mardi 3 décembre 2024

Boualem Sansal, captif à Alger


Boualem Sansal a été incarcéré à Alger le 16 novembre. Sidération et consternation. Lentement, la presse française s’est ébrouée: Marianne d’abord, puis le Figaro, enfin Le Monde en page 6 reprenant une dépêche de l'AFP, cinq jours plus tard.

Dans les médias de gauche, l’embarras pour dénoncer l’impéritie du pouvoir algérien, dont chacun déplore les dérives autoritaires, était évident. Gloire à Annie Ernaux prix Nobel de littérature et Jean Christophe Rufin de l’Académie française d’avoir par delà leurs convictions politiques, entrainé tous les auteurs, éditeurs, lecteurs sur le chemin de l’indignation. Ils marchent dans les pas d’Albert Camus,  Paul Valéry, Paul Claudel… et 56 autres qui en 1944 pétitionnèrent pour tenter de sauver l’abject collaborateur Brazillach. « En France, pays de Pascal et de Voltaire, on ne se console pas de la destruction d’une tête pensante, aussi mal qu’elle ait pensé » se désola à l’époque François Mauriac. 

Derrière les barreaux, tous les écrivains de gauche ou de droite, les poètes progressistes ou conservateurs, les essayistes, les bloggers, les doctorants, les journalistes, les caricaturistes…sont des incarcérés d’opinion pour crime de liberté d’expression. 


Sansal écrit de gauche à droite car la langue française est ainsi faite. En arabe c’est l’inverse. Sansal pense de droite à gauche mais écrit en français. 

« Le français parlons en » (éditions du Cerf) est son expression, son titre, sa fierté. Le verbe est lourd, l’adjectif  grave, les phrases percutantes, précises; ni eau de rose, ni futilité, ni complicité. Sansal c’est l’exercice littéraire de l’exigence totale. Le mot a un sens, le propos est sans appel. On aime ou pas. À chacun sa musique, sa préférence de style mais on tire son chapeau à l’artisan. Du bel ouvrage.

Un écrivain qui cisèle les pages, c’est comme un peintre qui appose ses traits et ses couleurs, il façonne notre regard du monde en nous présentant le miroir d’une réalité subjective. Au prétexte que Degas, Picasso, Dali, Matisse, Soulages…« gribouillaient », il ne serait jamais venu à l’esprit des incultes de les enfermer.  Appréhender l’écriture sansalienne par analogie aux oeuvres impressionnistes ou abstraites est un exercice qui n’a assurément pas même été envisagé par les magistrats militaires. Ont-ils lu Sansal ? Probablement pas encore, mais désormais, tous les Algériens le découvrent en ligne, faute de le trouver en librairie.  

 

Le récitatif officiel algérien s’appuie sur la martyrologie: le peuple ne souffre pas de mauvaises gouvernances mais des conséquences de 130 ans de colonisation dont le bilan est estimé à 5,6 millions de morts ! chiffre inlassablement martelé. 

Plus de 60 ans après la paix d’Evian, les tueries de la guerre de libération sont systématiquement enseignées aux nouvelles générations. Pour Alger, Paris a tous les torts qu’aucunes excuses ni repentances ne sauraient rabibocher. Alors, il convient d’alimenter la haine et la défiance envers un pays qui paradoxalement est la destination d’immigration préférée des Algériens. Selon le président Tebboune, 6 millions de ses compatriotes vivent en France, soit six fois plus que de Français en Algérie du temps de la colonisation ! Tourner la page ? Il n’en est pas question. L’Algérie n’est pas l’Allemagne ! Les boucs émissaires, la faute à l’autre, masquent les échecs en matière de développement. Pour camoufler son incurie, « le système » accable son voisin marocain de toutes les turpitudes, voleur de Sahara, complice de la France, unis dans l’internationale sioniste. 

Pour autant, les gens simples font la part des choses, ils n’entendent que ce qu’ils veulent bien écouter. En France, les populations algériennes paraissent indifférentes à ces querelles. Pour le moment, nul ne proteste ni ne manifeste pour un camp. À Saint-Denis le poids du couffin de la ménagère prime sur celui des mots. « j’ai essayé de lire Sansal…c’est compliqué  » dit mon voisin de troquet avant de changer de sujet.


Dans ses ouvrages, Sansal brosse un tableau hyperréalisme et peu flatteur de l’Algérie.   Un peuple incrédule aux certitudes propagées par des militaires octogénaires dépassés qui refusent de balayer devant leur porte et se gargarisent de formules patriotiques. Un peuple souffrant, traumatisé, à jamais endeuillé, qui sur injonction de la loi feint d’oublier qu’il s’est entre-égorgé par centaines de milliers pendant dix années noires (1992-2002). Un peuple dont chaque famille porte l’héritage d’un assassin et/ou d’un assassiné. Sansal raconte cette souffrance collective. 

Pour autant, l’écrivain riche, célèbre, honoré, n’a pas cédé au confort de l’exil sur l’autre rive.  Il assume, il veut vivre au milieu des siens dans son village d’Algérie. Il se croyait libre, ne craignait ni les vengeurs de mots ni les étêteurs d’instituteurs ni les ennemis de la liberté. Patriote courageux, son erreur a été de ne pas haïr. De ne pas haïr « officiellement ». De ne pas haïr le Maroc voisin dont la frontière est fermée depuis trente ans et qui a annexé avec la permission de Trump le Sahara occidental. De ne pas haïr les hébreux rencontrés à Jerusalem à la foire du livre. De ne pas haïr la France: d’en avoir sollicité la citoyenneté et surtout de partager avec 10 millions d’électeurs les idées de Le Pen ! Refuser de haïr « officiellement »  est une trahison disent les militaires algériens qui ne donnent jamais dans la nuance. Au sujet de Le Pen, d’aucuns seraient tentés de leur donner raison, mais ça ne mérite pas même une heure d’incarcération. 


Sansal est victime par procuration, otage d’une guerre froide alimentée par des incidents que les meilleures volontés diplomatiques ont du mal à apaiser. Le pouvoir algérien - et aussi l’ultra droite française - versent chaque jour goutte à goutte de l’huile sur le feu. Récemment, à Alger, le quotidien très autorisé El Khabar titrait carrément à propos de ventes d’armes au Maroc: «  La France prépare-t-elle une action hostile contre l'Algérie ? Peut-on s'attendre à ce que Paris donne l'ordre de lancer une attaque militaire surprise contre l’Algérie…? » 

Bigre ! Montjoie Saint-Denis allons vite libérer Boualem Sansal captif à Alger.

vendredi 8 novembre 2024

Houris de Kamel Daoud

Le dernier Goncourt n’est pas une lecture de plage ni un cadeau de Noël. Il ne respire pas la joie de vivre, chaque page est sanglante. Il se lit en apnée pendant l’insomnie. On se lève à l’aube avec la boule au ventre et la bouche pâteuse.  


Bienvenue en enfer, bienvenue en Algérie; celle des entre-tueurs, des années noires, de la honte, de la folie collective. Les Algériens sont « particuliers » dit-on pour se rassurer. Ils sont impulsifs, susceptibles, sanguins, bref ils sont différents de nous autres. Ben voyons ! Il ne faut pas remonter loin dans le calendrier de l’Histoire pour trouver pareilles barbaries en France: l’inquisition, l’occupation, la décolonisation…Gardons-nous de faire la morale. L'espèce humaine est ainsi.


L’adage « pas de démocratie pour les ennemis de la démocratie ». servit de prétexte au coup d’état militaire « préventif » pour s’opposer au verdict des urnes en 1992.  Bilan: 100 à 200 000 trucidés de tous âges. Le monde savait, le monde s’est tu. Que pendant dix ans les Algériens se soient auto-génocidés ne gênait personne car ils le faisaient avec discrétion. Seuls deux événements ont suscité le journal télévisé: lorsque des terroristes ont tenté de précipiter un Airbus d’Air France sur Paris et quand les moines de Tibhirine ont été décapités. Tous les autres massacres à huis clos relevaient « des affaires intérieures d’un pays souverain en lutte contre le terrorisme ». Ni la France, ni l’ONU, ni les africains, les arabes, les musulmans, ni même les ONG empêchées d’enquêter, n’ont levé les sourcils. 


