L'Assemblée
Nationale Constituante a voté : 200 voix pour, 12
contre, 4 abstentions, 2 morts. La Constitution Belaïd/Brahmi, du
nom des deux députés assassinés, a été adoptée ce 27
janvier. Un gouvernement composé de technocrates candides a été
chargé d'expédier les affaires urgentes et de préparer des
élections générales. C'est la seconde Révolution Tunisienne !
Trois
ans de palabres, de pleurs, de sueurs et de sang pour arriver à ce
résultat ! De prime abord c'est du temps perdu bien cher payé.
Mais comparé au nombre de victimes des soulèvements libyens,
égyptiens, bahreiniens, syriens...
finalement, l'addition des souffrances tunisiennes est légère au
regard de la formidable mutation de la Tunisie.
La
liberté d'expression politique y est devenue sans entraves. Avec des
excès sans pareil même dans les plus tolérantes des démocraties.
Imaginez onze millions d'amputés des amygdales recouvrant tout à
coup la voix. Ils se sont mis à hurler leur fiel jusqu'à
l'hystérie ; injurier le Président de la République, vomir le
Premier Ministre, insulter les gouverneurs. Ils avaient un besoin
pressant de purger tant et tant d'années de silences ravalés.
Les
députés de la constituante ont donné l'exemple de débats agités,
ils se sont copieusement conspués, déchirés, maudits à en venir
parfois aux mains. Et puis, au bout du compte, dans un élan de salut
national, ils ont fraternisé en votant unanimement le livre de la
Constitution. On pourrait ergoter sur l'ambiguïté
de tel ou tel article, l'essentiel est que la loi suprême instaure
un régime de séparation des pouvoirs et consacre l'égalité des
citoyens des deux genres.
Mais
l'important de l'important n'est pas là.
De
cette assemblée hétéroclite, constituante de la diversité du
peuple tunisien, l'Histoire retiendra que soudée par un idéal
patriotique commun elle est parvenue à sublimer ses différences en
empruntant la voie de l'échange, du compromis et finalement de la
démocratie.
Démocratie.
Pour la première fois dans l'Histoire de la Tunisie, cette racine
grecque est traduite en arabe. Démocratie : tout élève de
Sciences-Po vous le confirmera, c'est d'abord l'acceptation de
l'alternance, vertu hier encore inconnue sur cette terre.
Pour
marquer l'étape de l'ère nouvelle et alors qu'aucune loi ni menace
des armes ne les contraignaient,
le premier ministre et son gouvernement ont démissionné. Les
premiers démocrates de la Kasba méritent le Nobel !
Il
faut rendre au parti Ennahdha et à son leader Ghannouchi l'hommage
qui leur revient. Ils tenaient le pouvoir du peuple, ils le lui ont
rendu, ils le reprendront « si un jour le peuple le veut ».
On pourrait rappeler leurs insuccès cumulés, chipoter sur les
circonstances, la conjoncture, supposer une habile stratégie politicienne, trouver
mille et une arrière-pensées. Ce serait masquer la grandeur
de
l'événement
sans précédent qui marquera un tournant que l'on espère contagieux
dans l'ensemble du monde arabe.
Les
islamistes tunisiens ont démontré magistralement qu'ils n'étaient
pas les ennemis de la démocratie. Ce n'est pas rien lorsqu'on se
souvient que c'est sur ce préjugé que l'Algérie voisine avait
déclenché une guerre civile effroyable dont les soubresauts
perdurent encore. Le mouvement Ennahdha qui rassemblait toutes les
sensibilités islamistes a réussi la synthèse et vaincu les
débordements intégristes. Ghannouchi n'a finalement pas cédé aux
chants des pétrodollars de l'islam sectaire. Sans doute a-t-il puisé
l'inspiration de sa résistance dans les racines profondes de l'islam
malékite maghrebin.
Il
y a trois ans, le soulèvement des
Tunisiens
contre la dictature avait déclenché un vent de révolte dans
l'ensemble du monde arabe, aujourd'hui les démocrates-musulmans
d'Ennadha constituent une menace pour les wahhabites saoudiens et
qatariens. L'offense tunisienne leur est insupportable, ils ne
peuvent pas ne pas réagir.
Les
mois à venir seront ceux des plus grands périls.
Il
faur d'urgence prévenir la misère en résorbant spectaculairement
le chômage. Le patronat doit se mobiliser, attiser la production,
jeter du lest pour compenser la dégradation du pouvoir d'achat. Cet
élan doit être énergiquement aidé par la communauté
internationale.
La
France a des devoirs envers la Tunisie : histoire, économie,
culture, immigration. Il revient à François Hollande - en marge des
pesanteurs de l'Union Européenne -, de prendre l'initiative d'un
Plan Marshall. Il sera rejoint à la table des bonnes volontés par
l'Allemagne, l'Italie et sans doute par la Grande Bretagne et les
Etats-Unis car tous ont en commun l'intérêt d'éviter d'insulter
l'avenir de leur propre pays.
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