Dans
les écoles de journalisme, le nom de Marzouki sera désormais cité
comme le référent d'un événement singulier dans l'histoire de
l'information. Le Président de la République tunisienne vient en
effet de publier les archives commentées des services de la
propagande de Ben Ali.
Le
dictateur et son détestable ministre de l'information avaient
mis en place une machine à bâillonner la presse. Pour le régime
policier, il importait que les nouvelles fussent bonnes
exclusivement. Le journaliste n'avait de choix qu'entre
l'enveloppe ou la prison, le pain ou la faim. Alors, ceux qui ne
pouvaient changer de métier palpaient la rançon de leurs petites
lâchetés. Ils finissaient par s'en accommoder.
Les
quelques résistants ne tenaient pas longtemps. Un seul tint tête.
Il faillit la perdre. N'est pas Ben Brik qui veut. Respect.
Les moins téméraires tergiversèrent. Quelques uns
firent semblant de se taire, d'autres enfin, pensant à tort que la
tyrannie n'avait qu'un temps choisirent l'exil.
El
kitab el assoued, le Livre Noir est un volume indigeste de 350 pages
qui détaille les rapports tarifés du pouvoir avec la presse. Un
billet pour une info, une liasse pour un papier. Y figurent
aussi des listes de malheureux bénéficiaires. Bien entendu, les
nominés s'insurgent et protestent. Pourtant qui pourrait vraiment
les blâmer d'avoir choisi la vie tête baissée
à
l'honneur tête coupée.
En
quelques jours le livre a été téléchargé trois cent mille fois.
A l'échelle de onze millions de
Tunisiens,
c'est tout à fait considérable ! Ceci montre l'appétit de
vérité d'un peuple qui veut exorciser les décennies du mensonge
institutionnalisé.
Le
neurologue Président de la République pense que la révolution ne
peut pas se passer ni de la Glasnost ni de Nuremberg. La mise au
grand jour des crimes et turpitudes est une nécessité pour rompre
définitivement avec l'asservissement généralisé qui perdure
insidieusement.
En
révélant le peu qu'il peut, Marzouki prend le risque d'initier le
grand déballage et de le payer chèrement car il s'est aliéné
toute une profession.
Dans
un pays aux pouvoirs absents hors celui de l'argent, on verra si la
presse vertueuse se réveille.
Déjà,
les dénoncés exhibent leurs brevets de bonne conduite de la
dernière heure et fustigent l'intempestif et sélectif kitab
présidentiel. Ils menacent même de livrer au public les archives de
la police politique. Yallah, chiche ?
Curieusement,
aucun chroniqueur n'a fait son auto critique, nul n'est venu demander
pardon. C'est dommage, car tous seraient pardonnés y compris les
inénarrables
éditorialistes de « La Presse », « l'Action »,
« Al Amal » et même « Essabah » le
relativement moins servile ; car les lecteurs amusés par tant
de bassesses savaient
bien qu'ils écrivaient sous l'épaule de la cravache.
Je
me souviens des tombereaux de boue déversés sur mon père coupable
de fidélité à Bourguiba. Le ministre était à la manœuvre,
rectifiant la une des journaux tunisiens, stigmatisant les envoyés
spéciaux. "Le Monde" de Jacques Amalric ne fut pas dupe, "le canard" de
Claude Angeli non plus. A "Libé" un jeune -qui deviendra grand- se
laissa prendre mais aussitôt Serge July par la voix de son avocat me
présenta ses regrets. L'hebdomadaire « Minute » fut
condamné à une lourde amende pour diffamation. La somme a-t-elle été
remboursée par Carthage ? Probablement … !
Fermons
cette parenthèse. L'important est ailleurs.Tous les écoliers en
journalisme vous le diront.
Le
Livre Noir
de Carthage permet de mesurer la complaisance de la presse française
et son degré de corruption. Car l'agence gouvernementale de la
propagande tunisienne avait aussi pour mission de soudoyer les
journalistes étrangers. L'argent, le sexe, le chantage, la
violence...tous les moyens étaient bons. L'administration de Ben Ali
a méthodiquement consigné les faits. La publication de Marzouki ne
dévoile qu'une partie de l'iceberg. On attend impatiemment le
dépouillement des archives saisies à Paris rue Botzaris au
lendemain de la Révolution tunisienne.
En
attendant, Marzouki apporte le témoignage que Jeune-à-fric et
fric-Asie ont marchandé grassement des reportages laudateurs. Bof,
ce n'est pas une surprise, seulement la désolante confirmation de
fortes suspicions !
Au
surplus, quelques moutons noirs sont épinglés, dont le fameux
directeur des Cahiers de brouillon de l'Orient, un thuriféraire
patenté gonflé d'importance. Il y a aussi quelques autres plumitifs
et des va-de-la-gueule du paysage audiovisuel, éphémères abonnés
aux vacances « tout gratuit » de Zarzis et Hammamet. Pas
de quoi casser trois pattes à un canard.
Finalement,
au bilan du dernier recensement des corrompus de la presse française
les archivistes de Carthage n'ont pour le moment, trouvé qu'une
poignée de pousse-mégots.
Cocorico !
La
profession d'Albert Londres aura bien résisté aux liasses de dinars
et d'euros. Mieux, beaucoup ont payé leur indépendance d'une
interdiction de séjour, d'une raclée ou d'un coup de couteau comme
Christophe Boltanski. Il conviendrait de s'en souvenir !
Holà
Marzouki, c'est une chose de dénoncer les ripoux, mais il faudrait
peut-être d'abord rendre hommage aux glorieux !
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