Nul ne sait pourquoi, un jour, subitement le carnage prit fin. Après 10 ans et 28 jours de sang: amnistie générale ! Sans doute rassasiés de tant de honte, tous se repentaient, tous se pardonnaient, tous devenaient amnésiques. Il ne s’est rien passé. On reprend comme avant. Les salafistes, les tortionnaires, les liquidateurs, les gendarmes et les militaires, tous en masse ont été blanchis de leurs crimes. Ils ont même été dédommagés, indemnisés, choyés, considérés. L’Algérie gazière est riche, elle avait les moyens d’acheter le silence. Plus un mot, plus un chuchotement, tout contrevenant risque les foudres de la justice. 


Depuis la fin de cette guerre civile, depuis le 8 février 2002, nul n’avait oser transgresser de cette façon détaillée la loi du silence autrement que par des murmures inaudibles.

La grandeur de Kamel Daoud est d’avoir réussi à révéler d’un coup  de livre toutes ces abominations au demi million de lecteurs que sont les fidèles habitués du Goncourt. C’est un bel hommage aux victimes, un deuil nécessaire qui hélas, ne sera pas lu en Algérie où l'ouvrage a immédiatement été interdit. On peut d’ailleurs se demander pourquoi, car ce n’est pas un pamphlet, c’est un roman hyper réalisme de bonne facture littéraire. L’auteur a couvert comme journaliste « censuré » la réalité du terrain sanglant de cette époque. Il parle de ce qu’il sait. Il témoigne de ce qu’il a vu. Il serait même plutôt indulgent avec la junte militaire dont les méthodes pour « terroriser les terroristes » étaient tout aussi barbares. Mais l’armée algérienne, héroïne de la révolution et de la décolonisation est intouchable. À ce tabou des tabous, Daoud n’ose pas trop remuer le couteau dans la plaie.


Faut-il juger un écrivain sur ses opinions ? Définitivement non. Il a tous les droits de plume. Il est la liberté totale, l’ultime défenseur de la nôtre. Respect.

L’objet de ce billet n’est pas de rédiger une critique littéraire, ni de résumer le livre, mais de livrer le ressenti subjectif d’un lecteur.


Un premier thèmes récurrent émerge du roman, c’est celui du rituel annuel de sacrifice d’un mouton. Trancher le cou d’un animal devant la famille des mâles rassemblés est un spectacle initiateur terrifiant pour les petits garçons. C’est la banalisation du couteau égorgeur d’un innocent. Pire, le bourreau est préventivement absout par sa seule évocation à haute voix « au nom d’Allah… » Ce n’est pas lui qui tue, c’est le bras de Dieu ! Plus tard, lorsque le criminogène aura dessiné un sourire de 17 centimètres sur le cou d’une fillette de 5 ans, ce sera encore au nom du tout puissant. 

On se surprend à rejoindre Brigitte Bardot dans son combat. Faut-il en France, interdire les sacrifices rituel de  cette « fête » musulmane contre-éducative ? En Grèce, le jour de la Pâque orthodoxe, chaque famille rôtit un mouton; mais la bête achetée chez le boucher est livrée dépouillée, étêtée. Les enfants ne sont pas traumatisés.


L'autre thème qui suscite ma réflexion est la description de la condition quasi animalière de la femme  algérienne qui n’est que souffre douleur.

La seconde guerre civile d’Algérie a été une guerre de tueurs qui se sont réconciliés sur le dos et le ventre de femmes déshonorées, abandonnées, marginalisées, frappées d'indignité. Ce livre honore

la mémoire des oubliées.


Au moment où Daoud brandissait son livre de vérité au balcon de chez Drouant, une étudiante protestataire se dévoilait sur le campus d’une université en Iran, puis, seulement vêtue de ses sous-vêtements, marchait tranquillement vers une fin lente et douloureuse. Qui écrira son histoire ?


Au lendemain du jour où l’écrivain algérien triomphait à Paris, la première démocratie du monde plébiscitait le pire de ses machos, disqualifiant une femme rayonnante dont le prénom Kamala est le féminin du masculin Kamel qui en arabe signifie perfection. 

La perfection... on en est encore très loin ! 


« Houris » de Kamel Daoud chez Gallimard n’est pas paroles d’une femme mais de toutes les femmes.


mercredi 30 octobre 2024

Trump et la paix d'Orient

Fort opportunément, une exposition au musée du Louvre à Paris invite à méditer devant la représentation du fou au Moyen Âge.  Le cinglé étant indispensable à toute collectivité humaine, une foule innombrable de visiteurs se presse, car « infini est le nombre des fous » (Ecclésiaste 1, 15)

Évidemment on cherche la comparaison avec notre époque où les sages ne guident plus notre avenir.  Combien de chefs d’État démocratiquement élus mériteraient d’arborer sur la tête un entonnoir orné de grelots ?


Kamala Harris veut soumettre Donald Trump à un test cognitif. Le monde étant sans dessus dessous, on peut se demander si finalement, un fou pourrait dans son délire insensé avoir l’ultime sagesse d’y mettre un peu de lucidité.

En Europe, deux anciennes républiques soviétiques jadis fraternelles et qui se sont embrassées sur la bouche pendant 70 ans s’entretuent. Le bilan est estimé à un million de morts ! 

Dans le même temps, au Moyen-Orient, on évalue pareillement à un million les civils massacrés en Palestine, Liban, Irak, Syrie, Yémen,…sans oublier le Soudan, la Somalie. Ceux qui en conscience ordonnent de priver la vie de milliers d’enfants ont-ils perdu la foi ou la raison. C’est l’humanité qu’on assassine !  

Le « fou » de Washington imposera t-il aux fous d’Orient de lever les pouces ? À la veille du scrutin aux États-Unis, c’est la seule question qui importe.


Trump entre guerre et paix

Trump aime le pouvoir, la domination, le sexe, la provocation, la vulgarité…Il aime la voluptueuse sensation de se sentir l’unique à dicter le sort du monde. C’est un vieux sale gosse de 78 ans qui se rapproche de sa date de péremption. Il est capable du pire comme de rédemption. 

Dans les pays d’Orient où tout est négociable l’éventualité de son retour est ouvertement souhaité. Il est perçu comme un business man pragmatique qui comprend la langue des affaires. Il aura vite fait d’évaluer le coût de l’extension de la guerre par rapport aux dividendes de la paix. Money & America first !


Les États-Unis alliés à Israël contre l’Iran sont entrés dans une séquence d’affrontement direct mesuré et dosé ayant pour but de tester les capacités de l’adversaire en attendant soit l’assaut cataclysmique soit l’échange d’arguments à la table de négociation. L’Iran et Israël  ont chacun soigneusement veillé à ne pas bombarder des installations civiles vitales ou des lieux habités car cela aurait obéré toute perspective de conciliation. 

Il suffit d’observer la carte du Moyen-Orient pour constater que la région est hautement  inflammable. Un conflit sans retenue entrainerait le sabotage des corridors maritimes de sortie du Golfe et de la mer Rouge; la destruction des infrastructures pétrolières, de dessalement d’eau de mer, de transports aériens et maritimes … les pétro-monarchies d’Arabie, Bahrein, Kuwait, Émirats Arabes Unis, Qatar s’en retourneraient à l’âge de sable, et Israel ne serait plus vivable. Un tsunami économique et financier planétaire s’en suivrait. 


Les amours orientaux de Trump


On se souvient qu’en 2017, à peine élu, Trump avait réservé son premier voyage à l’étranger à l’Arabie laquelle lui avait signé un chèque de 380 milliards d’armements. Depuis, entre les princes du Golfe et Trump, c’est un amour de fous ! Ne lui avaient-ils pas offert en gage de cadeau d’amitié, (selon des rumeurs invérifiables) le tableau Salvator Mundi, Sauveur du Monde attribué à Léonard de Vinci d’une valeur de 450 millions de dollars ? Entre les wahhabites saoudiens et les évangélistes américains l’entente est plus que cordiale.


