samedi 5 novembre 2016

Vers une délocalisation de la Salpêtrière au Liban ?

Dans les pays arabes la médecine française a la réputation d'être la meilleure du monde De toutes les anciennes colonies affluent les souffrances que la France savante et généreuse sait apaiser. Mais cette notoriété est en train de s'éclipser au point qu'il y a deux mois, apprenant que Chirac avait été hospitalisé à Paris, ses amis libanais le déclarèrent en grand danger et ils proposèrent à Bernadette de le faire soigner à Beyrouth. Cette petite blague est nourrie par l'histoire d'une contre performance médicale française que se relatent les Libanais.

Elle met en cause la Salpêtrière, centre hospitalier et universitaire parisien - 1 600 lits, 8 000 soignants dont 1 300 médecins -, qui accueille plus d'un demi million de patients chaque année. Ce pôle d'excellence de l'assistance publique a d'un seul coup perdu ses trois étoiles au guide médical du Levant.
Que s'est-il passé ?

L'été dernier, Georges, modeste entrepreneur franco libanais se présente en titubant aux urgences. Il en est très vite congédié avec une ordonnance d'aspirine. Quelques jours plus tard, sur l'insistance de son médecin traitant, il parvient à se faire hospitaliser. Analyses et explorations révèlent des nodules cancéreux dans l'abdomen. Faut-il opérer ? La question s'est sans doute posée. Las, on est au mois d'août, les équipes sont réduites, la plupart des chirurgiens sont en vacances.  Ceux qui restent doivent faire le choix du plus urgent, du moins coûteux, du mieux vivant, du plus jeune, du plus facile... Chacun sait qu'il est malchanceux d'être hospitalisé le week end ou pendant les vacances. Ces périodes de sous effectifs et de surcharge de travail correspondent à une surmortalité. Aucune étude ne l'a prouvé car aucune étude n'a jamais été publiée.
Georges avec de la chance, pourra t-il survivre jusqu'à septembre ? Le diagnostic est mauvais. Pour le soulager on lui pose un drain, on lui propose des calmants que par bravade il refuse d'abord avant de s'y résoudre. La morphine le plonge alors dans un univers cotonneux.

Hier c'était un géant, une force de la nature, hyperactif, débonnaire, toujours souriant. Que vont devenir ses jeunes enfants ? Le voici vaincu, amaigri, déjà cadavérique, les joues creuses, le regard ailleurs. Dans ses instants de lucidité il murmure à l'oreille de ses amis « je suis foutu, ne reste pas là, rentre chez toi... » Nous sommes le quinze août. Dans ce gigantesque hôpital qui paraît suspendu au retour des vacanciers, les couloirs sont vides mais la chambre de Georges ne désemplit pas. L'agonisant est veillé jour et nuit. Dans la salle d'attente, on discute comme si de rien n'était. L'optimisme libanais est de rigueur, il va vivre, c'est évident. Nul ne songe à se résigner. Ce serait tenter le mauvais sort dans ces lieux où le diable rôde. Les amis discrètement prient dans toutes les langues de leurs religions, chacun selon ses rites, ses traditions, ses superstitions : chiites, sunnites, alaouites, chaldéens, syriaques, arméniens, grecs, juifs, orthodoxes, incroyants...C'est la tour de Babel des suppliques silencieuses.
Chaque jour, des quatre coins du monde il en arrive des nouveaux, d'Australie, d'Abu Dhabi, de Dakar, de Valparéso...Ceux qui ne peuvent pas venir téléphonent tout le temps. On leur répond sans faillir, que Georges va beaucoup mieux, que le remède « expérimental » donne des résultats probants... On ment comme des arracheurs de dents. Personne ne nous croit mais chacun espère le miracle.
Les infirmières et les autres patients s'interrogent sur la cause de cette agitation. Georges est-il le chef d'un parti politique influent ou d'une secte mystérieuse ? Le Président d'une multinationale ou celui d'un pays lointain ?
Rien de tout cela. C'est seulement le héros anonyme connu de ses seuls compagnons d'armes. Il était le chef charismatique d'une centaine de lycéens. Mais qui se souvient de la guerre du Liban ? Elle dura 15 ans fit 250 000 morts ! En proportion, imaginez la France avec 3 ou 4 millions de tués. Qui se rappelle des exploits de ces adolescents résistants de la première heure, en 1975 ? 
Eux. Les survivants. Il sont venus, ils sont tous là. Mais pas question d'évoquer le passé ni même de se lamenter. Ces presque quinquagénaires sont restés des combattants. A t-on essayé tous les remèdes ? Chacun interroge les médecins, les infirmières de passage. Puis en réunion la troupe confronte les réponses.
C'est le monde à l'envers : au fatalisme médical français répond la logique et le pragmatisme oriental, au défaitisme occidental s'oppose l'optimisme libanais. Le malade est condamné disent les blouses blanches, c'est une question d'heures, au mieux de quelques jours. Mais vous n'avez rien tenté s'indignent les amis de Georges !

À Beyrouth, quelques sommités médicales alertées planchent sur le cas du moribond. L'espoir est mince. C'est suffisant. Yallah ! Les amis se cotisent : les riches abondent, les pauvres sont dispensés. En toute hâte, un transfert est organisé. La décharge de responsabilité est signée. Le mourant quitte l'hôpital direction l'aéroport du Bourget. Quatre heures plus tard, dans la nuit, un avion sanitaire se pose à Beyrouth. Cent personnes escortent l'ambulance jusqu'à l'hôpital  un bloc opératoire a été préparé. Deux chirurgiens se penchent pendant six heures. Ils extirpent les boules de mort du corps inanimé.


Les mois ont passés. Le miraculé se porte bien. Le Liban tout entier est secoué de fierté. Dans quelques jours, Georges sera de retour à Paris où ses amis lui ont préparé un banquet pour célébrer la victoire des opiniâtres sur les résignés.

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