Cinq
ans après la révolution inachevée, alors que le pays est affecté
par le terrorisme la guerre de Libye et le chômage endémique, le
pouvoir dans un mouvement de dérisoire diversion fait la chasse aux
pédés. C'est du jamais vu sur cette terre de tolérance où
l'invective de tapette n'a jamais prêté à fâcherie durable.
Les
anciens se souviennent du chanteur célèbre qui se promenait à La
Marsa vêtu d'une djellaba en soie rose, chemise fushia, soquettes
blanches et mocassins vernis.
Un jour, les notables assemblés à la terrasse d'un café rompirent
le cercle pour lui faire une place à leur
coté. L'un d'entre le complimenta avec ironie: « Ya
Sidi Ali, quelle allure aujourd'hui, quelle élégance...c'est bien
simple, vous ressemblez à un bonbon ! »
Et
encore rétorqua l'interpellé, « tu n'as pas encore
gouté l'acidulé ! »
La
réplique fit le tour de la ville.
Chaque
soir, le grand artiste parfumé s'en allait gazouiller d'une voix de
pucelle quelques unes de ses 150 chansonnettes sublimes devant un
public en pâmoison. Le Charles Trenet tunisien s'est éteint il y a
quarante cinq ans, couvert de gloire. Il repose en paix dans le
mausolée de son grand père, le plus adulé des Saints hommes de
Tunisie.
À
cette époque, l'homosexualité ne prêtait pas à conséquence.
Chacun vivait sa vie, nul ne se mêlait jamais des affaires de son
voisin. La Tunisie était ainsi un havre
de paix pour des célèbres
libertins français raillés à Montparnasse ou Saint-Germain des
Près mais jamais à Sidi Bou Saïd et Hammamet. Enfin, il y avait
même - extravagance sans pareil en Méditerranée - , près de la
Porte de France, une allée chaude où les Tunisois
faisaient la fête alternativement dans
le bordel des femmes puis dans celui des hommes. Qui s'en
offusquait ?
En
ces temps pas si lointains,
le paquet de Takrouri était vendu au tabac du coin moins cher que
celui de Camel. Pourtant, les consommateurs de cannabis n'étaient
pas légion, la mode étant plutôt à l'ivresse au Whisky ou à la
Boukha, l'alcool de figues de Bokobsa.
Ben
Ali le dictateur transforma le code Pénal en instrument
d'asservissement dont il usa avec un machiavélique discernement. La
police interpellait systématiquement les homosexuels et les fumeurs
d'herbe. La prison ou la liberté dépendait ensuite de leur
bonne volonté. C'est par ce marchandage immonde que furent recrutés
des centaines de milliers d'indicateurs parmi lesquels des
personnalités étrangères influentes : hommes politiques,
diplomates ou journalistes tous pris dans le piège d'une rencontre
honteuse, prélude à un interminable chantage.
Depuis
la Révolution, le pouvoir a abandonné ses mauvaises manières mais
le code Ben Ali est toujours en vigueur et nul ne sait où reposent
les archives des années noires de la police politique.
Aujourd'hui,
la Tunisie dont la constitution vertueuse est l'une des plus aboutie,
s'accommode mal de l'héritage de cet arsenal de lois totalitaires.
L'homosexualité
masculine ou féminine est punie de trois ans d'enfermement. Il faut
et il suffit d'en apporter la preuve par témoignage ou examen
« médical ».
L'union
passagère est un crime. Si le couple est âgé de moins de vingt ans
la peine de prison est doublée.
Peu
de touristes savent que leurs aventures pédophiles sur les plages
chics de Monastir ou de Djerba peuvent selon le Code les conduire à
la potence.
Légalement
toute copulation hors mariage est passible de prison.
À
Kairouan récemment, la police a investi
une maison où « s'ébattaient » des couples de garçons.
Arrestation. Test anal. Trois ans de prison par application de
l'article 230.