Netanyahu

Il en va de même entre Netanyahu et Trump. La connivence est apparemment sans nuage, mais l’obstination à vouloir au prix d’un génocide « éliminer » le Hamas et le Hezbollah atteint des coûts faramineux qui mettent à genoux l’économie d’Israël et écornent le budget américain. Le bilan de 13 mois de massacre à Gaza a terni l’image de l’état hébreu qui est passée de victime à bourreau par la disproportion de la réplique vengeresse à l’attaque du Hamas. Pire, ce génocide condamné par les instances internationales est un échec stratégique total qui n’a pas entamé la combativité des Palestiniens et des Libanais. À tout moment, un missile peut s’abattre sur n’importe quelle portion du territoire des hébreux. Enfin, les Yéménites et les Iraniens ont fait la démonstration que les boucliers  et dômes  de systèmes sophistiqués d’interceptions n’était pas étanches. Israel n’est plus un sanctuaire. Dans ces conditions, Trump pourrait rompre l’idylle avec son partenaire Netanyahu, un perdant, un loser devenu internationalement toxique. 


MBS

Le prince héritier saoudien Mohamed ben Salman, MBS, 39 ans, n’a pas encore été intronisé car son roi de père, qui a seulement dix ans de plus que Trump, vit toujours. 

MBS a pour son royaume l’ambition démesurée d’une modernisation superlative à marche forcée souvent utopique, mais son pétrole lui en donne les moyens. Sauf accident il sera encore tout puissant dans 40 ans pour constater la mutation de son pays en eldorado californien.  Il rêve aussi d’un fauteuil au conseil de sécurité de l’ONU. N’a t-il pas proposé sa médiation pour réconcilier Poutine et Zelensky ? 

Il y a quinze mois à peine il était sur le point de signer les accords d’Abraham. Son intention persiste, à la condition toutefois qu’Israël « admette le projet » d’un état palestinien. Cela devrait pouvoir s’arranger. Les échanges diplomatiques secrets entre Tel Aviv et Riyad n’ont jamais été rompus. 

La posture saoudienne est tout aussi conciliante avec Téhéran. Elle s’est manifestée par le spectaculaire « armistice » conclu avec le nord Yémen gouverné par la tribu des Houthis et considéré comme une satrapie de l’Iran. 

Et si enfin, le Liban doit renaître de ses cendres, ce sera avec l’argent saoudien. 

Certes des querelles de familles devront être apaisées et les méfiances réciproques entre bédouins de la péninsule monnayées. Mais MBS s’est habilement positionné en grand conciliateur. Il est le plus riche, il a les moyens de s’imposer. 


Le Qatar qui avait adopté cette politiques avec succès s’est laissé dépasser par ses frères ennemis wahhabites saoudiens. Doha reste toutefois le médiateur incontournable pour le Hamas. Le Qatar demeure un havre de sécurité régional précaire. Il est tenu en laisse par les Américains qui entretiennent dans ce pays lilliputien la plus grande des bases aériennes américaines de la région où stationnent dix mille hommes… à moins de 200km des côtes de l’Iran.


MBZ 

Mohamed ben Zayed MBZ, Président des Émirats arabes unis est un sage parmi les sages. Sa dynastie est la seule de tous les pays arabes a avoir transformé le pétrole en prospérité pour ses  neuf cent mille sujets et les neuf millions d’immigrés de toutes nationalités. Abu Dhabi capitale administrative, Dubaï capitale commerciale distante de 130 km forment une mégapole au carrefour de l’Orient et de l’Occident. Pour employer une métaphore, la puissance des Émirats arabes unis est au plan géostratégique comparable à celles de la République de Venise, de Carthage, ou de Sparte au temps de leur gloire. Depuis 40 ans, en toute discrétion, les EAU se sont doté d’outils de persuasion très performants: une armée puissante, un complexe militaro-industriel moderne, une diplomatie tentaculaire. Si on ne leur marche pas sur les pieds et surtout si on s’abstient de toute propagande ou  prosélytisme les émirats sont ouverts à tous. Ils échangent avec Israël sans aucun complexe et font un important business avec l’Iran distante de quelques encablures. 

À Washington, ni l’administration républicaine, ni la démocrate ne sauraient se priver de l’avis des diplomates émiratis qui entrent sans frapper à la Maison Blanche.


À la cour de France au Moyen Âge, le bouffon était un personnage  extravagant libre de parole et de posture qui participait à l’équilibre mental des souverains. Si Trump est fou, il faut espérer que l’histoire contemporaine contredira celle du passé en inversant les rôles.

dimanche 13 octobre 2024

Élucubrations trans inclusives


Et si la manifestation de la liberté suprême du moi profond était le transgenre  ? 

Le sexe est inné, inséré entre les jambes  : faille ou protubérance  ! accessoire naturel de la procréation. Sauf rares exceptions de malformation, le mammifère humain ne diffère pas de la girafe ou du cétacé.  

Changer de sexe est une opération irréversible douloureuse alors que changer de genre est une liberté éphémère ou durable offerte à tout un chacune. Ce comportement est d'ailleurs admis et encouragé depuis la nuit des temps en période de carnaval. Pourquoi alors ne pas faire la fête en changeant de genre quand il nous plaît  ? Changeons de coiffure, de vêture, d'attitude et de posture au gré de notre envie. 

Changeons aussi d'écriture  !


Au nom de la tyrannie grammaticale, on impose d'accorder l'adjectif avec son entre-jambe. L'amputation de cette terminaison me traumatise  ! L'excroissance de la finale en «  e  » est une dentelle ornementale qui me plat. Désormais je me trouve ravie et heureuse de cette métamorphose littéraire. Elle me rapproche de Gertrude Stein et d'Alice Toklas hélas jamais rencontrées -  car je suis trop jeune - mais dont je partage le goût du beau, du bon et de la légèreté de la vie. 

Notons par ailleurs que l'écrivain ose rarement tricher sur son prénom (sauf Yasmina Khadra). Le mien est bi-genre. Il passe partout. Il est porté par les filles en Allemagne et par les garçons en Tunisie  ; en France il s'orthographie sans H mais se termine en ie comme Eddie au masculin et th comme Edith... Mais passons.

Pour écrire sans faire de faute, il faut accorder l'adjectif avec le sujet et inversement: l'écrivaillon devient écrivaillonne. Laquelle se heurte à une difficulté de syntaxe car écrivaillonne n'est pas français, écriteuse non plus, il faut écrire écrivaine ou auteure à la rigueur. Qualités que je ne saurais m’approprier car elles insultent ma modestie, outragent la mémoire d'Amantine George Sand ou des Marguerite Duras, Yourcenar, et j'en passe  !.. Tournons la page.


Afin d'être en condition d'écrire dans mes nouvelles disposition et profitant de l’éloignement de ma maisonnée estivant loin de Paris, je me suis achetée des guêpières, du rouge à lèvre et des hauts talons. Puis, j'ai poussé ma hardiesse jusqu’à emprunter à mon épousée une ravissante robe rouge qui me moule comme un gant. Le haut rembourré dessine une silhouette flatteuse, cependant qu’en contrebas s'échappent des jambes soigneusement mais douloureusement épilées au caramel brulant. 

Ma première audace a été d'aller sonner à la porte d'en face au prétexte de réclamer du sel en cui-cuitant ma voix. Interloqué le voisin a mis un certain temps à réagir  en criant «  Josiane, tu peux venir voir  ?  » Non moins stupéfaite Josiane vint  : «  ...vous allez bien  ???  » La garce m'a reconnue  !

Cette expérience m'a encouragée à perfectionner mon look en me rasant la barbe. Ce que, par conséquent, «  du coup  » (locution fautive à la mode) et après coup, en me regardant dans la glace, mon moi me picotait. J’ai eu honte de mon insincérité. 


