Bien
avant le Roi du Maroc et le Sultan d'Oman, le Président Bourguiba
fut l'amphitryon de Jacques Chirac. Il n'était pas d'année sans que
le député ou ministre leader du RPR de l'époque ne passât quelques
journées d'hiver au Sahara Palace dans la douce palmeraie de Nefta
aux portes du désert. Promenades romantiques; réunions discrètes
et tractations secrètes avec des hommes politiques de tous bords;
rencontres « fortuites » avec des touristes; parties de
rigolade chez le mage Taleb Ammar qui lisait l'avenir dans le
sable; farniente au bord de la piscine en bouffant des dattes et des
amandes un verre de bière à la main. Dans cet espace de liberté et
de laisser- aller, jamais épié ni trahi, Chirac se sentait à
l'aise. Il se ressourçait mieux qu'en Corrèze. Bourguiba qui
veillait sur sa tranquillité le conviait à déjeuner lorsqu'il
sollicitait une audience.
En
1981, le Président tunisien qui passe prématurément pour gâteux à
cause d'une mâchoire tremblotante provoquée par une
opération dentaire malheureuse, suit d'heure en heure la campagne
présidentielle française. Le Président Giscard d'Estaing qui se
représente pour un second mandat, et pour lequel son homologue
tunisien a une admiration fidèle, risque d'être mis en difficulté
par la candidature incongrue de Jacques Chirac son allié d'hier.
C'est une trahison marmonne sans cesse Bourguiba qui redoute
l'élection de Mitterrand avec lequel, malgré de nombreux amis
communs, il n'a jamais copiné. Les résultats du second tour le
mettent en fureur. Chirac a fait perdre la droite. Il est aussitôt
déclaré persona non grata à Carthage.
À
force d'interventions et de manœuvres de séduction, Bourguiba finit
pas se laisser convaincre de le recevoir, mais de façon strictement
protocolaire. Après tout, Chirac est maire de Paris.
Dans
un carnet de mémoires, un témoin rapporte la scène :
Flanqué
de l'ambassadeur de France, Chirac tout sourire se précipite et
débite un compliment chaleureux. Long silence de Bourguiba qui fait
semblant de chercher ses mots, puis déclame la célèbre tirade de Flambeau d'Edmond
Rostand dans l'Aiglon
Et nous, les petits, les obscurs, les sans-grades,
Nous qui marchions fourbus, blessés, crottés, malades,
Sans espoir de duchés ni de dotations;
Nous qui marchions toujours et jamais n'avancions....
Et reprenant son souffle, Bourguiba théâtral enchaine
Et
voilà ! C'est le traître d'Essonnes !
Et
pour dire : trahir....le peuple – tu frissonnes ? -
Le
peuple a fabriqué le verbe raguser !
Ne
vous laissez donc pas en silence accuser
Chirac
est blême, le sourire éclatant est crispé. Il fait mine de ne pas
avoir compris l'allusion au Maréchal Marmont, duc de Raguse qui
trahit Napoléon.
Pendant
des mois, en petit comité, Bourguiba s'amusera à conjuguer le
verbe "chiraquer" avant d'être lui même... mais ceci est
une autre histoire.
3 commentaires:
superbe blog!
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