mercredi 3 juillet 2013

Coup d'éclat militaire en Tunisie



La Tunisie est assurément révolutionnaire.
Passé inaperçu, un évènement extraordinaire vient de ponctuer la marche de son histoire.
Le jour de la fête de l’armée, le Général en Chef est allé devant les caméras de la télévision pour expliquer trois heures durant que la nation était en pleine chienlit et qu'en conséquence… il présentait sa démission !
Dans le genre, c’est du jamais vu, du jamais rêvé même chez les plus hachischés des démocrates arabes. Car d’habitude, ce genre d’exercice se termine toujours par une déclaration de prise de pouvoir, jamais par un renoncement !
Pour ce fait d’arme Rachid Ammar mérite une souscription populaire pour l’édification d’un monument.

Le désormais retraité a été formé à l’Académie Militaire  inaugurée par Bourguiba. Il a ensuite fréquenté l’Ecole de Guerre en France. Son parcours et ses promotions sont typiques d’un système qui privilégie l’ordre et la discipline.
Reconnu par ses pairs comme l’un des plus obéissants il était au sommet de la hiérarchie militaire à l’époque de la fuite de Ben Ali. Alors les politiques apeurés lui proposèrent le pouvoir. Il refusa. A chacun son métier dit-il. Mais depuis, chaque fois que la république se trouvait menacée, il faisait sortir quelques blindés ; non pas pour intimider, seulement pour rassurer la population.
Ammar est intelligent, fin stratège et bon tacticien. Dans cet épisode Gaullien il prend une avance politique décisive. Il était Chef d’Etat Major muet, il est désormais un des zaïm volubile de la nation, il sera Chef de l’Etat élu, peut-être ! Car comment interpréter ce coup médiatique autrement que par l’ambition d’affronter le suffrage universel ? L’homme n’est pas du genre à capituler en rase campagne. Il a durant sa carrière manœuvré en terrain politiquement miné. Pugnace, réservé, il a su se hisser au sommet de l’armée, évitant les chausse-trappes, écartant ses concurrents plus brillants et surtout en évitant de faire de l’ombre au satrape. Rien dans son parcours récent ne permet de mettre en doute la sincérité de son engagement républicain et il faut lui savoir gré d’avoir évité d’instrumentaliser l’institution militaire.

La petite armée tunisienne est authentiquement populaire. La troupe est majoritairement formée de conscrits de la faim car le service militaire est obligatoire pour tous ceux qui n’ont pas les moyens d’y échapper. Il rassemble les blédards, les fils de sans le sou ni relations dont l’engagement sous les drapeaux offre la garantie d’un pain, d’une soupe et surtout d’une dignité pour la vie. Au pays du lucre, de la combine, du piston et des compromissions le militaire est une éclatante exception. C’est pour cela que la population vénère l’institution. C’est pour cela aussi que son Commandant en Chef a choisi le jour de la fête de l’armée pour restituer ses étoiles au peuple.

Depuis une semaine, les trois armées terre, air, mer attendent désespérément un nouveau chef. L’affaire n’est pas simple car selon la règle, c’est le Général Ammar lui-même qui doit désigner son successeur. Ce choix doit être approuvé ou contesté par le Conseil Supérieur des Armées - composé du ministre et d’officiers généraux -, puis être validé par le Président de la République  lequel dans cette interminable période transitoire, partage son pouvoir avec le Président de l’Assemblée Constituante et le Premier Ministre.
Chacun va tenter d’imposer son outsider tout en cherchant à ménager l’institution militaire très chatouilleuse sur le respect des procédures. Les officiers d’active ne laisseront pas les politiques venir semer le trouble dans leur pré-carré. On peut également s’attendre à ce que les deux mille cinq cents officiers à la retraite qui commencent à se regrouper en associations fassent corps derrière Ammar pour soutenir l’alternative politique. 

Houcine Abassi le Secrétaire Général de l’UGTT  la puissante centrale syndicale forte de sept cent cinquante mille adhérents a appelé le Général démissionnaire à revenir sur sa décision, ce qui vaut soutien.  Ammar peut aussi compter sur la gauche républicaine qui n’oublie pas qu’il fût l’un des rares officiels à avoir accompagné la dépouille du martyre de la révolution Chokri Belaïd. Enfin, la majorité silencieuse lassée par la rhétorique stérile des leaders politiques pourrait bien basculer en masse derrière le nouvel homme fort sitôt qu’il lèvera un doigt.

Dans son interview fleuve, Ammar  a dénoncé le risque de « Somalisation » de la Tunisie, c'est-à-dire du délitement de l’Etat par la conjonction des volontés destructrices intérieures du pays. Il a stigmatisé les « terroristes » tout en prenant soin d’invoquer les saints marabouts. Ses propos ont désarçonné le mouvement islamiste dont l’aile radicale va sans doute chercher à redoubler de mauvais coups.  Mais les soutiens extérieurs des salafistes sont affaiblis depuis que les vents mauvais qui soufflaient du Qatar et d’Arabie ont tourné et que huit mille soldats algériens se sont déployés à la frontière.

Par son coup d’éclat Ammar a sans doute désamorcé un coup d’Etat et pris le contre-pied du scénario à l’Egyptienne. Sa posture d’homme du recours ouvre une nouvelle perspective singulière de la révolution tunisienne vers la démocratie.

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