Évidemment, je me suis heurtée à quelques difficultés au guichet de la Poste «  ça c'est la carte d'identité de votre mari  !  ». J'ai tonné de la voix et menacé de relever ma jupe pour qu'il consente à me donner ma lettre recommandée.  Agitant les mains en invoquant l'époque décadente où nous vivons, son chef  lui a expliqué que j'étais un trans, un «  msieur-dam  ». Li ber té  ! J'ai rétorqué.

Au fil des jours, j'ai pris de l'assurance. Ma métamorphose ne prêtait plus à confusion. Je suis devenue d'apparence insoupçonnable. Les commerçants me disaient «  madame  ». Il faut dire que j'y mettais du soin et de la peine.  Mais au boulot, les collègues ont tourné les yeux dans tous les sens, puis le patron a entre-baillé la porte pour me dévisager l'air de rien. La DRH m'a tout de suite assurée que la boite n'avait rien à me reprocher mais que ... Bref, finalement par un effort de compréhension mutuelle, j'ai intégré un poste mieux payé de télé-travail à plein temps.


C'est au marché de Belleville où j'ai mes habitudes que les choses se sont compliquées. Un marchand égyptien gueulard m'a reconnu, il a vendu la mèche qui s'est répandue comme une trainée de poudre. En un rien de temps j'ai été la cible de quolibets lourdingues: helwa, helwa, malla jamal  ! (quelle beauté!) Ma féminité balbutiante en a été choquée au point que de retour à la maison, je me débarbouillais, me débarrassais de ma garde-robe et décidais de taire mon nouveau genre à mon épouse et aux enfants qui rentraient de vacances le soir même.

Après tout, il y a d'autres moyens d'affirmer sa féminité me consolais-je. Mais pour me venger, désormais quand je vais au marché, je me travestie en Belphégore  : voile noir, lunette noires, masque chirurgical blanc. Les vendeurs n'y voient que du feu  ! Ils m'interpellent « ya lella  » et me donnent du madame en français. 


Tout ceci est une fable, mais il me plaît d'imaginer que le dimanche, je pourrais, transformiste transgenre éphémère d’un matin, aller sous un voile exprimer en secret  ma solidarité avec mes soeurs opprimées et  mes frères frustrés. 


Revenons à l’écriture, au plus important. Ce n'est pas la première fois que par inadvertance j'accorde mon sujet avec le genre d'à coté.  Fille, garçon, trans, qu'importe la syntaxe pourvu que cesse l'usage de cette abominable écriture inclusive qui comme le voile empêche les « scriboullards-de-s  » d'écrire et les «  lecteurs-trices  » d'entendre la jolie musique que font les mots bien orchestrés. 

dimanche 29 septembre 2024

Tunisie: la démocratie des fous

Tout a été dit sur la lamentable dérive de la démocratie tunisienne vers une tragédie loufoque. Pour décrire cette situation insensée, il faut peut-être employer la langue des fous. 


« L’élection » du Président de la République tunisienne aura lieu le 6 octobre prochain. Saïed sera victorieux. Mektoub ! mabrouk !

Son voisin, « frère en démocratie » le Président algérien Tebboune a triomphé le 7 septembre dernier avec 94% des suffrages exprimés. Ce score a été ramené après « vérification » à 84% (tout le monde peut se tromper).


Quel sera celui de Saïed ? En haut lieu, les discussions vont bon train. Il convient de pas froisser le puissant voisin algérien en faisant mieux que lui. 95% serait too much mais 51% serait trop juste !

Élu en 2019avec 72% des voix, Saïed  ne saurait faire moins bien en 2024 ! 


Au sortir de palabres en très haut lieu, il a été décidé que son score serait de 78%. Tous sont tombés d’accord sauf un numérologue adepte du neuf-neuf et une deggaza (sorcière carthaginoise) qui devine dans le marc du café. Tous deux sont membres de la haute assemblée chargée de traquer les complots ourdis par Pazuzu.  


Pazuzu est le roi des malfaisants. Ses descendants règnent sur toutes les créatures démoniaques des pays arabes depuis trois mille ans ! C’est un sournois qui vit caché dans les fouilles de la terre. Il apparait souvent sous la forme d’un bouc émissaire; affublé d’ailes et de serres de vautour, brandissant par derrière une queue de scorpion et par devant une vipère. Son haleine répand les épidémies de mauvaises pensées. Ses capacités de nuisances sont dit-on inépuisables. Il peut assécher ou faire déborder les oueds, élever ou aplatir les montagnes, vider la mer, éteindre le soleil. Il peut même jeter un sort à Saïed et le forcer pour la première fois de sa vie à se mettre à rire et avouer sa farce. 

Pazuzu est la source de tous les maux de la Tunisie. La contrebande, la corruption et la misère, c’est lui, les coupures d’eau et d’électricité, la disette, l’injustice, c’est lui…Il corrompt les âmes naïves pour  les inciter à comploter contre les intérêts du « peuple ». 


Inspiré par le très haut, Saïed le combat dans une guerre sans merci. Inlassablement, il démasque les  innombrables adorateurs de la secte du mal camouflés en députés, journalistes, magistrats, anciens ministres, artistes, boulangers, coiffeurs…Tous et toutes sont en prison. 

Récemment, quelques comploteurs à la solde de l’étranger ont eu l’audace de songer à briguer la magistrature suprême ! Heureusement les brigades de l’ordre veillaient.  Tous les  écervelés qui n’ont pas réussi à fuir à temps le pays ont été prestement incarcérés. 

Saïed a promis que le 6 octobre sera le jour des « élections » propres et sans observateurs sournois. Il sera l’unique  des trois candidats. L’autre est un thuriféraire cireur de babouches, le troisième est un téméraire inconscient qui sera peut-être extrait de sa geôle si toutefois « la justice » y consent.


Pour terrasser Pazuzu, Saïed peut compter sur l’armée, la police, l’Amérique, l’Europe, la Chine, l’Iran, la Russie…bref sur le monde entier sauf Israel et le Maroc. Il faut reconnaitre que sur la scène internationale, la Tunisie compte pour du beurre. On lui verse 200€ pour prix de la rétention de chaque immigré subsaharien en « hotspot » et la même somme pour accueillir les touristes européens pendant une semaine hôtel **** à la plage « all inclusive ». C’est équitable: noirs et blancs sont égaux. Pour la Tunisie, c'est du gagnant-gagnant. 

Lorsqu’il est minuit à Tunis, ailleurs chacun voit midi à sa porte.

D'ailleurs le peuple, tout le peuple n’est-il pas derrière Saïed ? Enfin 78% des 13% d’inscrits qui iront voter. Alors, "la démocratie" est sauve ! 


Comment clore cette indescriptible bouffonnerie à pleurer, autrement que par des brides de vers flagorneurs ou prédictifs, empruntés aux grandes lumières de notre temps !…C’est sans queue ni tête me direz-vous. 

Oui, c’est la démocratie des fous.


(Kaïs Saïed) Jeune héros, esprit sublime

Quels voeux pour vous puis-je former ?

Vous êtes bienfaisant, sage, humain, magnanime,

Vous avez tous les dons car vous savez aimer….


Mais souvent, dans ton coeur, radieux (souverain)

Une triste pensée apparait, et soudain

Glace ta grandeur taciturne;

Telle en plein jour parfois, sous un soleil de feu,

La lune, astre des morts, blanche au fond d’un ciel bleu,

Montre à demi son front nocturne


Voltaire-Hugo


dimanche 14 juillet 2024

Voyage en Franciade insoumise


Ce lieu est le coeur de l’histoire de France. Ici, depuis Dagobert tous les rois sont venus à genoux faire pénitence. Ici ils ont reçu les ultimes sacrements, ont été inhumés, exhumés… Ici reposent les reliques de 43 rois et 32 reines. Ici c’est la basilique-cathédrale de Saint-Denis, du nom de l’évêque qui convertit les parisiens au christianisme il y a mille huit cents ans. Décapité à Montmartre par les Romains, il ramassa sa tête et tituba pendant 7 kilomètres avant de s’effondrer en ce lieu sacré par le plus extraordinaire et le plus incroyable des miracles. 