Ce
cas n'est pas isolé. Les condamnations sont courantes mais
habituellement, les victimes et leurs familles cachent leurs
déshonneurs. Mais depuis quelques mois, des militants courageux
dénoncent sur les réseaux sociaux l'ampleur de l'homophobie
officielle. Menacés de représailles, certains fuient et réclament
l'asile politique à une Europe embarrassée.
De
leurs cotés, les couples homosexuels européens de touristes, hommes
d'affaires, diplomates... désertent la destination du jasmin.
Le
problème est devenu politique depuis qu'un estimable ministre de la
justice a émis le projet de réformer la loi homophobe. Désavoué
par son gouvernement, il a été contraint de démissionner.
À
Carthage, on rappelle que dans une dizaine de pays musulmans, la
sodomie est punie de mort et que l'opinion tunisienne n'est pas prête
à accepter un processus qui conduirait à la reconnaissance de
l'union libre et en tous genres.
Le
gouvernement de coalition nationale ne veut pas s'aliéner les
intégristes musulmans même si le leader du parti islamiste a déclaré timidement qu'il ne s'opposerait pas à la
révision du Code.
Finalement,
pouvoir et opposition cherchent à éviter un débat de nature à
fâcher l'Arabie et le Qatar, objets d'intenses câlineries
diplomatiques.
En
attendant, la jeunesse gronde. Parmi les 6 000 hommes et 700 filles
référencés combien de maboul sexuels frustrés sont partis vers la
promesse d'une baise éternelle ? Vers l'amour à gogo sous
l'effet du Captagon, un puissant inhibiteur qui transforme les
chiffes moles en super héros ? Subliminal message au revers de
la bannière : « jihad, sex and drug »
En
Tunisie la loi du 8 mai 92 punit de
un à cinq ans de prison tout détenteur ou consommateur de plante ou
de matière stupéfiante ; héroïne, moquette ou Datura, c'est
kif kif.
Il
n'y a aucune circonstance atténuante, même la tentative est
punissable.
Cette
disposition est la cause d'un cauchemar de masse. Pour avoir fumé de
la « zlata », 11 000 condamnés croupissent sous les
barreaux ! (à l'échelle de la population française,
cela équivaudrait à 80 000 détenus) La plupart ont moins de 23
ans.
Il y aurait davantage de jeunes en tôle que
de conscrits sous les drapeaux !
Sexe
et drogue gangrènent l'avenir de la paix sociale et les perspectives
d'achèvement de la démocratie.
Reste
la consolation de la liberté d'expression dont
les Tunisiens usent et abusent.
Courageusement. Car la diffamation, la fausse nouvelle,
l'insinuation, peuvent valoir
le cachot. Sans compter tout l'arsenal légal qui protège les
fonctionnaires et garantit « la
sureté de l'État ». Sous ce prétexte, les insolents au verbe
haut ont vite fait de se retrouver à l'ombre avec les bloggers et autres rappeurs imprudents. Combien de jeunes sortent encore meurtris
des commissariats comme la téméraire Afra, lycéenne du Kef
qui eut le culot de parcourir la ville avec un calicot dénonçant le
projet de destruction d'un site historique par un promoteur peu
scrupuleux.
Le
pouvoir met ces dérapages sur le compte de l'état d'urgence face au
terrorisme. En réalité, la police a repris ses mauvaises manières.
Le fléau de la justice penche trop souvent d'un seul coté. Malgré
les tortures avérées, l'article 101 bis réprimant
tout acte de violence physique ou moral commis par un fonctionnaire
n'est jamais
appliqué.
Ces
iniquités judiciaires se cumulent avec les autres injustices
sociales et territoriales, elles menacent le fragile ciment de
l'identité nationale.
Les
politiciens conservateurs ont confisqué la Révolution aux jeunes
insurgés de la Kasbah. À ceux là même dont on a oublié
qu'ils avaient à l'époque été nominés pour le Nobel ! Cinq
ans plus tard, le prix est revenu à quatre institutions de notables:
avocats, droits de l'homme, syndicat et patronat. Fortes
de cette reconnaissance internationale, et auréolées de la fierté
nationale, il leur revient à présent de porter la voix de la
jeunesse pour faire sortir la Tunisie de sa léthargie.
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