jeudi 11 juillet 2013

Amina fille courage de Tunisie



La révolution est née de l’immolation de pauvres gens qui n’avaient d’autre salut que l’exil au péril d’aller nourrir les poissons. C’était l’eau ou le feu. Un mouvement de résistance pacifique tout autant respectable est en train de prendre le relais : celui d’Amina.
Résumons ses actes de bravoure : elle brandit sur la toile la photo de son torse nu proclamant « ce corps est mien » : arrestation, raclée, séquestration à domicile. Elle s’enfuit et manifeste contre un rassemblement salafiste en taguant « liberté » sur le muret d’un cimetière de Kairouan : prison, baston.
Délit de plume, justice de plomb.
Au procès elle refuse le port du voile imposé par les matons. Les jugements traînent de reports en reports. Façon ignoble de prolonger une détention sans possibilité de recours ni de grâce. L’appareil répressif de la dictature Ben Ali est toujours en place. Son rôle est de « casser » la résistance de la dignité. Si Amina avait accepté d’être soumise, contrite et voilée, elle serait depuis longtemps sortie de prison. Mais elle est droite, elle est fière, son combat est sa raison. Amina est une posture sans voix. Des silences qui en disent long. Nul ne connaît ses mots, nul n’a pensé à lui tendre un micro ! Dans un pays où le verbe est roi, Amina la silencieuse montre la voie du respect.

Le pouvoir se mêle de ce qui ne le regarde pas, il se trompe d’objectif, il fait de la morale au lieu de faire du pain. Il fait du révisionnisme. Rêve d’un retour à l’époque coloniale, celle où le Résident général tolérait l’esclavage des Tunisiennes. La Beya donnait l’exemple d’une cour de serviteurs composée de quinze « charmantes petites négresses pomponnées ». C’était il y a moins d’un siècle ! Tunis comptait seulement deux sages-femmes « autochtones » qui ne trouvèrent jamais de mari. Les hommes convolaient à plaisir et répudiaient au caprice. Certains notables de province collectionnaient jusqu’à soixante mariages à durée limitée ! Les bourgeois de Tunis pour la plupart entretenaient une maîtresse de « standing », de préférence juive extirpée de la misère à la Hara. Au moindre conflit conjugal, ou par commodité, le mari faisait enfermer son épouse dans un « Dar Joued », à cinq francs la journée, ou pire au « Dar-Adel » où l’insolente était jugée sans appel au bout de trois mois…Bourguiba a jugulé ces abominations mais voici que quelques illuminés voudraient que la Tunisienne redevienne une bête de somme !

La liberté de parole est un acquis incontestable de la révolution tunisienne. Nul aujourd’hui ne saurait être poursuivi pour un propos –même blasphématoire – emporté par le vent. La liberté du verbe s’équilibre entre celle des barbus illuminés et des libertins avinés.
De ce point de vue, la société tunisienne est plus liberticide que la française qui réprime la parole notamment  antisémite ou raciste.
En revanche la loi offre prétextes à la répression de toute manifestation culturelle : écrit, chant, rap, peinture, tag… expressions auxquelles les salafistes ne sauraient s’exposer puisque leur interprétation du Coran leur interdit d’en user. Rappelons qu’en Arabie Saoudite, pays phare des intégristes, il n’y a ni cinéma, ni salle de concert, ni café, ni rire, ni plaisirs profanes et que les femmes sont en cages.
Les autorités tunisiennes comprennent (lentement) que l’excès est l’ennemi du bien. Des rappeurs ont été libérés, Kéchiche Palme d’Or à Cannes, Meddeb journaliste, n’ont pas été inquiétés en raison de leur notoriété et de leur double citoyenneté. Reste que des sans noms, des ignorés des médias croupissent dans des geôles pour des poèmes ; que Marzouki n’a pas gracié, que la constituante n’a pas interpellé, que Ghannouchi n’a pas cillé.
Question de génération sans doute.

Ce pays de jeunes est gouverné par des vieux, par des anciens internés politiques, des repris d’injustices avides de rattrapage de vie. Tous dignes, respectables, mais usés, âgés. Deux, voire trois générations les séparent d’Amina dont espérance de vie dépasse les soixante dix ans, soit l’âge moyen des gouvernants. Ceux-ci ne connaissent pas facebook, ne savent pas se servir d’un azerty et sont incapables de projeter une vision du pays au-delà de six semaines. La femme est leur bastion, leur façon d’affirmer une autorité à bon compte.  
L’opposition et  la société dite civile sont timides. Au prétexte que la cause d’Amina n’est pas « populaire », elles se contentent du service minimum et proclament du haut des tribunes agir dans la discrétion.

Imperceptiblement, la mémoire des hommes reste esclavagiste insidieusement les femmes demeurent soumises. La loi et la société, malgré les avancées hypocritement saluées, bafouent l’article premier de la déclaration des droits de l’Homme. En Tunisie comme ailleurs  les êtres ne naissent pas libres et égaux en dignité et en droit. Le respect de ce principe est un combat permanent. Il est en constante régression depuis qu’Ennahdha est au pouvoir. Les récents « faits divers » ne sont que la partie visible de la mutation vers la banalisation de la discrimination. Souvenons-nous de cette gamine violée devant son fiancé par des policiers, puis emprisonnée pour « rébellion ». C’est un cas extrême mais emblématique de la décomposition sociétale. La seule femme du gouvernement est celle en charge du genre ; il n’y a aucune gouverneure, aucune colonelle, aucune procureure, aucune commissaire de police, aucune doyenne…Les fonctions d’autorité sont réservées aux machos.
La charia s’applique à tout un pan du code civil qui entre autres aberrations limite l’héritage de la femelle au huitième de celui du mâle. Enfin et surtout, nul article de la future constitution ne présente une avancée  sur le droit à l’égalité des femmes et sur l’abolition de toutes les discriminations.
Dans ce contexte, la révolte d’Amina est admirable. Les petits voyeurs qui ne regardent que le bout de ses tétons sont des cons.

Solidaires, trois femen sont venues à Tunis de France et d’Allemagne pour manifester dénudées. Elles ont été embastillées puis condamnées. Jean Marc Ayrault embarrassé a regardé ses chaussures. Angéla Merkel a tapé du pied, exigé, menacé. Alors les filles ont été libérées.
Amina elle, n’a aucune protection.
Des militantes des lycées français ont tenté d’approcher François Hollande au cours de sa visite à Tunis. Elles en ont été empêchées. Alors au passage du cortège, elles ont chanté : « il était un petit homme, pirouette cacahouète… » Le Président français et ses ministres, ses conseillères (ers), sa suite panachée de droits-de-l’hommistes  ont-ils-entendu ?
N’ont-ils pas perçu l’enjeu soulevé par la petite bonne femme têtue ?

Amina est seule dans ce combat majeur contre l’obscurantisme rampant car d’évidence, la condition féminine est la frontière qui sépare le musulman de l’islamiste. Ce débat est au cœur secret de la pensée tunisienne du moment. Le modèle laïque occidental qui a vaincu le rigorisme catholique est impertinent pour faire reculer l’idéologie wahhabite. La révolution tunisienne impose une relecture de l’islam. Les mêmes sources qui ont conduit à une caricature de la pratique religieuse peuvent engendrer une démocratie moderne et l’émancipation de la femme vers une égalité totale de ses droits.

Un torse qui dit «j’existe », un tag sur un mur, un voile arraché au prétoire, Amina sœur courage est seule pour proclamer que sans liberté de la femme la Tunisie est sans avenir.

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