La cité était au Moyen-âge le rendez-vous d’une immense foire annuelle. Après la révolution de 1789, elle abandonna son nom pour celui de Franciade qu’elle conserva jusqu’à l’an 1800. Elle fut aux avant-postes de la capitale pour repousser les allemands en 1870, en 1914 et en 1940. Elle est depuis le début du siècle l’épicentre des luttes ouvrières et demeure la banlieue parisienne « rouge » frondeuse, imprévisible, très fidèlement et majoritairement insoumise au pouvoir parisien.

Pour autant, la ville est parfaitement oecuménique. Elle compte une dizaine d’églises, cinq mosquées, autant de paroisses évangélistes, trois synagogues, des temples, et mêmes des sectes. Tous cohabitent en parfaite tolérance.


C’est une sous préfecture, mais bien plus peuplée que les départements de la Lozère ou de la Creuse. On y dénombre 113 000 habitants dont  61 000 « français de naissance »  16 000 « français par acquisition » selon  les termes de l’INSEE, qui recense aussi  6 600 Algériens, 2 800 Marocains, 1 800 Portugais, 1 700 Tunisiens, 11 000 « autres nationalités d’Afrique » etc…  La population est plus jeune que la moyenne nationale. Les actifs sont ouvriers (BTP) ou employés (services, commerces, administration). Le taux de chômage est important mais aussi le nombre de créations d’emplois. Pauvreté sur-représentée, police et justice sous-représentées entrainent un taux de criminalité du double de la moyenne nationale. 

Il ne viendrait jamais à l’idée d’un touriste d’aller flâner à Saint-Denis. C’est un tort, car pour le prix d’un ticket de métro, ce voyage vaut toutes les destinations du tiers monde.  




Depuis le centre de Paris, la station Saint-Denis Basilique est à 17 minutes. L’escalier mécanique, qui parfois fonctionne, vomit les voyageurs au milieu d’un sorte de galerie commerciale mal éclairée qui sent l’huile de fast-food. On progresse au coude-à-coude dans des ruelles bordées d’immeubles vétustes en béton gris aux excroissances pointues qui ont fait la célébrité d’une architecte « brutaliste » des années 80. On est au coeur de l’îlot 8 de la ZAC. C’est hideux. On a envie de rebrousser chemin. 


Mais voici qu’on débouche sur une vaste esplanade ensoleillée hélas en partie masquée par les doubles palissades d’un chantier qui s’éternise. L’Hotel de ville, - à gauche - est flanqué d’un bâtiment moderne et moche qui côtoie la beauté: une cathédrale de style gothique primitif pur et sobre aux proportions parfaites. Elle abrite un musée auquel il faut absolument consacrer deux heures de visite. Un peu plus loin - à droite - l’imposante Maison d'éducation de la Légion d’honneur et son parc magnifique, puis le regard glisse sur une petite chapelle et découvre dans le prolongement du parvis la rue principale encombrée d’une foule bigarrée qui évolue entre les étalages. À cent pas de là, le marché couvert  édifié au début du siècle dernier mériterait un coup de badigeon. Tous ces espaces sont réservés aux seuls piétons mais les scooters semblent tolérés tout comme le stationnement d’un couteux cabriolet autour duquel une bande de jeunes tourne avec le respect du à son propriétaire, sans doute un caïd du coin.


Flâner dans cette ville est une expérience déconcertante. Le meilleur côtoie le pire, le beau voisine le laid. Des petits hôtels particuliers, des pavillons proprets alignés dans des rues calmes débouchent sur des avenues bruyantes bordées d’immeubles décrépis. Voici un passage caché entre deux blocs d’habitations: on y vend du riz par sac de 25kg, des coupons de tissus bariolés, des postiches, des chaussures de sport à prix imbattables, des fruits, du poulet congelé… C’est Tunis, Abidjan, Ankara, Cayenne, Dacca tout à la fois.

Le nom des rues évoque les natifs oubliés. Fernand Grenier député communiste, qui se rendit clandestinement à Londres avec son rival politique le très droitiste chef du réseau de la confrérie Notre-Dame , Gilbert Renault ou colonel Rémy. Ils voyagèrent tous deux allongés serrés l’un contre l’autre pendant six heures dissimulés au fond de la cale d’une barque de pêcheur pour échapper au Allemands. Ça crée des liens ! Ils scelleront devant le général de Gaulle l’unité de la résistance qui contribuera à libérer la France. Ce n’est pas rien !

Plus loin le boulevard qui traverse l’île Saint-Denis appelle le souvenir de Marcel Paul: enfant trouvé, placé, éduqué, militant syndicaliste, ministre de l’industrie dans le gouvernement provisoire présidé par de Gaulle à la libération. Il était l’ami à vie de Marcel Dassault qu’il avait sauvé à Buchenwald. D’autres anciens maires ont leur rue, sauf bien sûr Jacques Doriot qui trahit le parti communiste en créant le  sinistre Parti Populaire Français et trahit la France en endossant l’uniforme ennemi. 

L’histoire de la ville est celle de l’Histoire de France, de ses fractures, de ses réconciliations, aucune autre n’y est aussi étroitement liée, aucune autre n’est à ce point ignorée.

 

Pour casser la croute ou boire un coup, il y a l’embarras du choix. Sur le parvis de la Basilique des brasseries étalent leur clientèle sous des parasols. Dans les petites rues adjacentes, les restau bobo et les modestes estaminets basques, maliens, éthiopiens, corses, marocains sont légion.  

Mes pas et mon odorat me conduisent vers un « salon de thé » devant lequel trône une bassine où frient des beignets comme à Sidi Bou Saïd. Les vitrines offrent à l’oeil des gourmands des montagnes de petits pains, pâtés, pizzas, crêpes et toutes sortes de friandises orientales. Le « salon » est une vaste pièce carrelée façon salle de bain meublée d’une dizaine de tables en formica. La plupart sont occupées par des femmes en fichu ou en cheveux avec les lunettes de soleil sur la tête. C’est la mode. Il y a aussi quelque adolescents à casquette, visière sur la nuque qui dévorent des sandwichs. Le brouhaha des conversations couvre les gémissements mélodieux d’une chanteuse libanaise à la télévision qui alternent avec une retransmission de la prière en direct de la Mecque. Je cherche du regard un endroit où me poser. Au fond de la salle, un homme attablé avec quatre comparses, me désigne une chaise près de lui.


On m’observe du coin de l’oeil.  Pour le garçon de café qui court comme un beau diable, je suis transparent. Il me prend pour un touriste gaouri égaré. Je finis par perdre patience et sur un ton énervé, je l’engueule gentiment…en arabe. Alors, en moins d’une minute apparaissent un verre de thé à la menthe et deux gâteaux de semoule. Aussitôt, mes voisins, entament la conversation. Ils sont contre-maîtres dans le bâtiment,  ambulancier, sapeur pompier. Tous originaires de Guelma et d’Annaba. La frontière tunisienne n’est pas loin. Les mots, les expressions, l’accent sont les mêmes. Entre « pays » on fait vite connaissance. Ils sont bi-nationaux. On parle de tout et de rien, de foot et d’élections. On plaisante. « La demi-finale de l’Euro est perdue, mais on est qualifié pour Matignon » Ici me dit l’un d’eux en rigolant on est tous des « islamo-gauchistes » on vote Mélenchon !


Soudain, les conversations s’interrompent. Sur l’écran de télévision la retransmission par une chaine arabe d’un bombardement de Gaza fige l’assistance. À l’unisson mes voisins murmurent une prière. Le temps semble comme suspendu à l’abomination des images. Une femme brise le silence en criant des invectives. Malgré ses protestations, le patron change de chaine « il y a des enfants » dit-il sans préciser s’il s’agit de ceux qui ont été pulvérisés à Gaza où de ceux qui dans la salle, sucent un cornet de glace.


