la
tunisienne » n'est pas reproductible, c'est la leçon de la
Syrie et de la Libye . L'islamiste radical est devenu le seul outil
capable de renverser la table. Alors la création d'une fédération
de nations arabes unies dans la religion est finalement une ambition
majoritairement partagée ; y compris et provisoirement par tous
les opposants aux systèmes de gouvernances des régimes en place.
Parenthèse
sur l'avenir de l'homme arabe
Soulignons
au trait rouge la disparition des écrans radars de 190 millions
d'arabes ! Oui, cherchez la femme ? Elle est absente. Niée,
disparue, totalement occultée. Eternelle victime. Simple objet de
procréation. Promise à un destin marchand.
L'Irakienne,
la Syrienne, la Yéménite, la Libyenne a repris le voile
de la soumission et toutes les autres arabes perdent l'espoir de
jamais pouvoir s'en débarrasser. (Tunisienne fragile exception)
La
tactique du calife
Après
avoir multiplié les victoires à la Bonaparte, le calife gère son
nouveau territoire. Il nomme et paye les fonctionnaires, ouvre des
dispensaires et organise la rentrée des classes. Vis a vis de
l'étranger, il peaufine ses éléments de langage. Son message est
amplifié par l'écho planétaire des médias occidentaux qui sont à
l'écoute du moindre de ses soupirs. Il use de la tactique
d'appropriation des armes à l'ennemi. Internet en est une bien
pratique pour universaliser la terreur.
L'assassinat
des deux journalistes américains par un britannique est une
abomination qui renforce l'effroi qu'inspire l'existence présumée
d'une cinquième colonne forte de milliers et de milliers de
salafistes criminogènes venus de France, du Canada, d'Australie, de
Chine, de Belgique, de Russie...Les mercenaires de la nouvelle tour
de Babelle de Mésopotamie font trembler leurs pays de naissance.
En
France, la police traque le jihadiste dormant. Tout projet de voyage
en Turquie est suspect. Le gouvernement, pourtant déconsidéré,
résiste à la tentation de l'hyper-dramatisation. Le ministre de
l'intérieur a compris qu'il faut se taire, agir dans l'ombre et
raffermir l'adhésion unanime des six millions de républicains
musulmans de France.
La
coalition des terrorisés
Washington
donne l'impression d'être dépassé par les événements.
D'évidence, le scénario n'avait pas été anticipé par ses
gigantesques agences de renseignement.
L'ONU
est aphone, l'OTAN échafaude des plans. Les stratèges imaginent la
création d'une agence internationale du renseignement et d'un force
d'action rapide de la guerre de l'ombre.
La
Norvège, la France, l'Italie, les Etats Unis, l'Iran, l'Allemagne,
le Canada... et même l'Albanie expédient des armes aux
Kurdes
pour les encourager à monter au combat. Mais les pechmergas
songent surtout à reconstruire et à consolider les contours de leur
futur Etat car de ce chaos, la résurrection d'un Kurdistan
indépendant devient possible.
La
Turquie fait le dos rond. Elle a beaucoup à perdre et peu à gagner
dans cette aventure.
Alors
qui ? Ce ne sont pas les drones ni les F16 qui réduiront les
jihadistes, il faudra y aller à la baïonnette. Les volontaires au
sein de la coalition de sont pas légions. Les troupes arabes iront à
reculons par peur de la contagion. Nul n'a oublié qu'en juin dernier
les deux divisions suréquipées qui défendaient Mossoul se sont
ralliées à la première sommation. Alors, il est probable qu'après
avoir en vain supplié à genoux les
Iraniens
d'aller faire le sale boulot de l'anti-jihad, il faudra bien se
résoudre à recruter des troupes d'infidèles qui prendront le
risque d'être décapités en tunique orange sous les yeux de la
tablette numérique de leurs enfants !
L'Arabie
Saoudite, source de tous les maux
Le
désarroi de l'occident est d'autant plus grand que c'est la première
fois dans l'histoire contemporaine que l'on assiste à la naissance
d'un Etat qui ne soit pas inféodé à une puissance étrangère. Car
Baghdadi est un électron libre sans aucun allié. Il s'est mis le
monde entier à dos, Iran et Russie incluses.
« L'Etat
Islamique d'Irak et du Levant va procéder à des attaques
terroristes en Europe et aux Etats Unis ! » C'est le roi
Abdallah d'Arabie qui le dit.
Le
monarque nonagénaire ne yoyotte pas, il le tient de ses services
secrets très bien renseignés dont le calife Baghdadi est un avatar
dissident fraichement émancipé. Existe-t-il encore des liens ?
C'est très possible car les pouvoirs de Mossoul et de Riyadh ont des
affinités politiques troublantes.
Ils
partagent
le même modèle de société intégriste, intolérant,
rigoureusement chariatique. Ils prônent la même idéologie et les
mêmes ambitions d'hégémonie sur l'ensemble des musulmans de la
planète. Ils ne divergent que sur la méthode et les moyens de les
asservir à leur vision rétrograde de l'islam. Le jihad de l'un est
impétueux, directe et brutal, il bouscule l'école patiente et
sournoise de l'autre. En outre, Baghdadi et Saudi se disputent le
leadership de l'islam : Calife contre Serviteur des deux
Mosquées.
Le
roi d'Arabie se sent menacé, il craint d'être sacrifié pour
raisons internationales d'Etats. Il sait que l'implosion de la
monarchie est la solution radicale que les experts d'Obama ont
scénarisée.
Car si à la faveur d'une révolution de palais les frères ennemis
salafistes d'Arabie et du Levant venaient
subitement à se réconcilier, alors le monde entier sera pour de bon
en danger.
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