La
Tunisie est assurément révolutionnaire.
Passé
inaperçu, un évènement extraordinaire vient de ponctuer la marche de son
histoire.
Le
jour de la fête de l’armée, le Général en Chef est allé devant les caméras de
la télévision pour expliquer trois heures durant que la nation était en pleine
chienlit et qu'en conséquence… il présentait sa démission !
Dans
le genre, c’est du jamais vu, du jamais rêvé même chez les plus hachischés des
démocrates arabes. Car d’habitude, ce genre d’exercice se termine toujours par
une déclaration de prise de pouvoir, jamais par un renoncement !
Pour
ce fait d’arme Rachid Ammar mérite une souscription populaire pour
l’édification d’un monument.
Le
désormais retraité a été formé à l’Académie Militaire inaugurée par
Bourguiba. Il a ensuite fréquenté l’Ecole de Guerre en France. Son parcours et
ses promotions sont typiques d’un système qui privilégie l’ordre et la
discipline.
Reconnu
par ses pairs comme l’un des plus obéissants il était au sommet de la
hiérarchie militaire à l’époque de la fuite de Ben Ali. Alors les politiques
apeurés lui proposèrent le pouvoir. Il refusa. A chacun son métier dit-il. Mais
depuis, chaque fois que la république se trouvait menacée, il faisait sortir
quelques blindés ; non pas pour intimider, seulement pour rassurer la
population.
Ammar
est intelligent, fin stratège et bon tacticien. Dans cet épisode Gaullien il
prend une avance politique décisive. Il était Chef d’Etat Major muet, il est désormais
un des zaïm volubile de la nation, il sera Chef de l’Etat élu, peut-être !
Car comment interpréter ce coup médiatique autrement que par l’ambition
d’affronter le suffrage universel ? L’homme n’est pas du genre à capituler
en rase campagne. Il a durant sa carrière manœuvré en terrain politiquement
miné. Pugnace, réservé, il a su se hisser au sommet de l’armée, évitant les
chausse-trappes, écartant ses concurrents plus brillants et surtout en évitant
de faire de l’ombre au satrape. Rien dans son parcours récent ne permet de
mettre en doute la sincérité de son engagement républicain et il faut lui
savoir gré d’avoir évité d’instrumentaliser l’institution militaire.
La petite armée tunisienne est
authentiquement populaire. La troupe est majoritairement formée de conscrits de
la faim car le service militaire est obligatoire pour tous ceux qui n’ont pas
les moyens d’y échapper. Il rassemble les blédards, les fils de sans le sou ni
relations dont l’engagement sous les drapeaux offre la garantie d’un pain, d’une
soupe et surtout d’une dignité pour la vie. Au pays du lucre, de la combine, du
piston et des compromissions le militaire est une éclatante exception. C’est
pour cela que la population vénère l’institution. C’est pour cela aussi que son
Commandant en Chef a choisi le jour de la fête de l’armée pour restituer ses
étoiles au peuple.
Depuis
une semaine, les trois armées terre, air, mer attendent désespérément un nouveau chef.
L’affaire n’est pas simple car selon la règle, c’est le Général Ammar lui-même
qui doit désigner son successeur. Ce choix doit être approuvé ou contesté par
le Conseil Supérieur des Armées - composé du ministre et d’officiers généraux
-, puis être validé par le Président de la République lequel dans
cette interminable période transitoire, partage son pouvoir avec le Président
de l’Assemblée Constituante et le Premier Ministre.
Chacun
va tenter d’imposer son outsider tout en cherchant à ménager l’institution
militaire très chatouilleuse sur le respect des procédures. Les officiers
d’active ne laisseront pas les politiques venir semer le trouble dans leur
pré-carré. On peut également s’attendre à ce que les deux mille cinq cents
officiers à la retraite qui commencent à se regrouper en associations fassent
corps derrière Ammar pour soutenir l’alternative politique.
Houcine
Abassi le Secrétaire Général de l’UGTT la puissante centrale
syndicale forte de sept cent cinquante mille adhérents a appelé le Général
démissionnaire à revenir sur sa décision, ce qui vaut soutien. Ammar
peut aussi compter sur la gauche républicaine qui n’oublie pas qu’il fût l’un
des rares officiels à avoir accompagné la dépouille du martyre de la révolution
Chokri Belaïd. Enfin, la majorité silencieuse lassée par la rhétorique stérile
des leaders politiques pourrait bien basculer en masse derrière le nouvel homme
fort sitôt qu’il lèvera un doigt.
Dans
son interview fleuve, Ammar a dénoncé le risque de
« Somalisation » de la Tunisie, c'est-à-dire du délitement de l’Etat
par la conjonction des volontés destructrices intérieures du pays. Il a
stigmatisé les « terroristes » tout en prenant soin d’invoquer les saints
marabouts. Ses propos ont désarçonné le mouvement islamiste dont l’aile radicale
va sans doute chercher à redoubler de mauvais coups. Mais les
soutiens extérieurs des salafistes sont affaiblis depuis que les vents mauvais
qui soufflaient du Qatar et d’Arabie ont tourné et que huit mille soldats
algériens se sont déployés à la frontière.
Par
son coup d’éclat Ammar a sans doute désamorcé un coup d’Etat et pris le
contre-pied du scénario à l’Egyptienne. Sa posture d’homme du recours ouvre une
nouvelle perspective singulière de la révolution tunisienne vers la démocratie.
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