Un gaillard portant sur un plateau un gargantuesque casse-croute débordant de frittes et de mayonnaise s’installe parmi nous. Les salamalecs sont expédiés. « C’est un renégat me glisse à l’oreille » mon voisin avant de s’éclipser avec ses amis. 

L’ogre est plutôt sympathique. Il s’appelle A.B, un diminutif plus chic qu’Abderrazak, Abderrahmane, ou Abdo (créature en arabe). Il me raconte sa vie. Ses parents sont d’Oran. Il est né ici dans les années 80. Après quelques études il a monté une petite entreprise de peinture, épousé une Savoyarde, fréquenté les élus, servi d’intermédiaire entre les différentes communautés. Car le 93 c’est un patchworks de guettos. Dit-il. On a parqué les arrivants dans des cités selon leur origine. Il y a le quartier Bamako, le quartier Ouerzazate, le quartier Espagnol… « Moi j’habitais Alexandrie près du périphérique où s’entassent les Égyptiens. Un jour, l’un d’entres eux a tenté de violer ma femme dans l’escalier. Elle a hurlé, je suis sorti de l’appartement et j’ai massacré le batard. Il est resté deux semaines dans le coma. Moi, j’ai fait 72 heures de garde à vue dans un bureau du commissariat ou les flics qui me connaissaient ont été corrects. Finalement c’est un avocat qui m’a sorti du cauchemar. Un avocat juif, oui ouallah ! Il m’a évité les assises. Par lui j’ai négocié avec l’Égyptien le prix de son sang et il a retiré sa plainte. J’ai du liquider ma boite et vendre mon appartement que j’avais presque fini de payer. Aujourd’hui je suis chauffeur de limousine. Je ne me plains pas al hamdoulillah ! Après cette histoire, en 2022, j’ai collé les affiches pour Le Pen. Normal non ? Aux dernières élections j’ai voté Insoumis à cause de Gaza. Ouallah ! Mais ici, personne ne me croit, tout le monde continue de me traiter de fasciste ! »  

Optimiste de nature, A.B attend avec impatience l’ouverture des JO. La fête au stade de France situé tout à côté sera celle de la réconciliation des extrêmes. Les champions issus de l’immigration seront acclamés quand ils feront leur tour d’honneur enveloppés dans le drapeau tricolore. Inchallah !


Dans le métro qui me ramène à Paris, il me revient que malgré toutes ses blessures, la ville a conservé pour devise le cri de victoire des croisés: « Monjoie Saint-Denis ! »



Et c’est ainsi qu’Allah est grand  (Alexandre Vialatte)


lundi 20 mai 2024

La Tunisie en émoi et moi

Parler de soi n’est pas convenable. J’ai toujours une hésitation avant d’écrire « je ». Pareillement, le « moi » m’est haïssable. Mais sans l'emploi de je-moi, comment parler d’elle ? 

Elle c’est la Tunisie. Elle me concerne étroitement, culturellement, biologiquement. Mon père, son père, son grand-père y sont nés. Moi, comme ma mère, ses parents et aïeux, je suis un parisien. Paris, musée du monde et de l’histoire de France dont je connais tous les recoins. Au soir de ma vie, je ne veux plus le quitter, sauf pour revoir ma Tunisie où « l’air est si doux qu’il empêche de mourir » disait Flaubert.  

Là-bas, des cousinades et des amitiés d’enfance m’attendent… des souvenirs d’école primaire, de collège et de lycée à Jebeniana,  Tozeur,  Gafsa,  La Marsa…J’ai la nostalgie des lumières de Korbous, Sbeïtla, Tabarka, des parfums de jasmin, d’orgeat et de cédrat, des chants de malouf, des sons de luth et de darbouka, des saveurs de bsissa, de jujubes, de caroubes, de corète potagère et même du simple bouillon de pois chiches… 

Là-bas, je partage le comportement indéfinissable d’un peuple taquin, joyeux, toujours en recherche de félicité, impatient de prolonger la « jaw » (ambiance) vers son apothéose, la « chikha » (réjouissance). Certes, comme partout, la vie n’y est pas tout le temps légère, mais on fait semblant, on repousse le mauvais moment en faisant bonne figure. Ainsi, pour donner l’exemple, les Beys et les Présidents de la République successifs ont toujours soigné leur apparente bienveillance, arborant en toute circonstance un sourire radieux. Partout, dans les boutiques, sur les façades d’immeubles, le long des routes s’affichait la face bonhomme et avenante du maître de Carthage reflétant l’optimisme du pays.

C’est terminé. Kaïs Saïd est insensible, raide, austère, triste, cassant, rabat-joie. Il est colère tout le temps. Nul jamais ne l’a vu rire ni même sourire à pleines dents. Devant les caméras il éructe, menace, se lamente. Ses communicants ont quand même réussi à lui faire verser une larme sur le drapeau, à serrer un enfant dans ses bras, mais sans vraiment parvenir à convaincre ni consoler les Tunisiens de leurs misères. Le Président explique que les privations sont ourdies par « les hordes d’immigrés africains » et une cinquième colonne de traitres-comploteurs. Les uns ont été rassemblés dans des camps en attente de déportation,  les autres sont en prison en attente de jugement. On ne compte plus les extravagances dictatoriales, les révocations sans raison, les arrestations musclées pour un oui ou pour un non. « Tunisie, pays de cocagne que la moitié des habitants cherche à fuir » ironise une avocate. L'insolente est kidnappée devant ses confrères en plein direct de France 24 par des policiers cagoulés. 

Cette répression hideuse se pare des vertus de la légalité de lois votées par un parlement sans légitimité. Quelques hauts fonctionnaires drapés de dignité ont bien tenté de résister. Ils ont été brisés. Les magistrats « laxistes » qui n’ont pas été saqués ont été publiquement menacés. Les autres, ceux qui ne sont pas en arrêt maladie après avoir été pris de violents vomissements n’osent plus lever le sourcil. Résultat, la moindre dénonciation pour atteinte à la sûreté de l’état, même la plus invraisemblable est consignée par les juges et greffiers, le mis en cause est immédiatement incarcéré dans l’attente des conclusions d'une enquête interminable pour nourrir un dossier. 

Des étrangers célèbres sont aussi accusés. L’ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger avant de mourir centenaire aurait comploté pour renverser le maître de Carthage. Netanyahou serait venu incognito en Tunisie en sous marinpour y fomenter un soulèvement, aidé par BHL « membre du Mossad » chargé de propager « l’idéologie maçonnique ». Tous leurs « complices » tunisiens croupissent derrière les barreaux. 

Une quinzaine d’instructions pour « haute trahison… » passibles de la peine capitale sont en cours. Des dizaines d’opposants, anciens ministres, anciens députés ou simples mal pensants sont encagés pour des motifs fantaisistes qui ne vaudraient pas même une amende dans un état de droit. 

Pour avoir reçu des mains de l’ambassadeur de France, au nom du Président de la République la croix de la légion d’honneur, Bochra Belhaj Hmida avocate, militante infatigable de la cause des femmes et des droits humains a été contrainte de s’exiler car sa décoration dixit « prouve son rôle d’agent de liaison avec les services de renseignement français » C’est effarant !

Dans les prisons de Tunisie, les binationaux ne peuvent plus bénéficier de l’assistance consulaire. Le Quay d’Orsay est frileux.  Le gouvernement français ajuste sa posture diplomatique sur les sondages et intentions de votes de la communauté musulmane. Président et premier Ministre persistent à considérer les citoyens aux racines africaines comme des indigènes immatures encore sous influence du chef des tribus du pays d’origine de leurs aïeux ! 

Alors, moi,  inoffensif vieux parisien libre et indépendant, voulant seulement aller humer l’air si doux de mon pays d’enfance, j’hésite. J’ai le courage qui flanche. Pourtant, j’ai bourlingué dans tous les endroits infréquentables de la terre, j’ai serré un nombre incalculable de mains, peut-être même celle de BHL dans une cave de Sarajevo. À Aden, Tachkent, Riyad, Baghdad, Beyrouth…voyageant indistinctement sous passeports tunisien ou français, j’ai donné l’accolade à des infréquentables. Les mieux renseignés me reconnaissent le mérite d’avoir servi la France sans jamais desservir la Tunisie.

