De chaque coté de mon lit tourné vers l'Est, deux gros livres encadrent mes insomnies. Des mots ciselés, des phrases qui sonnent, des pages oubliées. Deux chefs d'oeuvres en miroir. Le jour et la nuit, l'ombre et la lumière d'une pareille beauté. Au chevet nord, Reverzy le lyonnais, au sud Cossery l'égyptien. Jean qui pleure, Albert qui rit. L'harmonie parfaite d'une rencontre entre deux sommets littéraires qui se complètent et que je vais tenter de vous résumer.
Jean
Reverzy reçut le prix Renaudot en 1954 pour son premier roman
« Le passage ». A quarante ans, il lui restait sept
livres à publier et cinq années à vivre. Le savait-il ?
Docteur
des pauvres, capitaine maquisard héros de la résistance, père
tardif d'un fils unique, harcelé par des divorcées cupides, Reverzy
était un gentil qui subissait. L'écriture était son refuge.
On
l'imagine le soir, dans le silence de son cabinet médical de la
Place Bellecour, penché sous la lampe, traçant fébrilement une
écriture droite, pure, loyale, dépouillée, célinienne mais
sans méchanceté. Reverzy qui ne croyait en rien est un modèle qui
mériterait d'être canonisé au Vatican des écrivains.
Il
était devenu médecin par empathie mais aussi par dépit car l'école
navale n'avait pas voulu de lui. Frustré de voyages lointains, il
pressentit l'urgence au soir de sa vie, d'aller visiter le paradis.
Il fuit vers Bora Bora et Raiatea où il rédige l'histoire d'une
petit colon, Palabaud, qui coule des jours heureux auprès des
vahinées. Et puis soudain un jour : une gêne, un bobo, un mal,
une douleur, une souffrance, une agonie, la mort et l'autopsie. « Le
passage » est le récit fulgurant de la grande éclipse.
Les
autres romans et nouvelles de Reverzy sont de la même
stupéfiante beauté noire. A lire et relire, l'inoubliable soirée
chez le Professeur Joberton de Belleville, mandarin méprisable de la
« Place des angoisses ».
Oeuvres
complètes chez Flammarion.
Albert
Cossery restera le plus grand écrivain arabe contemporain de langue
française. Il composait en arabe, il écrivait en français.
Ses
mots se dégustent comme des friandises, ils sonnent à l'oreille
comme ceux de Piaf ou de la mère de Kalthoum. Un style d'écriture
incomparable, des dialogues magiques. Une splendeur d'oeuvres
mauresques.
Il
est mort il y a peu dans le petit hôtel de Saint-Germain-des-près
où il vécut de rêves et d'insouciances comme les personnages
de ses romans.
Toute
l'oeuvre de Cossery l'égyptien est consacrée à la rue arabe. Non
pas celle des quartiers européens du Caire ou d'Alexandrie que les
touristes traversent en autocar climatisés, mais celles
les venelles fumantes de crasse et de misère où se faufilent des
êtres de lumière. Le sourire, le rire, la boutade, la joie de vivre
est partout. Etonné de survivre à tant d'adversité, l'Egyptien est
en perpétuelle allégresse. Il goûte le moindre souffle d'une vie
qu'il sait fragile et éphémère. Son dénuement est sa richesse.
Il n'a rien à perdre, rien à espérer, alors il picore le
bonheur dans le ruisseau avec ses compagnons de la faim, en dînant
d'un bon mot. Rien, non rien ne peut ébranler l'optimisme et la joie
de subsister d'un Egyptien.
Misr
oum el douniya, matrice de l'univers. Ce pays est la conscience de
l'humanité car depuis des millénaires il rit,
plaisante, danse,
chante sa disette et sa souffrance cependant que le monde des repus
se lamente. Mais « Les hommes oubliés de Dieu », les
« Mendiants et orgueilleux » les damnés de « La
maison de la mort » portent
sereinement l'espoir d'une vengeance certaine, celle d'un peuple
opprimé qui s'éveille et que rien ne pourra arrêter. C'est
la prophétie de Cossery.
Oeuvres
complètes aux Editions Joëlle Losfeld.
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