C'est
la rentrée des libraires. L'actualité croule sous l'Islamomania
éditoriale, avalanche de témoignages émouvants ou effrayants et
d'analyses hâtives: Google livres propose pas moins de 390 000
titres sur le « jihad ». En jihadologie comme ailleurs,
méfions nous
des imitations.
Une
page de publicité s'impose.
Sur
l'Islam des lumières, il faut lire les savants de l'histoire
« historique » : Mohamed Arkoun, Jacqueline Chabbi,
Mohamed Talbi, Malek Chebbel, Hicham Djaeït, Abdelwahab Meddeb,
Hamadi Redissi... Hélas, leurs ouvrages ne sont pas faciles à
dénicher. À la Fnac et chez Auchan, on trouve en tête de gondole
les déclinaisons alambiquées des thésards coureurs de plateaux
télé dont Filiu et Kepel sont d'acceptables pis-aller.
Sur
la sanglante Arabie Saoudite « un royaume des ténèbres »
fustigée par
René Naba, les récits de voyageurs francophones sont rares.
L'ethnologue Thierry Mauger, le journaliste Stéphane Marchand
portent des regards contemporains sur les mœurs d'une population qui
n'a guère évoluée depuis les saisissants articles d'Albert Londres « Pécheurs de perles » écrits en 1931.
Prémonitoire,
« Les dollars de la terreur » de Richard Labévière
publié en 1999 reste la référence incomparable.
Du
même tonneau, deux autres auteurs s'écartent des sentiers battus.
Si
vous détestez l'intello salonnard en chemise blanche, vous
apprécierez Olivier Roy, routard aux pieds nus en quête permanente
d'une rencontre. C'est un bourgeon de l'esprit soixante huitard qui
s'est épanoui tout en restant au fond de lui même un peu
gauche et légèrement prolétarien. Universitaire par hasard et
polyglotte par nécessité, il a toujours eu la bougeotte. Déjà en
1968 , alors que les étudiants parisiens estivaient sur le Larzac ou
allaient couper la canne à sucre sur l'île de la jeunesse à Cuba,
il traçait la route vers l'Asie. Mais au lieu de prolonger comme
tout le monde l'auto-stop jusqu'à Katmandou, il s'est perdu en
Afghanistan. Il n'en n'est plus sorti depuis ; sauf
épisodiquement pour assurer quelques enseignements alimentaires aux
quatre coins du monde et revenir se ressourcer dans son Calvados
Normand.
Il
n'y a pas un coin d'Iran, d'Afghanistan, de Tadjikistan, de
Turquie.... où il ne se soit assis en tailleur pour perdre
intelligemment son temps. Plus de quarante années d'observations et
de dialogues avec des milliers de gens, souvent dans des conditions
extrêmes de confort et de sécurité. L'accumulation de son
expérience anthropologique lui vaut d'être devenu un savant
universellement respecté pour son regard sur l'islam.
« En
quête de l'Orient perdu » raconte l'épopée instructive et
plaisante de ce fabuleux parcours personnel. Mais ce n'est pas parce
l'auteur se la joue modeste qu'il faut négliger la pertinence de ses
oracles qui ne se limitent d'ailleurs pas à l'Asie Centrale. L'islam
de France, il connait aussi. Celui de Dreux où il réside depuis
toujours : ville frontiste à qui d'aucuns prédisaient un sort
à la Kaboul.
L'appétence
gourmande de Roy pour les situations complexes et les décryptages
astucieux tranche agréablement avec la sinistrose
des télé-jihadologues.
Mais
surtout, lorsque ce Directeur de
recherche au
CNRS, universitaire européen en Toscane, auxiliaire du quai d'Orsay,
moniteur à la « piscine »...assène que l'islamisme est
en déclin, que les convertis français au jihad en Syrakie ne
tarderont pas à revenir chez papa maman dépouillés de leurs
illusion, alors on est bigrement tenté de le croire et par les temps
qui courent, ce bouquin qui tourne le dos à la peur fait du bien
derrière les lunettes.
Certes,
il manque à Olivier Roy d'avoir labouré les pays arabes mais il ne
pouvait pas être partout. D'autres l'ont fait à sa place, déguisés
en diplomates, en touristes ou
en voyageurs de commerce.
Alain
Chouet est un maître espion qui a passé trente ans à la DGSE,
scrutant et analysant les faits et gestes des barbus enturbannés.
Depuis
qu'il est à la retraite, il écrit pour inlassablement expliquer que
le terrorisme islamiste n'est pas ce que raconte la presse
pressée mais que la réalité de l'Orient compliqué est bien plus
simple. Subsidiairement il proclame aussi avec assurance que les
hordes d'égorgeurs ne vont pas déferler sur la France au prochain
week end de la Toussaint.
Son
livre majeur, « Au cœur des services spéciaux »
rassemblent des entretiens avec Jean Guisnel, un journaliste familier
des questions de défense. L'ouvrage est singulièrement précis.
Dans le métier qu'il a exercé, en arabe ou en français, il n'y
avait pas de tolérance pour l'approximation et la fantaisie.
L'argumentation est étayée,
les circonstances décrites avec des adjectifs appropriés et la
traduction ne laisse aucune place à l'interprétation. Expressions
méthodiques et scrupuleuses,
écriture de haute couture, jamais la sombre histoire des mouvements
terroristes orientaux n'avait été décrite avec autant de netteté.
Bien
entendu, nul scoop ni révélation car un espion reste secret jusqu'à
la tombe, mais on sent la jubilation de l'ancien haut fonctionnaire
d'être enfin libre de pouvoir dire ce qu'il pense. Le petit monde du
renseignement n'est pas peuplé de bisounours; alors on imagine que lorsque
pendant des décennies on a professionnellement été contraint de serrer des mains sales et
de faire des risettes à une ribambelle de salopards, ça fait du
bien de se
lâcher.
« Au cœur des services spéciaux » n'est pas un manuel d'espionnage, c'est surtout un cours magistral de géopolitique orientale qui met notamment à jour les
gesticulations meurtrières des guignols salafistes et de leurs
marionnettistes saoudiens.
Publiés
avant les attentats de Paris les deux ouvrages de Roy et de Chouet
offrent chacun une lecture sereine et documentée des fondamentaux de
la « jihadologie », ils permettent aussi de renouer avec
l'espoir raisonnable qu'une coalition déterminée parviendra sans
peine à éradiquer le mal qui ronge le monde. Vivement qu'elle se
décide enfin !
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