C'est
le titre d'un ouvrage oublié de Philippe Soupault, salutairement
ré-édité par Gallimard et qu'il est urgent de lire.
Parmi
les surréalistes, Soupault fut le plus intransigeant de la bande à
Breton et Aragon : anticonformiste, anti fasciste, anti
impérialiste, anti stalinien...irréprochable en tous points.
Post
mortem, il raconte une période révolue provisoirement il y a
soixante dix ans.
Tunis
1942. La Révolution Nationale de Vichy métastase. Les
colons et les fonctionnaires coiffent le béret de milicien. Le plus
fidèle marin de Pétain, l'Amiral Esteva a été nommé Résident
Général. Il est chargé de préparer l'offrande de la Tunisie aux
troupes italo-allemandes
Les
résistants sont une poignée. Philippe Soupault est l'un d'entre
eux. Directeur à Radio Tunis, il est limogé, harcelé, assigné et
finalement incarcéré.
« Le
temps des assassins » est le récit de cette épreuve. Près de
500 pages d'une écriture dépouillée, palpitante et sincère.
Singulièrement strictement réaliste.
Parmi
les témoignages littéraires innombrables sur l'univers carcéral le
regard de Philippe Soupault est l'un des plus éclairants.
Si
vous n'avez jamais été en prison, allez y en fauteuil. Si vous y
avez déjà été, vous y reconnaitrez la souffrance de votre
humiliation: « ... humiliation
dont on ne peut éliminer le venin. Humiliation qui est une couleur,
une musique, une odeur, un contact....Une amertume dans la gorge, un
vide dans les mains, une sueur au front »
Il
croupira six mois dans le quartier Nord du pénitencier militaire de
Tunis au milieu d'une bande hétéroclite de réfractaires à l'ordre
hitleropétainiste.
Les
cellules s'ouvrent une fois par jour sur une courette où complote la
troupe de « dissidents » que les juges et les matons
tentent en vain de soumettre. Il y a là rassemblés des bidasses
malchanceux, des médecins, des commerçants, des étudiants,
français, tunisiens, noirs et blancs, juifs, chrétiens et
musulmans. Tous animés de la même obsessionnelle idée de résister.
Soulpault est le plus âgé ; on devine le respect qu'inspire à
tous le célèbre intellectuel parisien taiseux.
Car
cette combativité est rare dans la France Vichysoise gouvernée par
les profiteurs du malheur. Jamais,
écrit Soupault,
je ne pourrai oublier cette époque, celle du triomphe des médiocres.
« Il
en sortait de partout. Ils prenaient leur revanche. On les voyait
s'installer, satisfaits, délivrés, étalés comme des ordures
débordant les poubelles sur le trottoir. Une odeur de médiocrité
montait de cette époque, une vapeur épaisse ...»
Magistrats
et plaideurs corrompus, pitoyables de bassesse, ne sont pas de reste
à l'exemple de Me Tixier-Vignancour qui fut sans doute le plus
machiavélique des avocats fascistes.
À
la prison de Tunis, il monnayait son influence auprès des pauvres
bougres détenus qu'il rassemblait par paquet.
À
la libération, le méprisable prendra éphémèrement la place de
ceux qu'il rackettait avant de retrouver bien trop vite son cabinet.
Plus tard, installé à Paris, il participera en 1959 avec son
comparse Pesquet à la plus belle machination politique de l'époque :
l'affaire de l'Observatoire. Cela ne l'empêchera pas de se présenter
aux élections présidentielles de 1965 et d'avoir le culot d'appeler
à voter au second tour contre de Gaulle, en faveur de François
Mitterrand.
Le directeur de la campagne électorale de Jean-Louis
Tixier-Vignancour étant alors un certain Jean Marie Le Pen.
« Le
temps des assassins » est le livre sombre de l'actualité
prochaine.
Post
scriptum : pour chasser ces idées noires, lisez aussi
« Charlot » (Gallimard). Une œuvre antérieure au
naufrage de la France, écrite en 1931 en noir et blanc devant
l'écran sautillant d'un cinématographe par Philippe Soupault qui
met Charlot en mots. Rencontre inoubliable de deux princes de la
poésie. Un enchantement.
À
lire aux enfants de dix à cent ans au coin du feu ou au creux de
l'oreiller.
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