Mais j'ai passé l’âge d'étaler les détails de ma biographie, de disséquer les phrases de mes centaines d’articles, de justifier la fidélité de mes convictions, le pourquoi de mes actes et de mes choix. J’ai passé l’âge de l’indulgence, de la soumission à l’arbitraire, du risque d’incarcération sans cause ni raison. C’est pourquoi je ne retournerai pas en Tunisie devenue « prison à ciel ouvert », pas avant l’éclosion du printemps nouveau.

mercredi 8 mai 2024

Gaza, le bout du tunnel ?



L’attaque d’octobre, la plus meurtrière depuis sa création, marquera Israel comme la fin de son invulnérabilité. Tous les acteurs de sa défense ont été pris de court. La sidération face à un évènement non anticipé a provoqué une vengeance aveugle, massive, disproportionnée et barbare obérant les perspectives de paix. L’émotion suscitée d’abord par le massacre de civils israéliens, puis par l’indicible carnage de milliers d’enfants palestiniens restera inscrite à jamais dans les mémoires. Pour autant il convient de relever quelques évidences factuelles pour tenter de lire l’avenir. 


Défaite du renseignement israélien

Le 7 octobre, la branche armée du Hamas a mené simultanément ses assauts sur plusieurs fronts: terre, airs, mer avec des engins de travaux publics, des camions, des motos, des embarcations de pêche et de plage, des drones, des ULM et parapentes bricolés. L’opération qui aurait mobilisé plus de 1 000 hommes a réussi à ouvrir 30 brèches. Elle avait nécessairement été préparée et coordonnée minutieusement de longue date. 

La formidable bulle électronique supposée capable de déceler le vol d’une libellule ou le passage d’un lézard n’a pas empêché des commandos de franchir les triples barrières d’acier et de béton truffées de capteurs, de caméras et de systèmes d’alerte. Les milliers d’informateurs, agents doubles et dormants recrutés depuis des années par les israéliens n’ont rien mouchardé. La cartographie numérisée des lieux, la banque de données personnelles nourrie par les logiciels de reconnaissance faciale et de mouvement, d’interceptions téléphoniques,…tous ces dispositifs ultra sophistiqués n'ont pas décelé d’anomalie.  Pour la première fois, la détermination humaine a eu raison de l'intelligence artificielle.

Aucun allié d’Israël n’a eu vent de l’opération, à l’exception des Égyptiens qui se sont vantés d’avoir su et prévenu grâce sans doute à l’interception d'échanges en langues arabes dont les subtilités d’une trentaine de dialectes échappent aux Israéliens.

Les historiens diront  les raisons de cet incroyable défaite. Ils révéleront aussi peut-être l’éventuel double jeu des «  alliés arabes  » du Pacte Abraham dont on peut supposer a minima la mauvaise volonté de collaborer avec l’ennemi historique, voire pour certains d’avoir tu, saboté ou aidé activement leurs frères palestiniens en douce, sans se faire remarquer. 


Les services spéciaux israéliens jadis confiants dans la supériorité technologique et leur certitude d’être parmi les meilleurs du monde vont reconsidérer leur politique. Leur chef le général Haliva, reconnaissant son échec, vient de démissionner.

La doctrine de l’état hébreu repose sur l'élimination physique de ses ennemis. Ronen Bergman a décrit les milliers d’assassinats ciblés exécutés en parfaite impunité partout dans le monde. Les Israéliens pensaient avoir trouvé la méthode infaillible pour mâter leurs ennemis : éliminer les uns, encager les autres, soudoyer ceux qui restent. La riposte de l’Iran au bombardement de son consulat de Damas marque les limites de la méthode. Le 13 avril, après avoir déposé un « préavis d'attaque » qui a permis la mobilisation de tous les moyens de défense aérienne, y compris celles des porte-avions et des bases occidentales de la région, l'Iran est parvenu avec un essaim de drones masquant des missiles, à frapper les sites militaires de Nevatim et Ramon depuis à 1 500km. Cet exercice militaro-diplomatique spectaculaire qui n’a pas fait de victime a été revendiqué comme une victoire aussi bien par les attaquants que par les défenseurs. Pour autant, il relativise l’efficacité des dispositifs anti-missiles déployés dans la région et notamment du « dôme de fer » qui a laissé filtrer des projectiles. À Tel Aviv on se demande quelles auraient été les conséquences d’une attaque surprise.


Guerre de retranchés

Le salon mondial de l’armement Eurosatory qui se tiendra à Paris dans quelques semaines est le lieu de rencontre et d'échange où se côtoient les officiers généraux venus de 100 pays pour faire leurs achats auprès de 2 000 exposants. À cette occasion, de nombreuses conférences sont prévues sur les retours d’expérience des conflits de l’année et les perspectives inquiétantes d’emploi de l’arme nucléaire tactique par Vladimir Poutine.

La tendance est à la simplification des matériels. En Ukraine, la Russie ne s’attendait pas à lutter au sol «  à la baillonnette  » ni affronter des drones légers tueurs de chars. À Gaza, les blindés lourds israéliens ont été piégés et les robots se sont révélé inefficaces. Dans les deux cas les assaillants qui avaient la maitrise des airs, ont déversé sans discernement un déluge de bombes et de missiles sans pour autant parvenir à entamer les capacités des combattants retranchés.

Dans les plaines d’Ukraine, l’armée résiste à l’envahisseur depuis des boyaux creusés dans la glaise. 

À Gaza, les forteresses enfouies à plus de 50m sous terre semblent hors d’atteinte des bombes de 13 tonnes. Les Israéliens qui connaissaient leur localisation croyaient à tort les avoir neutralisés. Les Palestiniens ont tiré les enseignements des meilleures expertises (dont la plus connue est celle de Corée du Nord ). Ils ont creusé des galeries à la pioche et au tunnelier, consolidées par des voussoirs en acier et en béton hydrofuge. Tout ceci avait été documenté par les « révélations » du The Times of Israel en décembre 2023.

Sous terre, la survie: air, eau, énergie, température et surtout repérages, détections, orientation…est tributaire de systèmes complexes. Le combat: pièges, torpilles, bombes éponges ou à gaz…implique des soldats entrainés et accoutumés à ce milieu angoissant. De ce corps à corps inévitable, les furets sortent rarement vainqueurs contre les taupes.

Sous terre, nulle vie durable n’est possible sans relais extérieur, sans prise d’air minimum, sans conduite d’alimentation et d’évacuation, sans boyaux d’attaques, d'esquives ou de fuites. Le retranchement des combattants du Hamas leur permet de surprendre les soldats israéliens derrière leurs lignes mais aussi probablement d'aller se réfugier et s’approvisionner en Égypte voisine.  


L’embarras du Caire

Entre Gaza et l'Égypte la frontière sévèrement contrôlée est large de seulement 12km. Au-delà s'étend la péninsule désertique du Sinaï. Le port d’El Arish (100 000 habitants) est situé à une demi heure de route (plus si on emprunte les tunnels) de Rafah. El Arish conserve la mémoire de la guerre de 1967 et des 400 prisonniers égyptiens et palestiniens  massacrés par les soldats israéliens dans les dunes de sable. C’est une cité sans journaliste étranger où se croisent les diplomates, les humanitaires, les espions et surtout tous les commerçants avisés du moyen-orient. El Arish comme l’ensemble du Sinaï est sous stricte administration militaire. Les officiers égyptiens détiennent tous les secteurs de l’économie depuis l’immense cimenterie franco-égyptienne Vicat jusqu’aux coopératives agricoles du littoral. La circulation des personnes et des biens y est sévèrement contrôlée mais la corruption  institutionnalisée encourage les affaires  juteuses. 

