En fait de palais la résidence d’été du Président de la République tunisienne à Skanès est une belle villa au style épuré des années 6O. C’est l’œuvre magistrale et accidentelle d’un séduisant architecte disparu depuis sans jamais avoir réussi à égaler son ouvrage de jeunesse. De larges espaces de marbre blanc ouverts sur des pelouses, une grande piscine aux carreaux bleutés avec un îlot où se balancent deux palmiers. L’agencement intérieur est sobre. Aucune dorure. Des murs recouverts d’ardoises, de simples pierres, des panneaux de cuir et de cuivre, des fresques en céramiques et des tapisseries aux couleurs chaudes signées d’artistes nationaux. Le mobilier minimaliste et anguleux complète l’allure de cette demeure hollywoodienne d’où l’on s’attend à voir surgir les époux Kennedy.
En ce mois d’août des années quatre-vingt, le Président Bourguiba qui a l’âge du siècle, estive dans sa ville natale. C’est là qu’il recevra plusieurs jours durant les représentants des provinces venus célébrer l’anniversaire de sa naissance dans le cadre de joutes oratoires à sa gloire.
Un rituel important rythme le quotidien de l’homme et du pays : celui du bain. Chaque jour, une longue limousine noire flanquée d’une douzaine de motards en grand uniforme rouge et blanc, vient se ranger devant le perron de la villa. Le Combattant Suprême en peignoir de bain blanc s’y installe avec son médecin et un ami. Doucement, comme au ralenti, le cortège démarre toutes sirènes hurlantes et va se ranger au bord de la mer, quatre cents mètres plus loin.
Derrière le muret qui sépare le palais de la plage publique, un attroupement acclame bruyamment la présidentielle arrivée. En récompense, le père de la nation lève le bras dans leur direction, les youyous et les applaudissements redoublent. Il esquisse quelques gestes de gymnastique, puis traverse la plage suivi par un cameraman et deux assistants en costume-cravate dont la difficile mission consiste à filmer la baignade tout en évitant que le câble qui relie la caméra au camion de la régie TV ne touche l’eau. A la sortie du bain, l’exploit sportif du Président - et aussi celui de l’équipe de télé - est salué comme il se doit par la foule. Le baigneur illustre remonte dans la limousine, les motards font hurler leurs sirènes…
Le soir, dans une salle à manger du palais, on a dressé une quinzaine de couverts. Le Président Bourguiba accueille ses invités et les installe avec une exquise prévenance. Des personnalités et ministres de passage partagent le dîner. Au bout de la table, face au chef de l’Etat, trône une énorme télévision qui après les hors d’œuvres est subitement allumée. Le silence se fait. C’est l’heure de l’émission quotidienne « les orientations présidentielles » consacrée à la diffusion d’un court extrait de l’un des très nombreux discours de l’homme de l’indépendance. C’est un face à face troublant. Mais Habib Bourguiba semble indifférent à lui-même. Le journal télévisé ouvre ensuite sur l’activité du leader. La diffusion de la séquence de la baignade sur fond de musique horripilante est interminable. Le silence autour de la table se prolonge avec l’énoncé des autres titres de l’actualité.
Sur un geste la télévision est éteinte. La conversation reprend. Elle roule autour de propos de table. Le Président a un menu spécial et des envies gourmandes de jus de citron doux, de grains de raisins épluchés… Les habitués ont chacun leur menu. Les invités goûtent à tous les plats. Plongé dans ses pensées Bourguiba dévore son repas sans beaucoup lever la tête de son assiette.
Lorsqu’il se redresse enfin comme pour réclamer l’attention, il proclame d’une voix forte: « la Pologne, ce Walesa…c’est très important ce qui s’est passé à Gdansk, le monde va changer…» Il se lève, remercie ses hôtes de leur compagnie et se retire dans sa chambre pour écouter les nouvelles de Pologne à la radio.
1 commentaire:
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