lundi 19 octobre 2015

Diplomatie: le geste et la parole



Les lettrés et les historiens connaissent la Chanson de Roland dont l'épée Durandal au pommeau d'or renfermant des saintes reliques faillit être emportée par un Sarrasin à Roncevaux le 15 août 778. Ce poème épique sublime de 4000 vers s'achève lorsque le Comte de Bretagne battant sa coulpe, offrit à Dieu son gant droit.
Son destre guant a Dieu en porofrit,
que les incrédules interprètent comme une allégorie de la main tendue, geste vieux comme le monde qui scelle la communion entre hominidés.
La refuser est une insulte réservée aux malotrus.


Les mauvaises manières protocolaires
En 2012, Manuel Valls alors ministre de l'Intérieur ne prit pas la peine d'allonger le bras depuis la seconde rangée des bancs de l'Assemblée Nationale pour saisir la main que lui tendait le Président de la République Tunisienne Moncef Marzouki en visite officielle à Paris. 
Plus récemment, un syndicaliste en colère ignora la main tendue du Président Hollande. 
Ni l'un, ni l'autre des illustres dédaignés ne méritaient cet outrage qui rabaisse leurs auteurs.

Comme dans la vie courante, le toucher de main est en diplomatie un exercice réglementé.
Interminable sur le perron de l'Elysée et devant la Maison Blanche, furtif dans les couloirs de l'ONU, parfois carrément évité grâce aux portes dérobées. Il y a même des sommets où les chefs d'État, ayant posé en assemblée devant la caméra, jurent de ne jamais s'être étreint les paumes. Ce fut le cas au Caire entre les Présidents français et soudanais que le paravent Al Sissi séparait.

Mais entre secouer chaleureusement et dédaigner ostensiblement, il y a toute une échelle de nuances. Le topé, le furtif, l'accompagné de la gauche, le grattouillé, l'enveloppé, le pincé mou du bout des phalanges, le vigoureux à faire plier les genoux.... avec le regard droit, appuyé, absent, clignant, détourné, en coin...la mine grave ou rigolarde, le menton en l'air ou la tête inclinée. Tout un art de la communication ! Dans les Académies diplomatiques, on enseigne les mille façons de se réchauffer les menottes. Mais attention ! Ignorer la main qui se tend pourra être interprété comme une déclaration d'hostilités tout comme le soufflet, le crachat et le mot de cinq lettres.

Pour éviter les attouchements compromettants nos plénipotentiaires ont pris l'habitude de détaler à la première contrariété. Les chancelleries du Yémen, Syrie, Libye sont closes jusqu'à nouvel ordre, d'autres sont entre-baillées par intermittence au gré des événements. Il est loin le temps où la France de Mitterrand se distinguait par l'ouverture avec panache d'une ambassade à Sarajevo sous le feu des mortiers ! Même dans les capitales moins périlleuses, les diplomates boudent régulièrement et ostensiblement. À la longue, Téhéran, Moscou, Rabat et même le Vatican se sont habitués.
Le quai d'Orsay surveille l'hygiène des mains, celles d'Arabie sont immaculées, celles de Mésopotamie sont infectées. Sa doctrine est finalement moins conciliante que celle du chaudronnier de la CGT qui décline le toucher rituel avec Hollande mais accepte la discussion et réclame haut et fort le dialogue.


Dialogue ! La diplomatie française semble détester ce mot décliné de la judéo-chrétienté qui implique - en rencontre ou en séparation - une poignée de main ou à la rigueur une inclination du buste façon Japon.
Cette politique intransigeante calquée sur la posture arrogante de la droite israélienne est intenable car sans dialogue, il n'y a ni vie, ni survie. Refuser d'échanger avec son ennemi est une absurdité. Discuter n'est pas adhérer. Le flic qui parlait à Merah avant de donner l'assaut n'était pas sous la menace contagieuse d'une conversion. Négocier avec l'adversaire n'est pas se soumettre, c'est la façon d'éviter que le pire s'additionne au tragique.

La diplomatie mercantile
Elle est assumée par Laurent Fabius qui déclare devant le Sénat : « La diplomatie économique est maintenant une des priorités acquise de la diplomatie »
Elle consiste à sélectionner ses interlocuteurs en fonction de leur solvabilité et des intérêts commerciaux. C'est sans précédent dans les annales diplomatiques où rarement la doctrine de l'enrichissement n'a autant supplantée celle des valeurs humanistes du maintien de la paix dans la sécurité internationale.

L'exemple de l'Arabie Saoudite est édifiant. Depuis que la maison des Saoud s'est ultra radicalisée ce pays est quasiment au ban de la communauté internationale. Même ses plus ardents soutiens historiques comme les USA et le Pakistan prennent discrètement leurs distances. Alors fort opportunément, Paris s'est engouffré dans la brèche et marchande son label Droit de l'hommiste. C'est navrant car le régime du roi Salman n'a rien à envier à celui du Calife de Daech. À Riyad comme à Mossoul, on tranche les têtes, on nie l'identité de la femme, on impose l'islam et sa pratique par le fouet, on fustige les juifs, on persécute les chiites, on bombarde impunément le Yémen voisin, on détruit les vestiges de l'histoire y compris ceux du prophète !
L'hebdomadaire Marianne titrait récemment en couverture: " L'Arabie Saoudite islamique". Nul n'a contesté cette appellation évidente de Martine Gozlan qui relevait en pages intérieures les troublantes similitudes entre des deux dictatures.
Le gouvernement ne semble pas s'en émouvoir.
Pour Laurent Fabius, l'Arabie ne constitue aucunement une menace à court ou long terme ni pour la France....ni pour Israël, alors que son avatar suscite de grandes frayeurs : « Nous alertons même sur le risque qui paraît lointain mais qui ne l’est peut-être pas que Daech puisse même à un moment s’accaparer la cause palestinienne » No comment.


À Riyad la semaine passée la Françarabie avait mis les petits plats dans les grands. Le grand Chef étoilé venu tout spécialement de Paris s'est surpassé malgré l'absence de sommelier. Avant le banquet et devant un parterre d'hommes d'affaires, le Premier Ministre Manuel Valls avait incité les Saoudiens à investir en France, pays champion de la productivité où la chienlit ne passera pas. Le hasard faisant bien les choses, les syndicalistes de la CGT lapideurs de chemise qui avaient terni l'image d'Air France venaient d'être interpellés dès potron-minet. Cette manifestation de fermeté de l'autorité judiciaire indépendante a été appréciée par tous les membres du très influent Conseil d'Affaires Franco Saoudien que son Président, le talentueux juriste et historien francophone Mohamed Ben Laden avait rassemblé en grand nombre pour l'occasion.

Cette amitié d'affaire sincère est nécessaire nous dit-on car elle porte l'espoir d'un demi point de croissance et surtout, d'emplois par milliers si les promesses de milliards se concrétisent. Elle enchante le patronat qui saura s'en souvenir car il est désormais illusoire d'espérer qu'Alain Juppé puisse jamais faire mieux.

Aujourd'hui, la compassion, le partage et la charité sont des valeurs hors de prix. 
Refuser de vendre des armes à l'Arabie, ouvrir les bras aux réfugiés par millions sont des luxes insensés que seuls les Suédois et les Allemands  peuvent s'offrir !
En somme, le gouvernement commerce avec le diable pour « être en capacité » de tendre la main à la misère du monde de demain.
C'est pourquoi pour le moment, il reste sourd aux appels de l'olifant.

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