Pour les Israéliens « un droit de suite » est impossible car toute violation de la souveraineté égyptienne réveillerait de mauvais souvenirs, ruinerait le Pacte Abraham et risquerait de faire déferler vers Gaza la colère de 100 millions d’Égyptiens derrière leur armée suréquipée. Le sinistre projet de déportation en masse des gazaouis vers le Sinaï  après la destruction de Rafah serait tout aussi risqué. 

Les Égyptiens, entre soutien aux Palestiniens et aides américaine et européenne,  sauront sûrement monnayer cette situation au mieux de leurs intérêts. Ce n’est pas un hasard si les négociations pour un cessez le feu se sont tenues au Caire sous l’égide du puissant ministre égyptien des renseignements. 

La guerre des ombres n’est pas prête à sortir du tunnel. Nul ne s'aventure à prédire ce que sera l’après. D’autant qu'entre les mystiques sectaires qui ambitionnent de «  talmutiser  » la Terre promise depuis l'Euphrate jusqu’au Nil et ceux qui veulent la «  chariatiser  » du Jourdain à la mer, l'entente est impossible car « Avec Dieu, on ne discute pas ! »

vendredi 29 mars 2024

Même pas peur !

Il y a cinq mille ans en Mésopotamie chaque année à l’équinoxe de printemps, devant une foule  rassemblée en silence sur la place publique, le roi était hissé sur un piédestal. Cependant, le souverain qui dominait ainsi les hommes pour se rapprocher des dieux n’en était pas tout à fait un. 

Un prêtre se saisissait de son oreille pour l’obliger à s’agenouiller  et confesser ses fautes d’une voix haute et claire. Puis, ayant été invité à se redresser, il était violemment giflé. Pif-paf  ! Si le roi pleurait, c’était signe de sincérité, le présage était favorable. Si ses joues demeuraient sèches, c’était de mauvaise augure; l’année suivante serait sans récolte et les ennemis du royaume seraient victorieux. 


Le roi vivait en symbiose avec son peuple pour ne former qu'un seul corps. Quand le pays n'allait pas bien, le roi tombait malade. Pour guérir, il se dépouillait de ses habits et faisait retraite à l'eau et au pain sec dans un ermitage loin de la capitale. Un roi de substitution était alors désigné pour régner à sa place le temps de sa guérison qui ne devait pas excéder cent jours. À l’issue de ce délai, il retournait au palais pour récupérer ses attributs et son trône. Son substitut intérimaire, était mis à mort solennellement et enterré avec les honneurs dus à son rang éphémère.


Les savants interprètent de plusieurs façons ce rituel de gouvernance venu du fond des âges dont la fonction probable était de rendre le peuple confiant en son chef et serein pour l’avenir. Car chacun sait que pour être productif le matin, il faut faire sa nuit paisiblement. «  Dormez tranquilles braves gens, le guet veille  » criaient les gens d'armes qui sillonnaient Paris au Moyen-Âge. Et les bourgeois de s'assoupir sans craindre les cauchemars. De tous temps, le chef a cherché à rassurer la population par des messages de lendemains qui chantent. Dans les pires moments de l’occupation allemande, de Gaulle depuis Londres ne manquait pas de prédire qu’après les souffrances viendrait la délivrance. Le chant des partisans célébrait l’unité, la solidarité, la cohésion, la perspective d’un bonheur partagé.


Aujourd'hui, la France se retourne dans son lit. Les Français dorment mal. L’Élysée et Matignon gouvernent à l'émotion hors de toute raison. Le verbe supplante l'action. C’est l’alerte 24/24, 7/7.

Macron va encore parler au 20 heures ! Va-t-il nous mobiliser aux côtés des Ukrainiens  ? Va-t-il lancer un emprunt obligatoire pour combler le gouffre du «  quoi qu'il en coûte  ». Rien de cela. Le Président discourt en mode professoral, il incante, il décrit les ombres malfaisantes qui rodent autour de nous le couteau entre les dents. Ce sera eux ou nous. Il faut réarmer et se tenir prêt. Qui, quoi quand, comment  ?... Il n'en dira pas plus. 

Dans les chaumières ça suppute  : repousser une attaque sur la Moldavie  ? Libérer le Donbass  ? Monter à l'assaut du Kremlin  ? Perdre la vie pour sauver l'Ukraine  ! Au bistro ça fredonne Brassens «  Mourir pour des idées d'accord, mais de mort lente  ». Cette appréhension n'est pas de la couardise; nos grands anciens ont prouvé leur bravoure jadis en ces lieux montrés du doigt: Moscou, Saint-Petersbourg ou Odessa, non, c'est la peur de l'incertitude. 

«  Rien ne doit être exclu  » a martelé le Président qui surjoue d'importance pour rappeler que notre sort ne dépend que du sien. Quel était le but de cette péroraison ? S’attendait-il que le lendemain une marée de manifestants défilent en signe de soutien et d’approbation ? Pensait-il rassembler, coaliser, remporter l’adhésion de tous ? Il n’a fait qu’ajouter inquiétude et nervosité.  À l'étranger ses propos ont eu peu d'écho mais en France, la télé en a rajouté des tonnes pour booster l’audience et fabriquer l’ennemi  comme dirait Pierre Conesa.


Depuis sa déclaration, comme en 1914, les esprits s'échauffent. Les munitionnaires  comptent les obus, les pacifistes crient «  halte au feu  ». Partout le doute, l'ignorance et finalement la peur s’installe: indéfinissable, sournoise, transpirant dans tous les domaines. 

Les Jeux Olympiques, cette fête universelle de la jeunesse, de l'équité, de la justice, de l’audace, du courage... s'annonce comme la plus morbide depuis Coubertin. Paris, ville lumière qui éclaire de sa beauté chaque mois un million de touristes ébahis, est assombri par les mauvais présages. Redoutant le chaos causé par des attentats que l'on prévoit inévitables, les parisiens désertent la capitale. Les Cassandre du petit écran prédisent que des collégiens et des vielles dames pourraient être égorgés au coin de la rue par les mécréants jihadistes échappés des asiles surpeuplés. On craint aussi les effets de la drogue - devenue moins chère que le tabac – et aussi les balles perdues des maffias qui règlent leurs comptes à la mitraillette dans les territoires où le gouvernement avait  tenté de « dealer » tolérance contre paix sociale. 


Partout les ministres aux aguets des derniers faits divers se précipitent pour amplifier et prendre la lumière. Le Premier d'entre eux toutes affaires cessantes s'est transporté à Sciences Po où des étudiants avaient osé donner le nom de Gaza à une salle. «  C'est très grave  !  » a déclaré le lointain successeur de Raymond Barre qui professa en ces lieux sereinement. En son temps nul ne s’émouvait que l'amphithéâtre Boutmy soit rebaptisé au grè des manifs du nom de Mao, Che Guevara, Hô Chi Minh, Mandela, Arafat,  peut-être même Maurras et j'en passe. 

Ces alertes ministérielles fébriles qui entretiennent un climat anxiogène les discréditent pour gouverner le pays.  Quand sur la passerelle, les officiers incapables de lire les cartes sonnent la corne de brume en plein soleil, les matelots appréhendent le naufrage. Les arabes des banlieues redoutent d'être «  génocidés », les juifs du sentier d'être «  hamasisés  ». Propos exagérés bien sûr. Mais les chômeurs en fin de vie, les agriculteurs roulés dans la farine, les mal soignés, les révoltés du béret…attendent des messages d’espoir, non pas d’être consolés par la perspective de malheurs plus grands que leur misère du moment.


Pazuzu dieu babylonien des malfaisants est représenté avec une tête de lion, des serres de faucon, une queue de scorpion... C’est lui qui a propagé les punaises de lit, la canicule, la dette, la daech… Ses disciples contemporains ont  créé un engin nucléaire capable de planer dans la haute atmosphère ou de se nicher au fond des mers pour cracher la mort sur la terre. À tout moment, le ciel peut nous tomber sur la tête; ce que nous autres gaulois, savions déjà.